Les Mots : Quête, crise, revendication, reconnaissance, focalisation, survalorisation, fièvre, hystérie, orgie, obsession, tsunami, surinvestissement, frénésie, crispation, piège, exacerbation identitaire ! Culture, puritanisme, essence, passéisme, nostalgie, tradition, authenticité, racines, stéréotypes, simulacre, parodie.

« Le monde d’aujourd’hui n’est pas un monde globalisé ; c’est un monde déchiré entre des poussées globalisantes et des pulsions identitaires. » (Alain Tourraine, in Knafou (et al.), 1998, 20)

Revenons à notre récit en quatre temps autour de la tension entre mobilité et ancrage, avec pour thème le match que se jouent le monde du réseau et le monde du territoire. Suite de l’intrigue avec l’entrée en scène de l’identité, qui représente le trait d’union entre les deux volets de ce récit, entre la phase de consécration de la mondialisation-réseau et la phase d’amorce de démondialisation et de retour du territoire-État. L’identité est à la fois le trait d’union et le point de rupture. Celle qui en même temps divise et met tout le monde d’accord. Parce qu’à la fois les tribus qui bougent, les tribus qui ne bougent pas, et la nation doivent se (re)définir après la tornade mondialisante. Otage de cette bataille, l’identité est elle aussi sommée de choisir son camp : figée ou dynamique ? Prétexte, notre otage se retrouve en même temps sur le banc des accusés : en focalisant toutes les attentions, elle attise les tensions. Car l’intrigue se corse et la cohabitation est en danger lorsque l’identité culturelle, notre héroïne consacrée, celle devant laquelle tous s’inclinent, décide de camper sur ses positions et de prendre racine. En attendant le dénouement, cette quête du « Qui sommes-nous » qui s’est emparée de nos sociétés contemporaines basculerait presque du côté de la farce, tournant parfois à l’absurde. Laissez-moi donc vous présenter l’incontournable, l’indétrônable, l’inégalable, au carrefour des disciplines et des enjeux contemporains : l’Identité !

Des alliés pour atteindre le consensus

Cette quête identitaire est fille de la mondialisation, parce que cette dernière a mis la planète en mouvement, parce qu’elle a engendré un monde d’interactions et d’interdépendance généralisées. Parce qu’en agissant comme tel, elle a suscité crainte de la dissolution et peur de l’homogénéisation culturelles, mais aussi phobie du désordre, de la perte de repères. D’où le refuge vers ce qui à la fois différencie et rassure : l’Identité culturelle, qui se révèle différenciation et cadre. Les individus, les sociétés vont matérialiser cette identité culturelle, qui devient leur « cadre portable », compensation de l’ordre perdu. Désormais, la délimitation, la classification, les immuabilités, les repères, on les porte sur soi, en soi, à défaut de les trouver dans une quelconque stabilité économique ou cadre politique. On fige nos identités, avec le risque de devenir des caricatures. On ne fige pas à priori pour se définir contre, mais pour se rassurer, se donner un point d’ancrage dans le mouvement. Figer son identité et revendiquer l’immuabilité apparaissent alors comme un antidote aux angoisses mondialisées, comme la seule manière d’arrêter le mouvement, de reprendre le contrôle.

La mondialisation ne pouvait aboutir en solo à un tel consensus, à ce phénomène global qui pour le coup transcende les différences identitaires. Elle a trouvé quelques alliés qui lui ont filé de l’aide sur ce coup-là. La fièvre identitaire naît de plusieurs contextes et mouvements qui se renforcent les uns les autres.

