Qu’est-ce qui se joue au théâtre socio-médiatique « en ce moment » ? Je vous propose un montage de l’écho du Monde mobile, bricolé avec les Mots des autres, parfois retravaillés, souvent mixés avec des formulations fictives inspirées de discours probables. Société multiculturelle, métissage, deuxième génération, frontières, replis, identité, invasions, rejet de la mondialisation, cohabitation, autant de thèmes qui font la une et agitent nos débats.

 

ACTE I. Invasions dans toutes les directions !!!

– Que l’Europe continue à donner des milliards pour sauver la Grèce, qu’elle laisse entrer chez nous tous les peuples de l’Est qui nous spolient pour tout renvoyer chez eux pendant que c’est toujours les mêmes qui triment, les mêmes qui raquent. On en a marre, la France d’en bas en a marre, ça gronde !

– Il y a énormément de Grecs ici, et ceux qui arrivent maintenant ne trouvent rien, je ne m’attendais pas à ça, pas à ce que ça soit aussi dur. J’étais au chômage chez moi, et je me retrouve aussi au chômage ici.

– Nous, pays occidentaux, sommes responsables de l’état de détresse de ces pays-là. On spolie l’Afrique, on est responsables de leur situation.

– Je viens du Portugal pour chercher du travail. Je dors à la gare et je trouve pas de travail. J’ai des membres de ma famille qui émigrent en Angola, peut-être je vais prendre cette solution là aussi.

– On est la génération perdue. On part tous, n’importe où. Pour trouver du boulot. Je suis venu au Maroc, c’est pas la situation idéale, mais c’est déjà mieux qu’en Espagne. Je pensais que ce serait temporaire, mais à voir l’évolution catastrophique dans mon pays, je sais pas. Avant c’est eux qui venaient chez nous, maintenant on est de plus en plus d’Espagnols à venir frapper à leur porte.

– C’est clair que y’a pas tout le Nord qui est en train de débarquer, mais y’a ce double mouvement avec tous ces retraités qui viennent s’installer ici pour bénéficier des avantages financiers et du climat et de l’autre côté les jeunes qui migrent d’ici pour trouver du travail là-bas.

– Il faut agir sur place, en amont, aider ces pays chez eux pour qu’ils n’aient plus envie de venir chez nous.

– Là-bas, il y a la guerre. Ici, il n’y a pas de travail. Là-bas on meurt à cause de la guerre, ici on meurt à cause de la faim.

– Le domaine de l’asile n’a rien à voir. Il faut pas tout mélanger. C’est une procédure humanitaire, une protection. Et surtout un très faible pourcentage des étrangers dans ce pays. Il faut vraiment insister là-dessus, l’enjeu migratoire ne se joue pas là.

– L’immense majorité de ceux qui viennent ne sont pas en danger, puisque déjà dans un pays limitrophe.

– Comment voulez-vous que l’État offre des conditions idéales à tous ces migrants alors que la population d’ici souffre déjà ?

– En France y’a de plus en plus de chômage, mais y’a aussi la déprime. C’est surtout ça qui m’a poussé à prendre la décision. Je veux tenter ma chance ici à Londres, où déjà énormément de Français sont installés, y’a un peu tout comme à la maison ici. Mais au niveau travail, tout est plus flexible, tout est simplifié. Je me vois bien rester ici.

– Tout ça souffre de récupération politique à quelques mois d’élections, de calculs électoralistes, et tout le monde en fait les frais.

– Après la migration économique et l’invasion des voisins, qui a eu son quart d’heure de gloire, après le choc des civilisations et l’impossible cohabitation, maintenant l’invasion des exilés, c’est quoi la prochaine hystérie médiatique, le nouveau thème porteur politique, tous les thèmes liés à la mobilité ne sont pas encore épuisés non ?

– Notre prochaine croisade c’est la naturalisation, on a des chiffres qui prouvent qu’elle a explosé ces dernières années. On est d’ailleurs en train de préparer une nouvelle loi pour durcir l’accès, avec pour objectif une baisse significative.

– Je sais pas si vous vous rendez compte, mais il faut agir avant qu’il ne soit trop tard. Avec la crise qui frappe l’Europe, la Suisse fait plus que jamais figure d’eldorado, et le sud de l’Europe revient en masse.

– Maintenant que c’est eux qui viennent, pourquoi on réintroduirait pas le statut de saisonnier, comme avant quand c’est nous qui allions chercher les travailleurs ? Comme ça au moins les gens s’installent pas.

– Ces gens n’ont aucun espoir de rester dans notre pays, ils peuvent donc s’adonner sans complexe à des activités criminelles, ils n’ont rien à perdre. La vérité c’est que la criminalité des requérants a doublé, il n’y a qu’à regarder les chiffres.

– Normal que tout le monde veuille venir ici, on a la réputation d’être un pays où coule le miel. Il faut changer cette image.

– Je préfère encore la prison ici que la torture là-bas.

– On se sent bien seuls quand on est que quelques centaines à défiler pour la solidarité. Des révisions passent dans l’indifférence générale. Nous on veut se montrer, on veut montrer que notre pays c’est pas seulement la xénophobie, c’est aussi l’humanisme.

– Ok alors moi je suis pas contre qu’on accueille des gens, mais il faut les intégrer, on peut pas les laisser trainer comme ça.

– Je suis désespéré. J’ai rien à faire. Je traine. Pas de papier, pas de travail. J’ai rien ici, j’ai rien là-bas, j’ai plus d’espoir. Je vis comme un animal.

– Je suis là depuis un an déjà et c’est fatiguant. Ca dure très longtemps et je ne sais pas quoi faire, je n’ai pas le droit de travailler.

– Moi je suis parti au Cambodge, là-bas y’a tout à faire. Ici tout est bouché. Et je suis écœuré par cette administration qui met sans arrêt des bâtons dans les roues des entrepreneurs. Dès que tu veux faire quelque chose ici, dès que t’es un peu dynamique, on te fait très vite comprendre que c’est pas possible, alors ciao.

– Je rêve de l’Europe depuis que je suis tout petit. J’y suis enfin arrivé, et ma famille compte sur moi. Même s’il y a la crise en Europe, l’Europe et l’Afrique, c’est comme l’enfer et le paradis.

– C’est clair que le déménagement était pas tout simple, mais ici j’ai pu devenir propriétaire, un rêve totalement inaccessible dans mon pays.

– A chaque fois je me suis caché pour pas demander l’asile et rester coincé. Je suis d’abord passé en Grèce, là j’ai travaillé deux ans pour rembourser le passeur, ensuite je suis allé en Italie, j’ai repayé, retravaillé, puis j’ai atteint la France. Maintenant j’attends de pouvoir passer en Grande-Bretagne, je connais d’autres Afghans qui vivent là-bas, ils pourraient m’accueillir.

– L’exil, le déplacement sont des sources d’inspiration très fortes.

– Le voyage c’était l’enfer, l’enfer. J’avais jamais vu des choses aussi horribles. Dans les villes-étapes tu te retrouves à travailler comme esclave pour les passeurs pour payer la suite du voyage. Quand on a cru qu’on était enfin arrivé, on a été envoyé dans un camp en Sicile, une vraie ville complètement coupée du monde, avec des quartiers par communauté. Une ville prison avec que des migrants. Je suis finalement arrivé à Paris après deux ans. Je suis un fantôme,  je suis plus rien. Et c’est pas du tout ce que j’imaginais. Les gens de mon pays y’en a qui dorment dans la rue. J’essaie de dormir dans les centres d’hébergement et d’apprendre un peu la langue, mais je vais repartir ailleurs ou rentrer, je sais pas. Comment croire, comment croire que quand t’as rêvé toute ta vie à ici, t’arrives et c’est pire que chez toi.

– Bien sûr mon pays me manque, j’adore mon pays. Mais je suis vraiment heureux ici, je retournerai pour rien au monde.

– Moi je deale parce que j’ai rien. Je croyais à l’eldorado, là je me cache, pour éviter l’expulsion. Toute ma famille s’est endettée pour que je vienne ici. Je peux pas rentrer, c’est impossible pour moi.

– En attendant de trouver un travail et donc un logement, je dors au camping. J’avais une petite entreprise en Espagne. J’ai tout perdu. Ma famille est restée là-bas.

