Octobre 2014

 

1Quand on pense à la Cosmopolis, dans l’imaginaire collectif, on pense évidemment à New York. New York, l’incarnation du mythe du Melting Pot. New York lieu mythique et mystique. New York, notre lieu de pèlerinage à nous païens de la mondialisation. New York s’est donc imposée comme la première escale incontournable de mes errances en Villes-Monde. Et pour mon troisième séjour dans le cœur du monde, j’ai voulu saisir New York autrement, l’appréhender à travers l’angle de la cohabitation des centaines de peuples qui fondent l’âme de cette cité. Car aujourd’hui, des rumeurs disent que cette capitale qui donne le pouls du monde, toujours en avance, se serait métamorphosée en nodule de transnations, de « diasporas de publics enfermées dans leur bulle ». Pour le dire autrement, New York serait passée non pas du Melting Pot, ce creuset où chaque feuille conserve son identité tout en étant liée par la sauce américaine, à la Cosmopolis, la cité de la grande confusion, mais au Salad Bowl, ce saladier où chaque feuille reste dans son coin. Je suis donc venue vérifier à New York quelle route a pris la cohabitation. Evolution à priori « naturelle » ou « marche arrière » ? Ce sentiment d’appartenance des communautés à la nation américaine que les terres d’élection du monde entier envient serait-elle du passé ?

Pour me faire mon idée, je vais voyager dans la mosaïque new yorkaise composée de dizaines de territoires communautaires répartis sur les cinq boroughs de New York. Quand on pense enclaves ethniques à New York, on pense indubitablement aux quartiers touristiques de Manhattan, ces vitrines de la diversité marketing dont on a parlé précédemment. Mais au-delà des vitrines attractions touristiques de Chinatown ou Little Italy, de nombreux territoires abritent des communautés plus récemment arrivées.

Si la légende dit vrai, je vais pouvoir me contenter de prendre un seul billet d’avion pour ensuite voyager à travers le monde, un monde cadré par les frontières de New York. Et j’espère que ces voyages globaux dans le local, ces voyages « glocaux », me permettront de ressentir tout ce que le papier m’a révélé jusqu’ici, et que de ces errances surgiront des pistes de réflexions. J’ai donc concocté une ébauche de plan, en sélectionnant une poignée d’univers identifiés. Pour saisir la cohabitation new yorkaise dans sa globalité, je ponctuerai ces errances d’allers-retours vers Manhattan, l’espace partagé, terre pas si vierge qui fond les communautés dans le Melting Pot new yorkais, soude la mosaïque et donne une cohérence au tout.

Je suis donc partie pour déambuler, avec un itinéraire mais sans plan méthodologique précis, si ce n’est de respirer cette énergie, sentir l’évolution, capter les voix et les ambiances, trouver l’inspiration, multiplier les rencontres spontanées, déchiffrer les murs et la configuration des quartiers. Ressentir les pulsations, les vibrations de la Ville-Monde pour mieux sonder l’état de la mondialisation, évaluer le vivre ensemble, tester les théories de cette réflexion, déterminer si la capitale mondiale de l’économie échappe à la tendance politique de repli. New York laboratoire humain géant où je vais tenter, les sens en éveil, parfois désorientée, toujours grisée, d’assister à notre avenir pour comprendre modestement notre présent.

Mais avant de comprendre notre avenir, je débuterai ces errances par un voyage dans le temps, sur l’île d’Ellis Island et dans le Lower East Side, pour comprendre notre passé. Car si la cohabitation se saisit en embrassant à la fois les espaces et les territoires, les différentes séquences spatiales, de la même façon elle ne peut se comprendre qu’en embrassant ses différentes séquences temporelles.

Première escale. Ellis Island. Voyage dans le temps

2

Comment comprendre l’âme de New York, sans comprendre l’histoire de son immigration ? Comment parler de cohabitation sans parler d’immigration ? En attendant de voyager à travers l’espace et les territoires, commençons cette errance par un voyage à travers le temps. Cherchons dans le passé des clés de compréhension de la New York d’aujourd’hui.