Le contexte historique d’abord. Après les décolonisations, après la guerre froide, face à un monde désormais multipolaire et post-moderne, un monde à redéfinir, un monde aux idéologies passées et aux hiérarchies obsolètes, où tous les points cardinaux ont désormais le droit de « cité » et de bouger, conduisant à l’ère de l’assemblée générale, l’identité culturelle apparaît comme un salut. Les mouvements post-modernes, l’égalité de fait des sociétés et le relativisme culturel, empêchant de se définir « au-dessus de », vont arriver à point nommé pour perturber encore un peu plus des sociétés qui à la fin de la guerre froide n’ont déjà plus d’ennemis identifiables contre qui se définir, et ce jusqu’au tournant du siècle où de nouveaux ennemis vont émerger. Dans un monde post-moderne, post-colonial, mondialisé et urbain, les anciennes catégories ont disparu et ce sont les ethnies qui vont désormais remplacer les classes sociales.

Le contexte idéologique ensuite. On l’a vu précédemment, c’est dans ce contexte que se sont affirmés les deux grands paradigmes identitaires du choc des civilisations et de l’avènement des minorités culturelles. Deux approches qui vont se greffer sur ce nouvel ordre, et qui vont contribuer à la fois à mettre en lumière et ancrer dans les consciences une vision du monde envisagée à travers le prisme identitaire. A l’instar du culturalisme, qui affirme qu’en dernière instance c’est la culture qui détermine les individus.

Au tour des Nations Unies d’entrer en scène, en consacrant l’ère du « droit à la différence » et encourageant les politiques multiculturelles dont on a parlé plus avant. « la diversité culturelle apparaît désormais comme un objectif à promouvoir bien au-delà de la question des minorités nationales. Significatif à cet égard est le Programme des Nations unies pour le Développement (Pnud) sur « La liberté culturelle dans un monde diversifié » (2004) : constatant la montée des revendications identitaires dans l’ensemble de la planète et posant en principe que pouvoir choisir son identité – pratiquer sa religion, parler sa langue, célébrer son patrimoine ethnique – est un élément essentiel du développement humain, le rapport plaide pour des politiques qui, au-delà des droits civils et politiques universels, garantissent que les intérêts des groupes minoritaires ne soient ni ignorés ni supplantés par la majorité ou les groupes dominants – en d’autres termes pour des politiques « multiculturelles ». (Atlas des Minorités, Danièle Lochak, 11)

Les Nations Unies ne recommandent pas seulement de protéger les cultures des minorités, mais contribuent à patrimonialiser les cultures en édifiant une liste du « patrimoine immatériel de l’humanité ». Les cultures traditionnelles deviennent des biens précieux qu’il s’agit de sauvegarder. « le patrimoine culturel immatériel est un facteur important du maintien de la diversité culturelle face à la mondialisation croissante » (http://www.unesco.org/culture/ich/index.php?lg=fr&pg=00002). Cette patrimonialisation des cultures contribue à envisager le caractère évolutif incontournable de toute culture comme appauvrissement du patrimoine de l’humanité. Ce faisant, elle contient le risque d’aboutir au simulacre culturel. Sur la Place Jemaa el Fna de Marrakech par exemple, on retrouve désormais des acteurs sommés de rejouer indéfiniment la même scène, vidée peu à peu de sa substance, en gros de son authenticité.

Ce besoin d’affirmer et de préserver les identités culturelles s’inscrit également dans la mouvance de l’écologie et de la mise en valeur et la préservation de la biodiversité. Le monde est désormais préoccupé et mobilisé contre la perte de la diversité  biologique mais également humaine. Dans cette logique, on encense le particulier, l’originel, le pure, l’authentique. La prise de conscience de la perte de diversité biologique a réveillé la conscience de la diversité ethnologique. Il faut sauver ses langues, son patrimoine, ses racines. On fait la guerre à l’homogénéisation culturelle. On veut de la diversité, mais de la diversité-pureté, pas de la diversité-hybridité, pas de la diversité-organismes-génétiquement-modifiés. Cet attrait pour la diversité se conjugue donc avec une recherche de pureté. Une quête d’être(s) divers, mais pas hybrides. On veut le retour à la nature, au sang pur. On vit dans le fantasme, l’utopie du retour aux origines. L’époque est à la nostalgie. Ce mythe de l’originel, du naturel, ce mouvement de retour à la nature va contribuer au retour aux / des terroirs.