– Tous ces gens qui se sont noyés, c’était affreux, et ici c’est le cauchemar, regardez comment on vit. Y’a plein de gens qui se sont mutilés les doigts jvous jure pour pas être enregistré ici et aller plus loin.

– Les choses changent. Le Nord c’était l’Eldorado de nos parents, alors qu’aujourd’hui y’a beaucoup de jeunes Français qui pensent qu’aujourd’hui la solution se trouve au Sud, et qui entreprennent des trucs là-bas.

– Je suis venu ici pour les opportunités, pour le travail en fait surtout. Par rapport à ce qui se passe en France en ce moment. Aujourd’hui je gagne ce que gagne un cadre en France en étant serveur quand même.

– J’ai besoin d’un visa pour travailler ?

– Non non c’est pas nécessaire.

– Y’a beaucoup de Français qui sont clandestins ici ?

– Enormément, énormément

– Ben, qui perd ? Jveux dire on est dans un monde aux frontières ouvertes, et puis où est la France, la France elle est là où y’a les Français.

– Que les choses soient très claires. Si on a des papiers, on a vocation à rester en France. Si on n’a pas de papiers, on a vocation à être raccompagné chez soi. Si de ne pas avoir de papiers donne le droit de rester en France, parfait. Alors pourquoi ceux qui se donnent la peine d’avoir des papiers les demandent-ils ?

– La plupart des gens sont sans papiers ici. Parce qu’ici, si demain ils voulaient enlever tous les illégaux, y’a tous les restaurants et 80% des business qui fermeraient. Donc ils ont besoin de ce truc-là. Tout le truc c’est de pas en parler pour éviter la délation. Si t’en parles pas, on te fera pas chier.

– On nous voit comme des petits singes. On n’a pas de valeur. Si j’ai des papiers, tout le monde me respectera. Si tu joues avec moi, je pourrais appeler la police. Si j’ai des papiers, j’aurais un bon boulot. Je gagnerai bien et pourrai rester ici.

– Oui la ville a limité les contrôles des services de l’immigration fédérale. Notre but est que les illégaux soient bien dans notre ville, parce que cela nous est bénéfique et leur est bénéfique. Nous voulons qu’ils viennent, qu’ils réussissent ; parce que si ça marche pour eux, alors ils paient des impôts. Ils fournissent à la ville la main d’œuvre nécessaire à son fonctionnement. Ce qui est bon pour New York, est bon pour les illégaux. Ce n’est pas une vision romantique, mais c’est purement pragmatique.

– J’ai débarqué à Miami il y a cinq ans avec rien. Aujourd’hui je mène une vie confortable. Le business n’arrête pas de grandir. Cette réussite aurait été impossible en France.

– Ensuite souvent le migrant est intégré dans une organisation de trafic criminel.

– Les routes des passeurs s’adaptent sans cesse aux frontières. Ils jouent sur les routes, sur les lacunes législatives. Y’a énormément d’ateliers de falsification de documents d’identité, le trafic de requérants est un gros business. Ces réseaux de trafiquants d’êtres humains sont très étendus et puissants. C’est une économie de plusieurs milliards, c’est colossal.

– Il faut apprendre à faire avec les frontières, à les relativiser, on trouve toujours un moyen pour faire fonctionner notre espace de vie commun, y’a toujours moyen de contourner les limites qu’on nous impose et pose sur nos territoires.

– Moi, l’éloge de la frontière, quand je commence en disant que je suis une migrante, comment je peux assumer l’éloge conceptuel de la frontière c’est pas possible. Comment je peux assumer la déchéance de la nationalité alors que je suis une naturalisée ?

– La frontière, c’est l’inverse du mur. La frontière c’est la reconnaissance de l’autre. Le mur c’est sa dénégation, son rejet.

– Quand on ferme ses frontières à l’arrivée de gens qui veulent fuir des pays plus pauvres ou en mauvais état, on s’expose à la réciproque.

– Ces personnages n’ont plus de territoire politique. Ils ne peuvent ni retourner dans ce pays d’origine, ni exister pleinement dans le pays qui a modifié l’histoire de leur pays et qui fait qu’à un moment ils se sont retrouvés dans ce pays. Ils sont au cœur de plusieurs frontières, ils n’ont plus aucun pays. Plus que du déracinement, ils sont de nulle part, ils sont dans un no mans land.

– Quand on a compris qu’ils sont prêts à tout, qu’ils n’ont rien à perdre, qu’ils sont prêts à mourir parce qu’ils n’ont pas conscience que des choses meilleures peuvent les attendre sur place…

– A un moment donnée jme suis posé la question de se dire c’est quand même curieux que, à notre époque, sans qu’on y soit obligés, ni pour des raisons politiques, ni pour des raisons de pogroms x ou y, des gens décident de leur plein gré de quitter leur pays natal. C’est quelque chose d’assez troublant et qui me paraît assez inédit dans l’histoire contemporaine en tout cas. Et donc je me suis penché sur la question. Parfois même, j’ai été tenté moi, pour des raisons plutôt colériques vraiment profondes, de quitter ce pays…

ACTE II. Identité, Crise et Repli

– Je voulais comprendre quelque chose. On parle de problèmes d’intégration, de problèmes de racisme. Mais pourquoi on ne dit pas qu’on a besoin d’immigration, que le pourcentage d’immigrants n’est pas aussi important que les Français peuvent le croire et que en plus c’est grâce à eux que y’a une vraie démographie et que….

– On le dit ça. C’est le discours le plus répandu.

– Mais on l’entend jamais que c’est ça qui rend le pays vivant, que c’est grâce à eux justement à l’immigration qu’on a notre retraite qu’on a…

– Bien sûr qu’on a besoin de l’immigration, et en même temps l’apport de populations qui ont d’autres cultures, qui ont d’autres modes de vie est déstabilisante spécialement pour une société en crise. C’est comme ça. Chaque fois que vous avez un pays qui va mal et que vous avez des apports de populations, de modes de vie qui sont très différents, chaque fois ça créée une tension. Les peuples en crise ont l’impression qu’ils sont menacés par les cultures différentes qui viennent s’intégrer ou s’enraciner au milieu d’eux. C’est comme ça. Et c’est pas seulement dire qu’on en a besoin qui permet de résoudre cette question-là.

– Je crois que vous sous-estimez l’apport positif des migrations. Quand on est un pays qui a la chance d’attirer entreprises et travailleurs, on s’enrichit. La croissance démographique est bonne pour l’économie, mais aussi la culture, le dynamisme, et elle pousse à innover.

– Moi je suis venu ici comme réfugié avec un rêve, celui de pouvoir être moi-même sur le continent des Droits de l’Homme. Maintenant il faut pas blâmer les gens, les inégalités sociales et économiques se sont installées ici aussi, et c’est pour ça que les gens ils vont vers les votes extrémistes, ils cherchent des réponses.

– De toute façon cette crise identitaire idéologique économique appelez-là comme vous voulez elle touche toutes les échelles. Là c’est le tour des régionalismes de ressurgir, avec dans pratiquement chaque pays européen une région qui veut se faire la malle.  Ecosse, Catalogne, Italie du Nord, pays basque, mais aussi ….Canada, Chine, Irak, Israël… Dans toutes ces nations, des mouvements indépendantistes invoquent la race, la religion, la culture et l’histoire. Plus personne veut payer pour personne, surtout pour ceux qui sont pas nous-mêmes. La nation elle veut dire quelque chose tant que l’État a du pognon.

– Mais je crois que vous voyez pas que ce que la mondialisation a provoqué, c’est une crise de la nation. Et c’est une réaction normale et pas une contradiction qu’il y ait un plébiscite de la nation justement en temps de globalisation. Parce que contrairement à ce que vous pensez, les gens ont besoin de savoir qui ils sont. Et souvent la référence nationale est encore celle vers laquelle il est le plus aisé de se réfugier.

– Faudrait savoir, est-ce qu’on veut l’Union, l’Atlantisme, la globalisation ou l’État, l’État, l’État, toujours plus d’État ! A chaque crise la même réponse, économie dirigée !