Des milliers de touristes se pressent sur l’île d’Ellis Island pour voir si le nom de quelque ancêtre ne figure pas quelque part dans le registre de ces millions d’hommes et de femmes qui ont fait le mythe de cette cité et de ce pays. Ils peuvent aussi visiter les quatre expositions du Musée de l’Immigration : 1880-1924, Ellis Island Chronicles, qui montre les différentes phases d’évolution de l’île-enregistrement ; Through America’s Gate qui retrace pas à pas et salle après salle le parcours des immigrants dans le centre d’enregistrement, du contrôle médical aux « escaliers de la séparation » ; The peopling of America, 1550-1890, qui retrace le peuplement avant le grand exode européen. Enfin, Peak Immigration Years: 1880-1924, qui dévoile les facettes de la plus grande migration de l’histoire, durant laquelle la grande majorité des migrants, soit un afflux de 26 millions de personnes, choisirent les États-Unis, avant la fermeture de ses portes dans les années 1920.

C’est sur cette dernière exposition que je me suis basée pour vous présenter un petit historique de l’immigration aux États-Unis. J’ai pu constater de troublantes analogies entre cet exode massif et les migrations d’aujourd’hui. Mêmes schémas, mêmes motivations, mêmes débats.

Le grand exode vers les États-Unis

La période 1880-1924 a connu la plus grande vague de migration de l’Histoire, avec plus de 26 millions de personnes qui sont entrées aux États-Unis, provenant pour 9 millions d’Europe du Nord, 8.2 millions d’Europe de l’Est, 5.3 millions d’Europe du Sud, 1.85 million du Canada, 650’000 d’Asie, 475’000 du Mexique, 350’000 des Caraïbes, 50’000 d’Océanie, 50’000 d’Amérique du Sud et 20’000 d’Afrique.

26 millions d’hommes et de femmes venus pour « bettter their circumstances », fuyant pauvreté, surpopulation ou guerres et rejoignant, poussés par l’espoir et leur esprit pionnier, une économie américaine en effervescence.

Durant cette période, le business de l’immigration était déjà très important, mais légal. « In rickety boats, Cuban migrants again flee to U.S. » (The New York Times, Friday 10 October 2014). Désormais les armateurs se sont transformés en passeurs avec la fermeture des frontières, mais à l’époque le transport des immigrés donnait lieu à une rude compétition entre compagnies ferroviaires et maritimes. Souvent transportés dans des conditions très précaires, leur nombre rapportait gros. Le business était organisé et en Europe, des agences de voyages proposaient elles de véritables packages comprenant tous les transports du point de départ au point de destination finale. Avec l’augmentation du business de l’immigration, les compagnies maritimes vont également construire de véritables villages de transit dans les ports de départs. Rien de neuf là non plus par rapport à aujourd’hui, où dans les zones de transit, ceux qu’on appelait candidats au départ sont désormais appelés des clandestins.

Vous arrivez à vous imaginer un monde sans passeport ? Et bien figurez-vous que jusqu’en 1910, la grande majorité des pays n’exigeaient pas de passeports. Ceux qui l’instituaient étaient ceux qui voulaient contrôler non pas les entrées mais les sorties. C’est la Première Guerre Mondiale qui va pousser les nations à protéger leurs frontières et les voyageurs à se munir d’un passeport. Aux États-Unis, c’est la politique de guerre qui institua la détention du passeport pour les étrangers en 1918.