Tous ces contextes s’épanouissent dans le monde de l’image, du marketing et de la communication, de l’émergence de l’identité territoriale, des identités-business. On assiste à la mise en scène et à la « disneylandisation » du Monde. Une fois déterminée, l’identité culturelle doit se mettre en scène, se dire, se promouvoir, s’exprimer. Le marketing offre dès lors un cadre et des outils pour renforcer leur diffusion. Devenues vecteurs d’image positive, on se doit de mettre en avant les cultures, mettre en valeur les spécificités, les particularismes. La diversité-marketing se charge de promouvoir l’exotisme des communautés culturelles. Les identités culturelles s’affichent dans les terroirs, dans les quartiers ethniques des villes, elles en font la promotion. Tout comme les hommes, les lieux doivent aussi se définir. Le marketing territorial va mettre en avant les identités des lieux, promouvoir des identités urbaines ou régionales spécifiques.

Mondialisation et redéfinitions

A l’ère du grand brassage mondial, on se rapproche, on se rencontre, on se compare, on doit se présenter à l’autre et marquer sa différence. Les cultures sont primordiales dans le processus de mobilité, car comment se présenter si on n’a rien à se dire, si le monde est uniformément modernisé ? La quête identitaire touche toutes les échelles, personnelle, communautaire, urbaine, régionale, nationale, supra-nationale, globale. Je me contenterai d’aborder les identités des communautés infranationales et l’identité nationale.

Communautés, Terroirs et Nations

Cette quête identitaire a d’abord touché les groupes mobiles, les communautés transnationales, avant d’atteindre par réaction les autochtones, les assignés à résidence, les urbains, la population « nationale » dans son ensemble. Face au mouvement de l’autre, on cherche à se (re)définir. A la nostalgie des uns, maladie de l’exil, maladie de l’espace perdu, va répondre la nostalgie des autres, maladie du temps perdu. Tandis que les uns fantasment un lieu perdu, les autres fantasment un passé perdu, et s’amorce alors un trend de mouvement de retour. La nostalgie devient alors très en vogue. Retour aux racines, aux origines, à la terre natale, aux traditions, recherche des ancêtres, retour à la terre, au village.

C’est donc naturellement que l’époque va signer le grand retour et la réaffirmation des terroirs. Effet bienvenu et pas si inattendu de la mondialisation, le virus identitaire, en se propageant, permet aux autochtones de se redécouvrir, de se réapproprier ce qu’ils ont eux-mêmes oubliés d’eux. Le peuple de la ville redécouvre ses terroirs, ses traditions, et dans la même veine, se découvre un désir de retour à la communauté. C’est le retour au village, l’exode à l’envers, en quête de valeurs traditionnelles et d’authenticité. Renaissance et exaltation d’un passé enfoui. Peu importe qu’on rejoue une scène entrée dans l’histoire, peu importe que ça nécessite de réveiller le musée.

Si la mondialisation a conduit à la crise identitaire, elle a contribué par réaction au retour des terroirs, leurs traditions, et conduit à se réapproprier des modes de vie qui après avoir été souvent stigmatisés comme arriérés, démodés, ont acquis le noble label « authenticité ». Désormais, le label tradition a acquis ses lettres de noblesse. On voit alors fleurir des productions médiatiques et des projets artistiques qui exaltent les cultures régionales, leur patrimoine culinaire ou matériel, leurs charmes. On assiste sur petit ou grand écran au retour de héros vers leurs racines, au retour du patois dans la littérature, au triomphe de projets musicaux contant légendes bretonnes, tempérament corse ou acadien. Des hommages à des cultures-racines souvent créés depuis l’ailleurs. La région devient une star du petit et du grand écran qui contribuent à donner le goût du terroir et au renforcement des identités régionales. L’amour de la région peut même se décliner en passeport, à l’image du passeport valaisan lancé par une agence de communication. Cette identité régionale réappropriée est à la fois ouverture et fermeture. Ouverture, car la région peut connaître une renaissance grâce au tourisme. Fermeture, car une forte identité régionale trop enracinée s’avère difficilement pénétrable pour les mobiles.