– Vous savez pourquoi le peuple désavoue ses politiques, je vais vous le dire moi, c’est parce qu’ils n’ont plus de conviction, plus de ligne. Leurs intentions sont fluctuantes, eux pour le coup ils circulent, ils voguent selon l’air du temps, un coup d’un côté, un coup de l’autre, en fonction des faits divers, et les gens ils sont perdus dans tout ça.

– Vous êtes incapables de sortir de vos contradictions. Soit on prône le célibat, soit on reconnaît que l’union fait la force.

– Faut pas se leurrer, attraction population étrangère égal tout simplement pays prospère. En gros c’est qu’on se porte bien.

– Les Suisses voient des inconvénients dans cette évolution et ressentent une angoisse quant à l’avenir. Parce que in fine, tout est toujours une question démographique bien plus que politique ou économique. Plus de monde, c’est la saturation des infrastructures, la baisse des salaires, la pression, la crise du logement.

– Moi qui m’intéresse un peu à l’histoire économique, je peux vous dire qu’aucun pays n’a jamais réussi à survivre en autarcie.

– Avec une réelle volonté, on peut très bien profiter de la globalisation. Soit on joue le jeu soit on se retire. Mais si on décide de jouer, il faut utiliser toutes les cartes. Et il y en a des bonnes de cartes à jouer.

– Pourquoi ce serait à des entreprises étrangères de décider qui doit venir travailler dans notre pays ?

– Bravo à ce peuple qui a dit ce pays est à nous, on veut rester indépendants et pas se laisser dicter sa conduite par des puissances extérieures.

– Quel sens à la souveraineté lorsque les citoyens sont au chômage ?

– Notre modèle de croissance économique a failli. Les gens en ont marre. Le peuple adresse certes un message à l’extérieur, mais aussi un message à ses entreprises.

– Ce pays a vendu son âme au capitalisme. On n’est pas forcément riches et heureux…

– Et pourquoi attirer des multinationales serait une mauvaise chose ? On est quand même bien contents d’avoir tous ces emplois, quand tout autour les gens nous envient.

– Le pays vit du tourisme, la Tunisie vit du tourisme, voilà tout le monde le sait. Et ben maintenant, ça va être vraiment, la cata. Tous s’inquiètent énormément de voir les gens qui s’en vont.

– Ouais ben faut voir aussi dans quelles conditions elles viennent ces entreprises, elles viennent avec leur personnel importé, une horde de nantis qui refusent de parler notre langue, qui se mêle rarement à la population locale, qui font monter les loyers avec leurs gros salaires de cadres internationaux, et redessine complètement la région et la dynamique économique… Un moment c’est pas parce qu’ils ont des sous que nous on a forcément de la place, et qu’on veut forcément leur vendre nos villages, et notre âme avec !

– Ben déjà, et en plus c’est eux qui sont chez eux, c’est plus nous qui sommes chez nous. C’est des gens qu’on connaît pas, qui nous connaissent pas, c’est triste quoi… Et on n’a tout simplement pas la même mentalité, ces gens-là ils croient qu’ils peuvent tout acheter avec leur argent.

– Le truc c’est qu’avec les sous viennent toujours aussi des hommes. On peut pas attirer des entreprises et faire comme si y’avait personne dedans… Si y’a rien d’organisé, après c’est normal que ce soit tendu.

– Ouais, ben avant y’avait pas tous ces travailleurs étrangers et l’économie allait très bien.

– Avant quoi ?

– Jsais pas, avant quoi.

ACTE III. Se fermer à l’étranger, s’ouvrir à l’inconnu

– Il faut arrêter ce réflexe défensif. On ment aux gens. On va droit dans le mur. Le commerce mondial aujourd’hui fait qu’aucun produit n’est plus fabriqué entièrement dans un seul pays. Le commerce mondial c’est l’intégration des savoir-faire et des composants à l’échelle globale.

– Exporter c’est bien, importer c’est mal. Or pour exporter, il faut importer. Quand on parle d’échanges, c’est dans les deux sens, ça veut dire que si on arrête d’un côté, on ne récolte plus les bénéfices non plus.

– Ok jusqu’à présent ça nous a bénéficié, mais maintenant on peut pas continuer, on peut plus absorber. Il faut anticiper.

– C’est totalement incompréhensible de vouloir saper ce qui fait la prospérité de ce pays.

– Moi je pense que quand on a une vision à ce point pessimiste du monde, il faut arrêter la politique. Parce qu’avec la vitrine qu’on a, le virus est très contagieux.

– Je crois qu’on va vous laisser à vos romans d’anticipation, barbouiller dans vos peurs, et nous on va s’en retourner faire ce pour quoi le peuple nous a élus, c’est-à-dire trouver des vrais solutions.

– Nous avons mis en garde depuis deux ans sur l’urgence face au climat qui se tendait, face à la progression des mouvements populistes. On voulait proposer des solutions pragmatiques, autre chose qu’un simple discours sur les valeurs.

– Un vote c’est pas juste un signal, c’est des conséquences concrètes dans la vraie vie des gens. Le vote se traduit dans la vie réelle.

– Il faut écouter les inquiétudes, la réalité vécue, même si au vu du taux de chômage, elle semble paradoxale. Les gens rejettent le modèle libéral parce que ce dernier ne profite qu’à une minorité.

– Les milieux économiques n’ont pas su entendre la souffrance des gens, ce sont eux les responsables, et maintenant voilà où on en est, avec leur circulez, y’a rien à réguler.

– On ne règle pas les problèmes par des révolutions mais par des évolutions, des ajustements. Il faut réformer pas anéantir.

– Je ne comprends pas ce nouveau paquet de mesures d’accompagnement à la libre circulation, c’est une stratégie qui vise à la cimenter, ce n’est pas ce que nous avons demandé, ce n’est pas ce que le peuple a décidé.

– Avant d’être un signal envoyé au monde, je pense qu’il faut y voir un profond désaveu des politiques, une crise de confiance à leur égard, un vote de défiance.

– On doit écouter le message envoyé par le peuple, même si l’avenir est désormais jonché d’incertitudes.

– Notre victoire doit faire réfléchir nos politiques. Ils ont cru que c’était dans la poche. Mais les gens veulent contrôler l’immigration. Maintenant c’est très difficile de dire ce qu’il va se passer.

– Le sentiment qui domine désormais, c’est l’inconnu. On voulait l’ordre, le contrôle, on récolte l’incertitude, le chaos.

– L’incertitude va nuire à notre économie. Notamment les multinationales qui malgré ce qu’on en dit créent énormément d’emplois dans ce pays, et qui ont besoin d’un environnement politique stable pour investir. Ce qu’on ne semble désormais plus aptes à leur offrir.

– Il faut aller vite, parce que le temps de l’économie ne suit pas le même rythme que le temps du politique.

– Au fond les citoyens ont adressé des préoccupations tout à fait pragmatiques, qui relèvent de leur quotidien. Travail, logement, infrastructures… et aussi souveraineté et identité un peu.

– Bien sûr qu’on a besoin des étrangers, mais pas au détriment des citoyens de ce pays, ça amène plein de problèmes. Et si nos jeunes ils sont au chômage, alors là il faut dire stop. On doit d’abord engager des nationaux.

– Vous avez quand même besoin de nous pour occuper les places que vous voulez pas. Alors pourquoi vous voulez nous mettre dehors ?

– Je suis pas contre les étrangers, mais si tout le monde arrive ici et qu’après on doit les entretenir, alors ça va pas.

– On nous dit de contingenter le personnel étranger, mais dans notre domaine y’a pénurie sur le marché local, national, donc ce n’est pas possible.

– C’est bien beau de laisser venir travailler des gens, mais si on fait rien pour les transporter, les loger, les scolariser, il faut que les choses bougent.

– Vous avez raison, vous allez avoir toute la place que vous voulez dans vos trains quand les gens seront partis parce qu’il n’y a plus de boulot.

– Je crois que le peuple n’a pas pris la mesure de la décision.

– Ce rejet du libéralisme, cette résistance à Bruxelles, cet entre-soi conservateur des petites vallées, cette peur du moins a ouvert une boîte de Pandore. Aujourd’hui certains disent après moi le déluge.