Le port de New York reçut à lui seul environ 70% des 26 millions des arrivants, et la majorité des arrivants d’une Europe en exil, venant des ports de Naples, Bremen, Liverpool ou Hambourg. Pas moins de 12 millions de personnes transitèrent par Ellis Island, dont 8 se rendirent ailleurs qu’à New York. Les immigrants venus pour travailler s’installaient principalement dans les régions industrielles du Nord-Est, comme New York, la Pennsylvanie, le Massachussetts, qui recherchaient de la main d’œuvre dans les mines ou les usines. Ensuite, ils se répartissaient entre ces régions par groupes ethniques, attirés davantage là où des amis et de la famille se trouvaient déjà, mais aussi à travers tout le pays. Les régions les moins peuplées déployaient de gros efforts de promotion pour attirer des nouveaux arrivés. Une partie des immigrants étaient des « Birds of Passage », des saisonniers qui allaient et venaient sans intention de s’installer. Les conditions de travail étaient difficiles et peu rémunérées, couvrant à peine les strictes nécessités du coût de la vie.

Les immigrants étaient détenteurs d’une grande variété de formations, positions, compétences, ambitions. Beaucoup étaient agriculteurs, d’autres obtinrent des postes qualifiés ou de cadres, d’autres étaient issus des professions libérales, d’autres encore décrochèrent un diplôme tout en travaillant. Enfin, certains économisèrent assez pour ouvrir des petits commerces, salons de barbier, lavomatiques, restaurants, ou magasins de spécialités ethniques pour satisfaire les besoins traditionnels de la communauté. Ils trouvèrent de l’aide financière auprès de banques ethniques, de groupes communautaires, ou d’organisations d’assistance financière et légale.

Entre deux mondes

En 1910, 75% des résidents des grandes villes de l’Est des États-Unis étaient immigrants ou enfants d’immigrants. Ils vivaient généralement dans les sections les plus pauvres de la ville, dans des enclaves ethniques. A New York, les plus importantes étaient Chinatown, le Lower East Side et Little Italy. Dans ces micro-territoires, ils pouvaient trouver un refuge et parler leur langue. Ces quartiers développèrent de riches cultures auto-suffisantes. Chaque groupe établit son lieu de culte et un large spectre d’organisations, associations et clubs sociaux, culturels, religieux, politiques, ou de divertissements. L’existence des communautés tournait principalement autour de deux institutions : la famille et la religion. Elles leur permettaient de maintenir leurs valeurs spirituelles, leurs traditions et leur identité culturelle. Les communautés se retrouvaient autour de célébrations, d’événements sportifs ou folkloriques. Entre les membres de la communauté régnaient la solidarité et l’entraide. Ils s’échangeaient conseils et informations, partageaient des souvenirs du pays. Ces réseaux de solidarité permettaient en outre aux nouveaux arrivés de trouver un logement et du travail.

Les émigrants d’une même région avaient tendance à s’installer dans le même lieu d’élection, d’où la tendance des parents à vouloir marier leurs enfants avec une personne du même village d’origine. Les immigrants étaient logés dans des tenements, des habitations de quelques étages où ils vivaient entassés dans de petits appartements, avec sanitaires dans la cour. Les nouveaux arrivants se serraient, s’aidaient à s’établir. Ils s’installaient, se regroupaient à proximité d’un lieu de culte, ou d’une école communautaire. Ces communautés s’exprimaient à travers une presse ethnique extrêmement importante et variée. En 1917, plus de 1’300 titres étaient publiés dans le pays. Vues de l’extérieur, ces enclaves étaient considérées comme des ghettos misérables, surpeuplés, voire dangereux.

Les parents devinrent moitié américains, plus tout à fait de leur nationalité d’origine, pas tout à fait de leur lieu d’élection non plus. Les enfants, qu’on appelait les « go-betweens » voyageaient eux entre deux mondes, deux cultures. Entre les traditions parentales et l’école publique. Ils pouvaient s’intégrer et apprendre la langue facilement et servaient d’interprètes pour leurs parents, leur traduisant une langue et un monde étrangers. L’assimilation était un long processus, ponctué de choix difficiles pour trouver un équilibre entre traditions et attentes du pays d’installation.