Mais ce mouvement de réinvestissement des identités régionales va être récupéré voire induit par des partis populistes qui encouragent à s’affirmer face aux « colonisateurs », tous ces autres amenés ici par la mondialisation, nous reléguant dans nos arrière-pays, sans visibilité et sans travail, qui tirent leur épingle du jeu de leur capital mobile et de leur organisation communautaire, qui semblent tirer avantage de leur identité communautaire. Ce n’est pas parce qu’on est assignés à domicile qu’on ne s’est pas perdu en « chemin ». Pour contrer la crise et retourner dans le jeu, rien de tel qu’une réaffirmation de son identité.

Pour se convaincre de l’importance qu’a prise la question identitaire, il suffit de regarder ce qui se fait du côté de la production artistique. Les héros des romans contemporains sont des héros biculturels en quête de leur identité, la négocie dans le mouvement ou se placent dans un mouvement de retour aux racines. On revendique ou est en recherche, on questionne l’identité aussi bien au théâtre, à la télévision, dans la littérature ou en chansons. Le binational questionne, le régionaliste exalte, l’urbain compose. Ces productions sont le fait de nationaux comme de binationaux, elles questionnent à la fois l’identité régionale, nationale ou transnationale.

Un État en étau ?

Affirmations identitaires ethnique et régionale participent en fait du même phénomène. Elles répondent à la même logique, à savoir le besoin d’une bi culturalité dans le monde mondialisé : modernité et culture traditionnelle du lieu racines. Alors entre l’affirmation des identités mobilités des minorités ethniques et des identités terroirs des régions, voici l’État, se trouvant pris en étau entre d’un côté des identités de minorités culturelles fortes, de l’autres des identités régionales fortes. Entre deux types de communautés : les communautés du monde et des terroirs. Il croit devoir prendre parti. Mais plus encore, il réalise que le monde se redéfinit dans les villes, les régions se redéfinissent aussi. Et lui ?

Les enjeux de la réforme territoriale française illustrent bien ces affirmations et redéfinitions identitaires infranationales. Le débat autour du redécoupage régional du pays suscite les passions. L’État doit à la fois donner plus d’autonomie aux Villes-mondes, et respecter les identités régionales fortes. Satisfaire mondialisation et régions. Révélateur également le débat helvétique autour de l’enseignement des langues nationales. Le choix de certains cantons alémaniques d’abandonner l’enseignement du français au profit de l’anglais, tout en validant le retour en force du dialecte dans l’enseignement, montre la façon dont une région, ici linguistique, renégocie son identité aujourd’hui. Dans ce cas précis, on a d’un côté renforcement de l’échelle régionale, avec l’enseignement en dialecte, et de l’autre renforcement de l’échelle mondiale, avec enseignement de l’anglais en deuxième langue, et diminution de l’importance de l’échelle nationale, avec l’abandon de l’enseignement d’une langue nationale.

Au lieu d’endosser le rôle du père conciliateur, l’État va entrer lui aussi dans la valse de la redéfinition identitaire, en quête de ses racines. Au lieu d’embrasser toute cette diversité pour en faire la synthèse, au lieu d’apaiser, il va prendre parti. La quête identitaire devient pêle-mêle mouvements simultanés d’en bas et d’en haut.

Le retour de l’État et la quête de l’Identité nationale…

Souvenez-vous de notre chaîne de liens : Mondialisation – Mobilités – Identités – Territoires. C’est entre Identités  et Territoires, le dernier trait d’union, dans cet espace-là que l’État s’engouffre avec la question de l’identité nationale. Car au-delà de la question du « Qui sommes-nous ? », « Qui est la Nation ? », « Qui sont ces groupes qui font la Nation ? », se pose la question du « Comment vivre ensemble ? », et par « comment », on entend aussi « où » et « avec qui ».