– Avec toute l’émotion mise dans ces dossiers, le peuple n’a peut-être pas toujours toutes les cartes pour exercer son rôle de souverain dans la démocratie directe.

– Il y a un intérêt mutuel à trouver une solution. À un vote émotionnel il ne faudra pas que nos partenaires réagissent de manière trop émotionnelle.

– L’esprit de cette initiative va à l’encontre du principe de libre-circulation, fondamental, et absolu. Tout le monde circule, ou personne ne circule. C’est simple.

– Il faut arrêter de se blâmer, un grand nombre de nos voisins n’auraient pas suivi une autre voie.

– Cette libre-circulation est contestée à l’intérieur même de l’Union. Et les partis eurosceptiques ont véritablement le vent en poupe.

– Je suis très satisfaite du résultat, on devrait faire comme les autres pays et adopter une immigration plus qualitative.

– Vous mentez aux gens. Et vous proposez quoi ? Un remède bien pire que le mal. Votre seule cartouche c’est de jouer sur l’irrationnel, sur les peurs, vous savez que vous n’avez aucune chance si on lance un débat basé sur la raison.

– On propose juste de réguler, je ne vois pas ce qu’il y a d’émotionnel là-dedans !

– C’est pas à vous que je vais apprendre ce qui se cache derrière les discours ! C’est quoi le message qu’on décide d’envoyer avec ces mesures ?

– La solitude c’est l’impasse. Les partis populistes qui poussent les nations dans cette voie les conduisent au désastre.

– Moi j’ai un peu l’impression quand je vois les mesures prises contre notre pays qu’on nous a un peu menti quand même. Ce que je vois c’est l’avenir et la carrière de nos jeunes qui vont être péjorés. La recherche, les débouchés à l’international, les échanges académiques, les start-up, tout ça va être touché.

– J’étudie dans une école tournée vers l’international, j’ai grandi et suivi toute ma scolarité dans une optique d’ouverture, alors là j’avoue que je suis un peu sonné…

– Je veux juste vivre dans un pays fier de lui. Faire des enfants, mener une vie tranquille.

– Les Suisses de l’étranger, plus libéraux, redoutent clairement les conséquences d’un repli.

– On a fait un bond de vingt ans en arrière.

– En même temps de quoi vous vous plaignez, on assiste à un réveil de la société civile, qui maintenant commence à faire des propositions pour lutter contre l’isolationnisme.

– Nous les jeunes on est pragmatiques pas angéliques. Et on se sent pleinement citoyens de ce pays, qui est métissé.

– Je suis super déçu. Le multiculturalisme c’est le monde dans lequel j’ai grandi. C’est le dynamisme. C’est l’image que j’ai de ce pays dans lequel j’ai grandi, avec un double passeport.

– Un quart d’étrangers dans ce pays et vous venez nous dire qu’on est xénophobes ?

– Ca me désole ce repli anti-densification, alors qu’il y aurait tellement de mesures à prendre, tellement de défis à relever.

– Ce pays n’a jamais demandé à devenir une locomotive, un pôle ou je ne sais quoi. On n’a jamais demandé ça nous, voir notre territoire se transformer en ville, en monde.

– Je crois que les gens se sont réveillés parce que ce qu’on leur a vendu était vide, c’était un message sans contenu. Je crois que la solution est dans l’action et pas dans la protestation.

ACTE IV. La Société multiculturelle

– J’enseigne à Los Angeles, et quand on est sur le campus, on entend toutes ces langues différentes et on voit tous ces gens différents et en classe, ce qu’il n’y a plus, ce qu’il n’y a pas, c’est un « nous » ; c’est-à-dire que moi j’enseigne l’histoire de la pensée politique, et on ne peut plus compter sur une sorte d’histoire philosophique et religieuse partagée, mais moi je trouve ça extrêmement excitant, et je pense que le multiculturalisme n’est pas une idéologie c’est une réalité…

– … Non c’est une idéologie, excusez-moi, la réalité est le produit d’une idéologie. C’est lié au commerce international, les ouvriers européens devenaient trop chers et revendicateurs et on a brisé ça avec votre magnifique multiculturalisme qui a permis de faire passer en douceur un appauvrissement généralisé. Ça s’appelle une ruse de l’histoire

– En effet y’a plus d’inconscient culturel collectif, ça c’est vrai, mais c’était vrai au 17ème siècle déjà. Moi je ne sais pas ce que ça veut dire le multiculturalisme, ce que j’ai dans ma pratique c’est que je ne peux plus faire les cours comme je les faisais il y a dix ou quinze ans ; pourquoi parce que je dois parler en « langues » comme dans la Pentecôte.

– En fait y’a une sorte de d’uniformisation positive du savoir, d’une idée politique.  Dernièrement à San Francisco des milliers de jeunes manifestants de multiples nationalités ont manifesté ensemble pour des mêmes revendications face à justement ce qu’ils identifiaient comme un défi commun pour cette génération, à savoir la mondialisation et les effets du capitalisme… Ce campus a prouvé que de façon multi-nationale, multiculturelle on pouvait avoir les mêmes revendications politiques, des revendications politiques solidaires.

– Moi je trouve que tout se perd, y’a une dissolution de ce qui a été la grande culture, …

– Ben c’est logique, y’a plus de « nous » collectif à qui on peut enseigner cette grande culture, donc elle se perd, c’est logique.

– Ce qu’il faut voir ce n’est pas ce qu’on est en train de perdre, en fait on est en phase de transition entre deux époques majeures, on est en train de créer une nouvelle culture. C’est juste l’Histoire qui avance.

– C’est déjà là, les gens sont en train de le faire, et justement il y a cette espèce de traduction et de possibilité de se traduire et de se parler, ou de parler des langues communes, qui fait qu’il y a ce « nous » qui n’est plus le même « nous » mais qui est quand même un « nous » à venir, et qui se fait. Et moi je le trouve merveilleux, je trouve que justement s’il faut parler de libéralisme d’une façon qui ne soit pas banalisante, aplatissante et toujours négative c’est ce « nous », c’est ça le noyau, c’est une forme de libéralisme intéressant…

– On ne réconciliera pas ce soir les tenants de la renaissance et les tenants de l’apocalypse…

– La transformation de la nation en société multiculturelle dans laquelle chacun amène sa nourriture conduit à une crise de l’intégration, parce que le pays ne s’assume plus, oublie son propre héritage. Cette nation multiculturelle n’est pas souhaitable parce qu’elle conduit à la division.

– Mais c’est une phase de la rencontre, l’histoire a toujours fonctionné comme cela, le métissage se fait de toute façon, l’humanité est faite de ces phases de rencontres, de conflits et de mélanges, avec des modèles culturels plus ou moins attirants qui s’imposent selon les époques.

– Depuis dix ans dans ce pays on est amenés à se focaliser sur une composante de nos identités, c’est la politique de division qui a été menée qui a conduit à ça.

– Il y a une réelle inquiétude dès lors que la culture du pays d’accueil n’est plus dominante et que l’autre n’a donc plus à s’y intégrer. Or ce pays est fondé sur le principe de laïcité, ce principe n’est pas négociable, il est la meilleure manière de vivre ensemble.

– Si vous parlez de vivre ensemble, il faudrait aussi parler de la ghettoïsation des anciens colonisés, d’une politique qui a conduit à enfermer tous les pauvres ensembles.

– En fait le questionnement identitaire est un problème global, lié à la mondialisation. La souffrance identitaire est plus grave que la souffrance économique, et cette souffrance n’est pas l’apanage des seuls immigrés ou de la nation dans sa globalité, mais concerne aussi des régions à l’intérieur de ce pays.

– Mon identité régionale est très forte, pour autant j’ai le droit d’avoir une double culture, j’aime autant ma région que ma nation. Le fait de vouloir que son identité régionale soit respectée et reconnue n’est pas du tout incompatible.

– La mondialisation économique a apporté un développement non soutenable et derrière on a tous ces intellectuels américains qui voudraient aussi nous imposer leur modèle du multiculturalisme, qui sape notre laïcité.

– Vous nous parlez d’un courant minoritaire, même aux États-Unis. Arrêtez de paniquer dès que vous voyez un post-quelque chose ou un multi-quelque chose. Ces modèles-là nous on peut les inclure, dialoguer avec eux, les dépasser, pas les rejeter. Faire l’Histoire c’est inclure toutes les histoires.