Le regroupement rapide d’un nombre très important de personnes ne parlant pas l’anglais dans des enclaves, amena la création de programmes d’insertion, qui poussèrent ces arrivants à se fondre rapidement dans le Melting Pot, à devenir américains. L’entrée dans la Première Guerre Mondiale donna une impulsion pour intégrer les arrivants. Le slogan « Many Peoples, but One Nation » fut remplacé par « 100% américain ». Dans ce contexte les immigrants n’étaient plus seulement encouragés à parler et agir comme des Américains, mais à montrer leur loyauté et participer à l’effort de guerre. L’assimilation passa aussi par l’acquisition de la citoyenneté américaine. Le vote ethnique devint important dans les grandes villes, et les nouveaux citoyens pouvaient désormais s’engager en politique.

De Open Doors à Closing Doors

L’Open Door Policy provoqua un débat national dans le pays. Car même si l’immigration non limitée aida à bâtir et à renforcer les États-Unis, beaucoup d’Américains pensèrent que le pays ne pouvait pas continuer à absorber le nombre croissant d’arrivants.

Ses défenseurs pointaient l’importance pour le pays d’avoir des travailleurs engagés qui contribuaient à augmenter le volume de productions, ce qui accroissait le nombre d’emplois pour tous. Les principaux opposants à la politique des quotas, aux Closing Doors, furent les grandes entreprises, les réformateurs libéraux, les citoyens naturalisés et leurs descendants.

Les isolationnistes pointaient eux la pression sur les salaires provoquée par l’accumulation de travailleurs non-qualifiés dans un marché déjà saturé, accusaient certains groupes de s’entasser dans des ghettos et de saturer les services sociaux. D’autres accusaient les nouveaux arrivés de tirer vers le bas tous les aspects de la vie américaine : social, moral, politique. Mais les plus virulents des restrictionnistes furent les nativistes, alarmés par l’afflux de races « inférieures » qui détruiraient à terme l’Amérique anglo-saxonne. Ils diffusèrent un message anticatholique, antisémite, anti-Asiatiques, considérant le Melting Pot comme destructeur pour la race dominante du pays. Les mouvements isolationnistes qui surfaient sur la peur de l’étranger, rencontrèrent de nombreux supports tant de la part d’élus que de réformateurs sociaux alarmés par les ghettos ethniques des grandes villes, ou de syndicats qui craignaient que les travailleurs étrangers sapent leurs luttes.

Le gouvernement adopta dans un premier temps des lois qui limitaient l’entrée à des catégories d’individus indésirables (malades, prostituées, anarchistes, Chinois, etc.), mais l’immigration continua à croître. C’est finalement l’hystérie anti-étrangers qui suivit la Première Guerre Mondiale qui permit aux restrictionnistes de faire passer en 1921 une politique de quotas. D’abord fixés à 350’000 admissions par année, ils diminuèrent pour passer à 150’000 en 1927. Les quotas limitèrent fortement l’immigration et favorisèrent certains groupes ethniques qui correspondaient à l’idéal anglo-saxon. Ces quotas étaient basés sur un nombre mais également une assignation en pourcentage de nationalités d’origine, pour maintenir la composition ethnique de 1920. La politique restrictive d’immigration demeura jusqu’en 1965.

On dit que les immigrants d’aujourd’hui ne seraient plus comme ceux d’avant. Au vu des caractéristiques exposées plus haut, j’en doute. D’ailleurs, j’ai vu dernièrement un documentaire qui montrait qu’une des raisons qui a fait que la loi sur la prohibition fut finalement adoptée était la réaction d’Américains traditionalistes et conservateurs face à ces immigrés allemands, irlandais ou d’ailleurs ayant importé avec eux leur vice alcoolisé. Quoi qu’il en soit, il semblerait que les réactionnaires contemporains n’aient rien inventé de neuf avec le choc des civilisations… Débat, environnement, discours, positions, notre décennie a comme un goût de déjà vécu… Seule la légalité du transport et l’origine des arrivants semblent avoir changé. Ainsi va le monde, les rejetés d’hier prennent racine et deviennent éventuellement les conservateurs de demain.