L’identité, les identités sont toujours récupérées, exploitées politiquement. La quête d’identité va dès lors prendre la tournure d’un glissement vers des idéologies identitaires inspirées par des partis politiques. Les États vont récupérer la tendance pour reprendre la main, entrer dans la danse pour redéfinir les traits de cette « communauté imaginée » (B. Anderson) qu’est la Nation. Dès lors, le débat sur l’identité nationale va exacerber les passions. Miroir d’une société qui se cherche, ou tentative de récupération d’un État en perte de légitimité, dépassé par le Monde mobile ? Réincarner la nation ou diviser pour mieux régner ? Il s’agit désormais de trouver la bonne formule, le bon dosage, la bonne recette identitaire. Alors le plat national ? Blanquette, couscous ou… « Couscous aux lardons » (Farid Omri) ? Fish & Chips ou chicken tikka ? Cosmopolitisme ou partis populistes ? Le questionnement peut être fécond si les intentions sont bonnes. Si on se contente comme diagnostic des « Petits chocs des civilisations » (Fellag) et non le « Choc des civilisations » (S. Huntington). Dans ma « Willlennation », la chaîne de télévision nationale a consacré un mois entier au thème de l’identité nationale, pour tenter de répondre aux questions «D’où venons-nous ? », « Qui sommes-nous ? », et « Où allons-nous ? », mais en tentant d’embrasser à la fois Histoire et diversité démographique du pays.

Sous-jacent à cette définition de l’identité nationale, l’imposition d’une idéologie sur le territoire. Car l’identité s’incarne au final toujours dans l’espace public. Ainsi, une vision rétrograde percevra les identités multiples comme un danger et tendra à un espace public désincarné, vidé de toute identité culturelle visible.

Or jusqu’à présent, les tentatives politiques de redéfinition de cette identité nationale ont accru les replis derrière les lignes de front. En France, le tristement célèbre « Ministère de l’Identité nationale » n’a fait qu’accentuer les clivages. Pourquoi ? Parce qu’à priori il concevait le métissage identitaire comme un problème et non une solution. Il s’est borné dans une idéologie passéiste, complu dans le primordialisme, dans un mythe écologiste de prétendu identité originelle, il s’est maintenu au stade embryonnaire, est demeuré débat, sac vide. Il n’a pas dépassé le champ idéologique pour se muer en initiatives. Il s’est révélé un questionnement sans réponse, une idée sans projets fédérateurs, un fourre-tout qui divise, un trouve-rien qui frustre. Une réussite, un vrai modèle de division cette récupération politique. Oui, l’obsession identitaire peut faire des ravages. Ainsi, la France « black – blancs – boers » de 1998 a évolué en « il faut des quotas dans l’équipe de France » de 2014. La marche pour l’égalité et contre le racisme a été définitivement estampillée marche des Boers. Et pourquoi pas une citoyenneté à deux vitesse ?

C’est comme le graal, l’identité nationale d’avant le grand mouvement, tout le monde la cherche, personne ne la trouve.  Mais pour autant qu’on trouve cette fameuse identité nationale originelle, dans quel dessein, quelle finalité et quelles implications si on se s’entête dans une vision passéiste et qu’on nie le monde mobile ? Le désordre. La solution amplifie la cause… Au lieu de la question apparemment insoluble du « Qui sommes-nous », peut-être devraient-ils rediriger leurs efforts vers la question « Qui pourrions-nous devenir ? », dans une dynamique de vision, d’énergie collective. L’État-nation est victime d’un type de maladie appelée anomie, la maladie de l’identité ou plutôt de l’absence d’identité. L’approche souvent essentialiste de la prétendue identité nationale voudrait figer pour inclure, mais à la fois figer pour exclure. Je lui préfère l’approche constructiviste, celle d’une identité en perpétuelle évolution. L’identité d’une nation aux identités multiples, pour vivre ensemble, tout simplement… Pour qu’on n’en arrive pas à se balader en portant non plus seulement sa culture, mais son idéologie…

Dans ce chaos et cette désespérance étatico-nationale, les gouvernements peuvent toujours compter sur les tensions géopolitiques ou les grands événements sportifs fédérateurs pour catalyser et exalter le sentiment d’identité nationale. Mais aussi sur les artistes, car comme l’identité régionale ou cosmopolite, l’identité nationale a ses soutiens, avec des productions culturelles tournant autour de l’identité nationale et l’amour du pays.