– Peut-être aussi qu’on n’est plus forcément fiers de ce modèle qui a été le nôtre, on n’est plus prêts à le défendre…

– On vit une période d’antéphobie, de rejet de tout ce qui vient du passé, et le problème de l’homme qui n’a plus ni histoire ni identité c’est que c’est l’homme de toutes les violences

– Là où on est d’accord, c’est qu’ici nous défendons la République, une et indivisible, cet idéal du mélange, et le communautarisme c’est ce qui peut arriver de pire.

– Ce qu’on n’ose pas dire, parce que c’est pas politiquement correct, c’est que le mélange avec des cultures trop éloignées n’est pas gérable. Ca ne fonctionne pas lorsqu’on mélange des civilisations trop éloignées, or les cultures de la Méditerranée orientale sont extrêmement différentes de la nôtre…

– Donc vous continuez à prendre le problème à l’envers, à stigmatiser. Bien sûr qu’il existe des cultures éloignées, et tant mieux. Mais c’est d’une banalité, et ça n’apporte rien de dire cela. On ne peut pas d’un côté importer de la main-d’œuvre et de l’autre faire comme si tous ces gens étaient juste des bras. Et puis quand on externalise et qu’on a moins besoin de main-d’œuvre étrangère, alors là la culture de l’autre commence à être pointée du doigt.

– Comment avoir envie de s’intégrer, d’admirer une culture qui vous stigmatise, non je vous dis, on prend le problème à l’envers…

– Je le répète, dire qu’on est différents est d’une banalité déconcertante. On le sait tous, on a fait avec jusqu’ici. Et encore heureux qu’il existe des cultures différentes, c’est la richesse. Maintenant la question est de savoir si on fonde un rapport à l’autre essentiellement basé sur nos supposées différences ? On est pas ontologiquement chrétien ou musulman, on est musulman ou chrétien entre autres choses, les gens ne se sont jamais définis par leurs simple appartenance religieuse, c’est absurde !

– Derrière ces débats, il y a toute une Histoire, une histoire qu’on veut nier. C’est ce déni qui empêche aujourd’hui certains pays européens de construire une véritable société pluri-culturelle, avec l’inclusion des minorités visibles. Pour dépasser les rancoeurs, il est temps de se regarder dans le miroir, et de prendre une photographie en couleurs de cette nation.

– Et en même temps revenir là-dessus encore et encore contribue à assigner des populations dans des rôles de victimes. Je sais ce que mes ancêtres ont subi, mais ça ne m’empêche pas d’agir dans le présent, j’ai des atouts, je suis dans l’action, pas la lamentation. Je prends acte de mon histoire, mais cette histoire pénible ne doit pas être instrumentalisée en identité.

– D’un autre côté il faut en parler, quand on me dit que je suis issu de l’immigration c’est faux. Je suis français et je suis issu de la colonisation, pas de l’immigration. Mon père il était français, dès la naissance. Pourquoi on dit que je suis français issu de l’immigration, et pas français tout court ?

– Aujourd’hui, le point commun, le défi commun de nos générations, c’est la mondialisation, une histoire de peuples, de racines multiples et de mélanges des peuples.

– On n’est plus les enfants de la colonisation on est les enfants de la mondialisation. Et cette mondialisation et ce qu’on veut en faire elle nous concerne tous.

– Et chacun doit prendre sa responsabilité, à savoir reconnaître qu’on vient tous de nulle part et de partout, qu’on est fait de mélanges et d’histoires, qu’on est fait les uns des autres. Alors une grande partie de nos problèmes seront réglés.

– On parle de ce que hier le dominant a fait subir au colonisé. Mais on ne dit pas qu’aujourd’hui, dans un contexte totalement différent, de mondialisation généralisée, ces mêmes anciens colonisés, devenus immigrés, ont des double cultures, et ces doubles cultures, cette expérience du mouvement, si on sort des frontières de cette seule nation, a des avantages indéniables. La crainte vis-à-vis des étrangers, c’est aussi le miroir qu’ils nous renvoient, à savoir celui de ne se révéler que mono-identitaire, de ne pas maîtriser  plusieurs langues, de ne pas avoir cette ouverture, ces opportunités supplémentaires. Y’a une jalousie quelque part de ces migrants qui auraient quelque chose qu’on n’a pas.

– Non, la crainte c’est qu’ils ne s’intègrent pas et que disparaisse avec eux non seulement notre héritage, mais toutes ces traditions, ces manières de vivre auxquelles nous sommes si attachés, et qui forgent notre identité.

– Mais c’est absurde, en quoi le reflet de la culture de l’autre t’empêcherait de conserver et de continuer à faire vivre tes traditions ? Si ta culture est forte, il n’y a aucune raison qu’elle se dilue. Maintenant, la cohabitation conduit inévitablement à des hybridités, mais ça c’est magnifique. Des cultures totalement refermées n’ont pour le coup aucune chance de survie. Maintenant le métissage ne doit pas être forcément vu comme quelque chose de subi, d’imposé, c’est un processus volontaire, un goût, un intérêt pour la manière d’être de l’autre, qui va me faire emprunter certains de ses traits.

– Peut-être qu’on doit aussi se poser la question de ce qu’on demande à un étranger qui vient ici. Respecter les lois et les coutumes, s’intégrer, s’assimiler ? L’assimilation n’a plus aucun sens. La voie c’est le respect d’un socle de principes fondateurs du pays d’accueil, consensus de base sur lequel se construit l’intégration, processus de transformation mutuelle.

– En tout cas depuis une décennie l’ambiance a changé, et dans les cités aussi, on donne plus de place à la différence, là où avant on se côtoyait et se respectait, peu importe la religion. C’est le regard qui a changé. La politique et les médias s’en sont mêlés et ont mis l’accent sur nos différences, maintenant je suis d’abord noir et toi tu es d’abord arabe, toi t’es d’abord français de souche, alors qu’avant on vivait dans le même quartier, on était pareils, on voyait bien que y’avait des différences de décos, mais on se posait pas plus de questions. La différence culturelle a remplacé la classe socio-économique, c’est ça qui s’est passé.

– Ouais, et je crois que ce qu’on demande à un moment aussi c’est juste une banalisation de notre présence, qu’on arrête de nous renvoyer dans tout ce qu’on accomplit à nos origines, comme si elles définissaient toujours notre parcours, comme si c’était encore bizarre notre présence ici, ou contre-nature qu’on se réalise dans tel ou tel domaine.

– Ce pays est fait d’intégrations successives, d’ajouts. L’identité d’un pays où un tiers de la population a des racines étrangères, elle se construit tous les jours. Faut pas oublier de quoi est constituée la France à la base, de peuples divers, et ce pays c’est d’abord un pays où on adhère à un projet. Elle est là l’identité nationale.

– Oui, il n’empêche que l’image qui a été construite est bien ancrée, il va falloir beaucoup d’énergie pour sortir de cette survalorisation d’une seule composante de nos identités. Même si c’est pour nous victimiser, c’est pas mieux. On finit nous-même par intérioriser cette image de nous et surinvestir notre soi-disant différence. Personnellement je vois pas pourquoi je devrais faire partie de mettons la communauté musulmane, alors que c’est ma religion, mais je suis plein d’autres choses, je suis pas ni enfermée ni limitée par elle. Je ne me sens appartenir à aucune communauté, mais faire partie d’une société.

– Je fantasme pour ma part sur le jour où les migrants ne seront plus considérés comme le problème mais la solution.

– Et du jour où on se fichera totalement des traditions de l’autre, même si elles ne sont pas les miennes, tant que ça le rend heureux…

– Bon après faut pas non plus tomber dans un modèle de parfaite tolérance genre à l’anglo-saxonne avec des gens qui certes se tolèrent mais s’ignorent totalement. C’est plutôt triste…

– De toute façon, dans les grandes villes aujourd’hui, les religions sont bien présentes, on voit l’autre vivre sa foi, mais en même temps cette foi elle peut être un peu différente. Et donc ça nous fait un point commun, on peut être religieux, mais on est d’abord des religieux mondialisés, et ce retour de la foi, c’est très moderne, c’est justement un trend global, et commun à beaucoup de communautés, donc en même temps ça devrait nous rapprocher.

– Et ce phénomène ne touche pas du tout que les communautés immigrés j’ai envie de dire, mais aussi les nationaux, beaucoup de jeunes de souche j’ai envie de dire intègrent des églises modernisées aujourd’hui.

– Ben va expliquer ça à ceux qui manifestent en chantant qu’ils ne seront pas les esclaves d’Allah et la France aux Français, ça fout les jetons, des moments j’ai peur d’être ici.

– Sauf que ces mouvements ultra-nationalistes c’est pas propre qu’à ce pays, c’est dans toute l’Europe, et ces mouvements ils sont présents en Grèce, Allemagne, Pays-Bas, Autriche, Grande-Bretagne, … partout, vraiment partout, alors je sais pas tu veux aller où ?

– Bon en même temps faut relativiser l’ampleur on voit des images et c’est minoritaire, c’est la même chose dans l’autre sens, peut-être eux ils ont vu des images d’extrémistes islamistes et ils croient que y’en a beaucoup.

– A la base, on en revient toujours à la même chose. A la base, pour celui qui est là comme celui qui vient, y’a la peur de perdre son identité. Et après pour le reste, y’a la récupération politique et les médias qui font tout le travail….

– Et ce qui fait peur, c’est la violence, c’est la guerre de la misère, parce qu’à un moment ceux qui sont le plus extrémistes, c’est les laissés pour compte des deux côtés, ils se battent pour des restes.

– Et malheureusement  les jeunes sont souvent les plus touchés par l’habitat précaire et le chômage…

– Bon après il faut pas aussi toujours dire que parce qu’un endroit il est pauvre que c’est forcément que le chaos et la violence. Regarde les banlieues, les banlieues c’est le trafic un peu c’est aussi ça, mais c’est quoi aussi, c’est aussi une mentalité du sud, des gens qui rient, c’est la tchatche, la solidarité, le soleil dans le cœur, et c’est une touche qui aujourd’hui fait partie de l’identité nationale parce qu’elle a rejailli dans le cinéma, l’art, le monde de la culture en général, et ça c’est positif comme apport. Tu peux rigoler un peu, même si t’es pauvre. Y’a pas besoin d’être au top pour décrocher un sourire. Je milite pour le droit à la bonne humeur.

ACTE V. Cohabitation & Nation

– Qu’est-ce qui se passe dans ce pays ? Je fais partie de la génération « Touche pas à mon pote », ce serait le moment que les potes se réveillent là !

– On vit dans une époque de retour, de retour de la barbarie. Des gens s’exilent pour fuir le racisme.

– Mais qu’est-ce qui s’est passé en vingt ans, pour qu’on passe d’une France où Ellie et Dieudonné jouaient ensemble, à une France où toutes les communautés s’affrontent ?

– C’est ce climat de fermeture ambiant qui devient vraiment pesant. Il est où l’eldorado de l’ouverture ?

– Vu l’ambiance qui règne dans ce pays, j’ai décidé de faire mes valises.

– Soyons clairs. Les politiques du multiculturalisme ont totalement failli.

– Je pense qu’on devrait profiter de la commémoration du carnage de l’extrémiste Breivik pour réveiller les consciences européennes sur l’inquiétante montée de l’ultra-droite qui prend ses aises dans toute l’Europe et qui est loin d’être anodine.

– On donne trop de place à l’événement isolé qui devient une montagne. Le plus souvent, ceux qu’on taxe de racistes sont seulement des fous.

– Je suis extrêmement préoccupée par la stigmatisation grandissante et les commentaires xénophobes qui foisonnent sur les réseaux sociaux.

– Vous avez pas un peu l’impression d’attiser les tensions avec de telles unes ? Alors que quand on lit le dossier c’est « circulez tout va bien » ? J’ai l’impression que les gens attendent autre chose d’un journal comme le vôtre.

– En même temps vous connaissez la réalité médiatique, on ne peut pas survivre si on ne fait pas des unes mordantes, personne ne va acheter notre journal avec des couvertures tièdes. Et puis quelque part ces visuels crus traduisent les interrogations des gens.

– On vit une époque de repli et de crispation identitaire, on assiste à une véritable régression.

– Il y a beaucoup de cette hystérie dans les médias. L’immigré y est soit pauvre, soit riche. S’il est pauvre, il vit à nos crochets. S’il est riche, il nous prend tout. L’immigré est devenu une figure fantasmagorique du complot paranoïaque. L’immigré arrive pour vous voler votre femme et vivre des allocs, vous piquer votre maison et votre boulot, remplacer votre culture par l’islam.

– On a besoin de voix fortes. Hélas, l’anti-intellectualisme véhiculé par les partis populistes a fait des ravages…

– Y’a quand même une ambiance électrique en ce moment, on est tout le temps en train de diviser les gens

– Le rôle de l’écrivain, c’est de regarder la réalité en face.

– Pour moi c’est pas un livre sur l’intégration du tout, parce que c’est le genre de parcours qui peut arriver dans n’importe quelle famille, c’est juste que je parle de ce que je connais.

– Les binationaux refusent de s’assimiler. Il faut mettre fin à la double nationalité et arrêter l’immigration. Et il faut supprimer l’acquisition de la nationalité sous prétexte qu’un étranger naît sur notre territoire. Il faut choisir, être français ou autre chose. Il faut que l’État retrouve son autorité. Aucun autre pays n’accepte de subir ce que nous subissons chez nous.

– On vit plutôt une expérience d’expatriés que d’immersion. Contrairement à notre pays où les étrangers sont amenés à se fondre, ici chacun reste ce qu’il est. Et se mélange peu.

– Le regard que les gens portent sur notre communauté évolue gentiment, et ça c’est positif. Maintenant on se projette sur la longue durée ici, on s’investit, on créée des entreprises, on achète des biens, on se naturalise, on s’engage en politique. Les choses avancent, bougent. C’est bien. Maintenant mon identité est toujours partagée entre les deux pays, je ne veux pas choisir.

– Mon pays d’accueil n’accepte pas la double nationalité. C’est très dur de choisir entre deux cultures, deux pays auxquels on se sent appartenir.

– Le droit de vote n’est pas justifié par les impôts que l’on paie, il doit être le résultat d’une volonté de partager un destin commun. Le droit de vote n’est pas un outil d’intégration, c’est la consécration du processus. C’est la citoyenneté qui conditionne le droit de vote, et la citoyenneté c’est l’appartenance à la nation républicaine. On veut participer, on demande la nationalité.

– Il faut rester ferme. On ne peut pas être loyal envers des pays avec des cultures trop différentes.

– Bien sûr qu’on gagne en accueillant d’autres nationalités, mais la finesse de notre manière d’être est dénaturée par la mondialisation accélérée.

– On ne veut pas d’une Cité-État aux 80% d’étrangers. On ne veut pas être une seconde Dubaï

– Oui bien sûr que ça nous plaît d’avoir des gens qui viennent des quatre coins du monde. C’est ce qui a fait que notre pays s’est développé. Toutes ces différentes façons de penser, c’est ça qui a rendu possible l’innovation et la créativité ici. Ça nous a aidés à nous ouvrir, à penser différemment. Pas seulement de notre point de vue.

– On ne peut pas mettre dans un appartement plus de personnes qu’il peut en contenir. Il faut préserver notre pays de la surpopulation. On doit trouver le seuil de population optimum, et s’y tenir.

– C’est vraiment extraordinaire d’arriver à cohabiter aussi bien sur un aussi petit espace, et de pouvoir y faire le tour du monde.

– Nous ne voulons pas d’un pays mégapole avec tous les problèmes de misère, d’insécurité et de disparition des paysages que ça implique.

– Je préfère un pays à dix millions et prospère qu’un pays qui connaîtrait un exode massif de ses forces vives…

– Ok, d’accord pour briser des tabous, mais ne soyons pas absurde ! Du fantasme de la décroissance et de la pureté environnementale au national-écologisme il n’y a qu’un pas…

– Mais, y’a pas de surpopulation dans ce pays, encore un problème qu’on s’invente !

– Sous le vernis, tout ça n’est que le symptôme de la profonde crise d’identité que traverse notre pays.