Une héroïne incomprise…

« Les identités culturelles collectives ne sont, pas plus que les identités individuelles, un donné stable, un attribut permanent d’un groupe ou d’une société (courant culturaliste) ; en tension perpétuelle entre continuité et rupture, elles se modifient par intégrations successives, abandon et appropriation. » (Dictionnaire de l’Altérité et des relations interculturelles, 158)

Tantôt on considère l’identité comme une essence, tantôt on la perçoit comme une construction permanente. On parle d’approche essentialiste et d’approche constructiviste. Pour les tenants des « Cultural Studies », toutes les identités sont construites, y compris l’identité sexuelle.

Aujourd’hui les identités culturelles, omniprésentes et incontournables, tendent à être perçues comme l’identité première : la culture est devenue synonyme d’Identité dans le débat socio-politique. On fait souvent l’amalgame entre culture et identité. L’identité peut alors se révéler « piège identitaire ». En fait la culture n’est qu’une facette de l’identité, une parmi les multiples identités qui s’offrent à nous. Les cultures sont des ressources de construction de l’identité. La culture donne un cadre. Mais les cultures, systèmes de valeurs et de pratiques, sont elles-mêmes construites, contextuelles, non permanentes et non stables. Elles ne sont pas des donnés, mais des boîtes à outils.

Elles se basent sur la réalité mais également sur des dimensions intangibles, sur des imaginaires collectifs. A l’intérieur de la boîte à outils de l’identité culturelle, la langue et la religion sont de puissants facteurs d’appartenance. L’identité culturelle communautaire est à la fois inclusion et exclusion.

Et si la « solution identitaire » n’était au fond qu’un grand malentendu ? N’en déplaise aux partisans de la recherche de l’ordre perdu, l’identité n’est pas fixité et simplification. Elle n’est pas une mais multiple. L’identité est COMPLEXITÉ. Véritable notion « trans- », au carrefour des disciplines et des enjeux, la notion d’identité traverse les champs, pour s’appliquer aussi bien à l’individu et à la psychologie qu’aux sociétés et par extension aux sciences sociales et politiques. Elle est à la fois transnationale et ancrage, se nourrit de ses racines et s’enrichit dans le mouvement. L’identité est un processus, une dynamique. A l’image du monde, l’identité est mobile. L’identité est paradoxale, tout à la fois permanence et changement. L’identité sociale se modifie constamment, au contact de l’autre, en fonction des contextes personnel, sociaux, politiques.

L’identité est interactions. Elle se définit, se construit, se reconstruit dans l’interaction, face à l’autre. Elle est validée par l’autre, et souvent assénée de l’extérieur. Elle se construit à la croisée de multiples affiliations, selon des critères variés, en fonction de valeurs dans lesquelles nous nous reconnaissons. Nos appartenances sont toujours multiples et dynamiques. Nos identités nationales, ethniques ou religieuses ne sont qu’une identité parmi d’autres. Le surinvestissement ou la survalorisation d’une facette est toujours réductive, appauvrissement voire danger. L’identité est choix et réversibilité. On choisit nos appartenances et les multiples réseaux auxquels on s’affilie. L’identité est l’enjeu d’incessantes négociations et ajustements. L’identité est contexte. Les identités collectives et modes d’appartenance ne résistent pas à la disparition des valeurs de référence. Lorsqu’une référence perd en puissance, comme aujourd’hui l’appartenance nationale, on redéploye son identité vers d’autres identifications comme la ville, la région, ou l’ethnie. La chute d’un système social ou politique aboutit à la construction d’identités inédites. (Source : Dictionnaire de l’Altérité et des relations interculturelles )