– Il faut pas se leurrer, le débat qu’on a ici on le retrouve dans tous les pays européens, voire au-delà.

– Vous voulez définir une identité pour ce pays ? Alors je propose que l’identité de notre pays, être 100% nous c’est l’ouverture, elle est là notre force.

– L’anglais est la langue universelle, de l’économie, de la recherche, et notre pays est globalisé, ouvert au monde.

– La langue n’est pas que utilitaire, elle est culturelle, elle est le reflet de son environnement ! On ne peut pas se mettre en bouche les mots des autres, hors-contexte ! On perd qui on est, on importe une vision du monde déconnectée, ça ne fonctionne pas.

– Partout autour de moi, j’assiste à un regain d’intérêt des gens pour leur culture régionale, nationale. Des traditions qu’on avait pour habitude de taxer de folklorique sont réappropriées par la population.

– Plus le monde s’uniformise, plus les gens célèbrent leur culture. Et ils le font pas seulement pour les touristes, ils le font pour eux…

– Qu’est-ce qui nous lie aujourd’hui, des institutions politiques ?

– Ce qui nous lie ce sont surtout nos clivages, parce qu’on est différents culturellement, ce qui fait ce pays, c’est avant tout la tolérance pour les minorités…

– Un pays qui a déjà été capable d’intégrer ces minorités nationales, de faire cohabiter ces minorités qui font sa nation sera plus enclin vis-à-vis de l’extérieur.

– Pour savoir où l’on va, on doit se demander qui nous étions hier et se pencher sur notre histoire.

– Pour arriver à vivre ensemble tout en étant différent, il faut oublier l’Histoire, pas la ressasser.

– Je le répète, on est dans un pays laïc.

– Nous devons nous définir une identité. On est peut-être de culture musulmane, mais on se sent plus proche d’un Maltais que d’un Saoudien. Notre identité c’est plutôt une identité méditerranéenne musulmane.

– Le problème des Musulmans c’est l’absence d’amour de la patrie, parce qu’ils sont plus attachés à la communauté religieuse, à la Oumma.

– Si je viens chez vous, est-ce que je dois respecter votre code de conduite ? …. Non mais répondez-moi Monsieur, est-ce que si je viens chez vous je suis invité à respecter vos valeurs et vos traditions ? Et bien ici c’est pareil.

– Ils disent qu’on est des islamistes, des salafistes, qu’il faut se protéger contre nous. Nous on préfère ignorer, on ne veut pas tomber dans le piège. C’est toute notre communauté qui pourrait pâtir d’avoir réagi aux provocations d’une infime minorité.

– Nous avons mis sur pied une commission de laïcité qui sera chargée de faire le point sur l’essor des tenues religieuses. Nous ne pouvons pas tolérer que chaque communauté y aille de ses spécialités.

– Il n’y a pas de problème de voile à l’école chez nous, c’est n’importe quoi. Encore un effet d’annonce. Et la paix religieuse qui règne elle est le fruit de l’acceptation de la diversité.

– Ces atteintes à la laïcité sont inacceptables.

– Moi j’écoute les citoyens de ce pays qui à 80% sont pour l’extension de l’interdiction du port de la burqa à l’université et dans les entreprises.

– C’est clair qu’une boîte qui se moque de la diversité et a prétention à vendre des produits à l’international n’est pas tenable. Le racisme, c’est mauvais pour les affaires.

– La tolérance est devenue une valeur en voie d’extinction. Même chez les partisans traditionnellement des valeurs d’ouverture. La dégradation s’amplifie, on ne trouve plus guère de défenseurs du vivre ensemble.

– Je suis pas parti, parce que je savais pas ce que j’allais bien pouvoir raconter aux enfants. Il faut rester et faire face.

ACTE VI. « Deuxième Génération »

– Moi ma double appartenance je la négocie dans un rapport win win. Je suis tout à fait intégré, j’ai même plus l’accent que mes potes du cru. Je suis l’un ou l’autre, quand ça m’arrange. Par contre ma femme, je l’ai rencontré dans la communauté…

– Moi je veux une épouse blanche ou métisse, mais ma mère elle me dit que je dis ça parce que je suis jeune… who knows ? A l’école on est tous ensemble, on grandit ici, dans cette petite ville, on est pareils.

– Nous nos parents ils nous laisseront le choix, même si je sais qu’ils préféreraient qu’on prenne quelqu’un de la même culture qu’eux.

– Nous on est peut-être tiraillés, mais pour nos parents c’est pire, eux ils sont carrément entre deux mondes et à la fois plus ou pas encore dans aucun. Le monde qu’ils ont connu chez eux n’existe plus, et à la fois ici c’est pas leur monde non plus parce que même s’ils sont intégrés comme on dit, ils ont quand même continué à vivre dans le fantasme de leur monde d’avant. Et ils subissent la pression de la communauté, du qu’en dira-t-on et tout ça.

– J’ai dû me battre, et surtout en tant que fille, pour imposer mon indépendance à mes parents, et surtout mon compagnon d’ici. Ils ont refusé de me voir durant de nombreuses années, et puis au final j’ai tenu bon et eux ils ont vu que j’avais pas mal tourné, alors ils se sont détendus. C’est vrai qu’à la base leur rejet venait du fait que moi aussi je rejetais, je voulais être considérée locale, et quelque part je rejetais ma culture d’origine, la leur, je ne pensais pas que je pouvais être les deux. Aujourd’hui, cette lutte intérieure est passée, je suis réconciliée, à l’aise avec les deux.

– Je crois que je suis pas tiraillée entre deux cultures, mais entre deux générations, la mienne et mes parents. Par exemple, je mens tout le temps, je n’ose pas leur dire que mon copain est d’une autre religion, ça les tuerait, c’est comme si c’était la seule chose à laquelle ils pouvaient vraiment se raccrocher, ça et leurs enfants…alors forcément dans leur tête ça va ensemble…. A chaque fois que je franchis la porte de la maison, j’ai l’impression de mentir, de me travestir, de laisser un bout de moi-même. J’aimerais partir pour vivre pleinement avec ces deux morceaux de moi.

– L’avenir dépendra du courage, de la détermination de notre génération à imposer notre monde mélangé à nos parents.

– Moi mes parents ils évoluent, parce qu’ils savent que la société elle évolue, et qu’on peut rien y faire, et que les communautés font aussi partie de cette société alors…

– Aussi nos parents ils se sont beaucoup sacrifiés pour qu’on n’ait plus qu’eux, alors quand quelqu’un il se sacrifie pour ton avenir à toi, ben forcément, tu ressens un peu de pression, t’as pas envie de décevoir.

– Moi on m’a toujours appelé l’Arabe pour déconner, en fait je suis athée, et humoriste, voilà ce que je suis. Mes parents sont déjà un couple mixte, alors ils ont tracé une voie pour moi, pour que je puisse me réaliser et devenir qui je veux. Et mon communautarisme à moi, c’est le milieu que je fréquente, c’est mon quartier.

– Mais parfois on voit nos parents, comme ils se sont fondus dans le décor, comme ils ont fait profil bas, comme ça n’a pas changé au fait qu’on les stigmatise et qu’ils restent modestes, alors moi je veux pas ça pour moi. Je suis ici et je vais pas me taire ou me cacher. J’ai le droit de réussir.

– Et justement il dit à un moment « à quoi bon en fait », parce que il a l’impression qu’avec toutes les compromissions qui sont induites par la société, qu’au bout du compte quand on a fait toutes ces compromissions, qu’on s’est mis à nu pour appartenir à un groupe et avoir l’impression de ressembler à ce qu’on attend de nous, et qu’on nous ramène quand même à notre origine, ça peut parfois être difficile à vivre.

– Je viens d’une communauté qui est là depuis un demi-siècle, on a été mélangés vite avec des gens d’ici, et du coup on s’est intégrés, et avec les générations les préjugés se sont effacés. Mon italianité, c’est comme un cocon, ça me donne un truc en plus. J’ai plein de famille là-bas où je peux aller en vacances, en même temps je suis naturalisée, et je ne vois pas la contradiction. Tant qu’on oublie pas d’où on vient, ni où on est.