Du « Je bouge donc je (ne) suis (plus) » au « Je suis donc je suis mieux avec » 

Reprenons le raisonnement… Dans le mouvement, on se trouve face à un processus de définition et de redéfinition du soi, du nous, au contact de l’autre, dans l’ailleurs ou ici. On se réapproprie les spécificités d’une culture dont on prend soudain conscience. On va faire le récit du pays et se rapprocher du semblable pour se rassurer ou valider cette identité qu’on se (re)découvre. Passé la phase des présentations, vient la phase de la transformation et de la redéfinition au contact de l’autre. Les cultures se mélangent, et à peine on a cru savoir qui on était, qu’on ne l’est déjà plus vraiment. Il y a deux façons de négocier ce contact. Camper sur une identité prédéfinie, ou lui préférer sa version dynamique, et accepter de s’enrichir, de se modifier, complexifier ses traits.

La mondialisation n’assigne pas à une identité, la mondialisation consiste en un jeu d’échelles identitaires. Acceptons ses règles, entrons dans le jeu, bricolons ces identités multiples, elles sont une richesse, un capital. Prenons acte que tout comme le monde, l’Identité est un concept labile, une réalité mouvante, dynamique, pas un concept qu’on pourrait immortaliser. L’Identité nationale ne se photographie pas, si ce n’est sous la forme d’un instantanée.

Patrie portative pour les uns, occasion de révéler un exotisme national ou d’exalter les terroirs pour les autres, encensement des traditions, de la diversité, du patrimoine, redécouverte des tribus, simulacre du passé, grande scène de théâtre où les diversités représentent les nouveaux jeux, divertissement, consommation. L’identité, au cœur de toutes les problématiques contemporaines, a de beaux jours devant elle. Allons-y franchement, puisque l’Identité est devenue l’accessoire indispensable, autant jouer avec ! Demandons-nous qui nous sommes, rien de plus légitime, si c’est pour être « mieux avec » et pas être « contre ». Et jouons avec, n’en faisons pas une fin en soi, ne laissons pas notre quête identitaire devenir délire identitaire, si on ne veut pas que les identités deviennent « meurtrières » (A. Malouf). Contrairement à la thèse d’un fameux paradigme civilisationnel, les identités ne conduisent pas nécessairement au conflit. Savoir qui l’on est non pour être contre mais pour être mieux. Tout est une question de dosage, de curseur. N’oublions pas que les identités sont comme le monde, elles sont mobiles et pas immobiles ! Acceptons les croisements au lieu de faire la chasse aux plantes invasives, apprécions autant les appellations d’origine contrôlées que les appellations d’origine incontrôlées.

A suivre : identités-divisions et identités-scissions

Dans le monde intellectuel, certains auteurs ont renoncé au terme d’identité, « empoisonné par les idéologies « identitaires » négatrices d’historicité » (Dictionnaire de la Géographie et de l’Espace des Sociétés, 523).

Lorsque cette quête identitaire devient idéologie et hystérie, elle glisse vers le repli, et la crispation identitaire va conduire aux scissions : séparatismes régionaux, communautarisme, replis nationaux. Lorsque tous les projecteurs ne sont braqués que sur les identités culturelles, c’est le risque de balkanisation. On assiste ainsi à une multiplication des désirs de séparatismes notamment en Europe. Au Moyen Orient, le processus semble déjà bien avancé. Les populismes lorsqu’ils se durcissent ne veulent plus entendre parler du monde mondialisé de la ville. Lorsque le politique ne parvient plus à définir sa communauté nationale autour de valeurs, le nationalisme religieux a le vent en poupe. En gros, lorsque la quête tourne à l’hystérie, toutes les échelles se tournent le dos. Revendiquant faire coïncider échelles de gouvernance et échelles identitaires.