– Le truc c’est qu’à un moment, cette question de savoir qui on est ne se pose même plus, c’est peut-être un truc de médias ou de politique je sais pas.

– Je fantasme sur le jour on où on arrêtera de nous ramener constamment à nos origines et notre statut… Bien sûr que mon parcours de migrante a influencé ce que j’ai fait, mais je ne veux pas que mon travail soit ramené uniquement à ça, qu’on soit ramené uniquement à ça. Ce film est peut-être un film avec des migrants, mais pas un film sur la condition migrante.

– Moi je vois pas l’intérêt de me faire naturaliser. Déjà je suis né ici et je devrais passer un examen, je vois pas pourquoi. Je pense que l’intégration et l’identité n’ont pas grand-chose à voir avec la nationalité. Bien sûr que j’aimerais voter, mais je ne me reconnais pas forcément dans cette définition de la citoyenneté. A voir.

– Je vois les choses différemment. Je suis venu ici comme réfugié avec mes parents. Alors j’aime un pays et deux cultures. Ce pays m’a tout donné, j’aime ce pays et l’autre il m’a rien donné, mais j’aime ma culture d’origine. C’est pas la même chose que l’idéalisation d’un pays, c’est différent. La culture c’est un truc que tu peux emporter partout avec toi, et tu peux t’installer avec elle ailleurs et alors apprendre à aimer aussi une autre culture. Après au début faut beaucoup lutter contre les stéréotypes mais on apprend.

ACTE VII. Territorialités

– Les gens ne s’assimilent plus. Je vois avec beaucoup de chagrin le communautarisme l’emporter.

– C’est quand même génial d’être en Afrique du Sud et d’être transporté comme ça, j’ai vraiment l’impression d’être en Inde.

– Je suis content de vivre ici, parce qu’on est avec nos amis, avec les gens de notre communauté. On vit ensemble, j’ai beaucoup de chance. Le mode de vie sur ces îles peut servir d’exemple, on est de multiples cultures mais chacun y met du sien. Dimanche c’est notre fête, la fête du raisin et dans un mois la fête de fin du Ramadan, et les musulmans participent à nos fêtes et nous nous participons aux leurs. Le soir toutes les communautés se retrouvent dans les cafés, et on chante toutes les langues de l’archipel.

– A Melilla on avait recréé des mini-États dans le campement, avec les drapeaux de nos pays qui flottaient. C’était comme une Afrique en miniature, avec une organisation par communautés.

– C’est vrai qu’on se mélange pas beaucoup avec la population locale, mais on n’a pas besoin, on travaille dans un environnement international où la langue c’est l’anglais, puis nos voisins et nos amis c’est aussi des gens comme nous, on a même nos pubs… Le feeling c’est presque comme à la maison. Y’a même les écoles internationales pour les enfants. C’est plus facile ici qu’ailleurs parce que y’a tellement d’internationaux. On sait pas combien de temps on reste, bien sûr si ça dur beaucoup d’années alors on essaiera d’apprendre la langue, de s’intégrer.

– Ce roman c’est l’histoire d’un homme qui revient s’installer dans son quartier à Paris. Et là le quartier il est devenu chinois. L’autre il est là, il est visible dans les murs, et là le mec il devient fou. Et moi je suis pas là pour le juger, j’ai moi-même vu le quartier où je me suis installé quand j’ai immigré changer de populations. Alors je suppose  que c’est une réaction violente, mais c’est la réaction que tu peux avoir quand tu vois que tu es dans ton pays mais qu’un bout de pays est devenu un autre pays.

– Attendez dans certains villages y’a plus de frontaliers que de nationaux. Les gens en ont marre, les gens en ont marre. Et la plupart de ces frontaliers, qui viennent juste pour le salaire et les avantages, ils ont cet espèce de sentiment de supériorité et ça les travailleurs et travailleuses de ce pays, ils en peuvent plus.

ACTE VIII. De la Société multiculturelle à la Société métissée

– Alors les différentes communautés s’entendent bien… tant que y’a pas de mélanges.

– En tout cas pour moi l’avenir il passe par le métissage. Aujourd’hui on se prend encore la tête pour savoir qui est arabe, jaune, noir, blanc… mais d’ici quelques générations, quand on sera tous métissés y’aura plus ce problème.

– C’est difficile d’être métisse, parce que vous voyez on est une espèce d’hybride, que les uns et les autres ne comprennent pas.

– Les communautés se mélangent peu, mais ça n’a pas toujours été le cas, jusqu’au 19ème siècle les mariages mixtes étaient encore chose fréquente. Nous les Baba Nyonya, nous sommes une communauté très bien intégrée, car nous pouvons collaborer aussi bien avec les Chinois qu’avec les Malais, dont nous avons adopté le mode de vie.

– Mais ça avance, ça avance. Je vois beaucoup de gens qui ont fait le forcing, et au bout d’un moment les parents ont accepté. Et aujourd’hui je vois beaucoup des parents de mes potes marcher avec des enfants métisses, et c’est très beau. Pour moi c’est ça la force. C’est une génération choc, une génération qui va être super bénéfique.

– Regardez la Réunion, c’est un mélange incroyable, …

– Ouais, ben là le racisme il est à tous les niveaux, entre les communautés aussi, on peut être potes, mais on se mélange pas vraiment. Dès qu’il s’agit d’amour, de fonder une famille, ça y est on est plus ensemble, on se trouve des tas de différences.

– Bon c’est surtout les parents qui pensent comme ça…

– Mais nous aussi, on vit ici et dès qu’il s’agit de choses sérieuses, on se réfugie vers la culture d’origine, comme une protection, quelque chose qu’on pourrait revendiquer. Alors que quand on va là-bas, on n’est pas de là-bas, on est français.

– En même temps, autour de cette table on est quoi, en majorité en couples mixtes ? C’est formidable, notre pays est extrêmement riche de ces mariages, c’est un truc qu’on devrait valoriser.

– Ouais et cet exemple c’est aussi un forcing à la base mais c’est un exemple pour nos parents, et avec le temps, ils changent eux aussi, ils apprennent à faire confiance et se mélanger avec les autres, à vivre véritablement ici, dans le lieu.

– Jme suis mise en couple avec quelqu’un de la même origine que moi pour leur faire plaisir, mais en fait ça c’est pas mieux passé. Ca fait pas un couple en fait.

– Y’a pas d’interdit religieux, on peut très bien se marier entre croyant des religions du Livre.

– Mon père voulait que j’épouse quelqu’un du pays… le truc c’est que son pays c’est pas mon pays !

– Nous contrairement à nos parents, on n’a pas d’excuse pour pas se mélanger, on a grandi ensemble !

– Oui nous on est l’avenir de nos parents, et nos enfants là, tous nos enfants nés de ces mélanges sont notre avenir, ils vont construire une toute autre société, qu’on n’arrive pas à imaginer aujourd’hui. C’est une extraordinaire source d’optimisme pour l’avenir.

– C’est très riche l’expatriation pour les enfants. Ils fréquentent toutes sortes de nationalités. Ma fille veut épouser un Colombien et vivre en Colombie plus tard parce qu’elle s’est faite une amie colombienne dans sa classe.

– Dans cette classe, expatriés et demandeurs d’asile sont mélangés, ont le même statut. Ils sont liés par leur expérience migratoire qui les a conduits dans un pays duquel ils doivent apprendre la langue. La matière principale c’est le vivre ensemble, et la façon dont ça se passe ça rend clairement positif et extrêmement enthousiastes face à l’avenir.

– On sait qu’on est pleinement deux choses quand on peut rire des gens d’ici et de là-bas et qu’eux peuvent rire de nous sans que ça froisse personne. Là tu sais que y’a la confiance. Mais ça vient naturellement, avec le temps, faut juste que les gens soient mélangés et habitués à vivre ensemble.

– Vous me parlez de notre rocher comme un carrefour de clandestins, c’est ça pour les médias, mais pour moi c’est un petit monde, avec sa position au croisement des routes du Vieux Monde et du Nouveau Monde, et tous ces gens qui sont venus de partout et sont restés ici. C’est un endroit où tu peux voir une nounou arabe avec un enfant juif. Ici juifs, protestants, catholiques, hindous, musulmans vivent ensemble et on est fiers de comment ça se passe.