3

 5 6 7

New York au moment de la fermeture des portes

Quittons Ellis Island et son histoire… Le Musée nous laisse là, au moment où les portes se ferment. Michel Le Bris nous livre lui une vision bien plus poétique de ce qu’était New York dans ces années-là. Une musique, un jazz, une Cosmopolis

Manhattan la Cosmopolite, 1920

« New York était un poème écrit dans toutes les langues de la terre, un rêve de chanson, un air de danse, New York était une drogue, une nuit qui ne finissait pas, New York était le cœur géant de l’humanité : ici, toutes les couleurs, toutes les saveurs, toutes les croyances de la Création se mêlaient, comme agitées dans quelque shaker par la main d’un dieu ivre, pour le plus explosif des cocktails. Pas moins de soixante-dix nationalités, et à peu près autant de religions recensées dans le seul Manhattan, dont Rian James, le journaliste prince des nuits de la ville, soutenait que le nom venait de l’indien « Man-ha-ta », « rendez-vous des ivrognes célestes » : bouddhistes et brahmanes, catholiques et disciples de Confucius, juifs, protestants, mahométans, animistes, luthériens, taoïstes, shintoïstes, adorateurs du Soleil, de la Lune, de la Terre mère, ici se côtoyaient, se heurtaient, se mêlaient en un extravagant tohu-bohu et c’était une même respiration, pourtant, une pulsation unique, de plus en plus rapide, qui se faisait musique. »

 « Chicago avait ses Chicagoans, Boston, ses Bostoniens, New York avait des Irlandais, des Allemands, des Français, des Italiens, des Syriens, des Turcs, des Suédois, des Chinois, des Hindous, des Russes, des Texans, des Géorgiens, des Californiens, des Mexicains, des Portoricains, des Canadiens, des Cajuns, des Eskimos, des Tchèques, des Cubains, des Espagnols, des Portugais, des Lituaniens, des Grecs, des Arabes, mais chacun, fût-il vêtu de ses habits traditionnels, soucieux de ses coutumes, se revendiquait new-yorkais, comme si les plus grands chefs de la planète avaient envoyé ici leurs épices les plus fines pour rehausser le goût de ce grand « pot-au-feu » – chacun, pressé de se donner en spectacle, se revendiquait acteur de cet immense « show » qu’était devenu la ville. New York, le théâtre du monde ! »

(La Beauté du Monde, Michel Le Bris, 91-93)

Ré-ouverture au monde et métamorphose

4Entre 1920 et 1965, les flux se sont donc taris, ce qui posa un véritable problème à New York, dont le souffle et l’ADN sont faits de l’immigration. Ainsi New York se perdit lentement, progressivement en proie à la violence, en voie de faillite et de désertification. Mais son destin a à nouveau basculé à la levée des quotas en 1965, qui a ouvert une nouvelle ère migratoire massive. Les nouveaux arrivants ont réinvesti les territoires abandonnés. La ville s’est métamorphosée, sous l’énorme diversité des populations d’arrivée.

Aujourd’hui New York compte environ 8 millions 400 000 habitants, officiellement. On estime à plus d’un demi-million les New Yorkais qui travaillent et vivent sous clandestinité politique. Ville de tous les deals, New York a ses parades pour ceux qui veulent se forger un nouveau destin. La filière est bien rôdée. Une fois toutes les filières de visas épuisés, restent les faux papiers. Les employeurs seraient peu regardants. Et la municipalité ferme les yeux, pragmatisme new yorkais oblige. Le deal : rêve américain contre main d’œuvre et rentrées d’argent.

Aujourd’hui, 3 millions de New Yorkais, 37% de sa population, sont nés à l’étranger. Parmi les immigrés, 32% viennent d’Amérique latine, 26% d’Asie, 20% des Caraïbes, 17% d’Europe, 4% d’Afrique. Actuellement  les plus gros contingents de primo-arrivants viennent de République dominicaine, Chine, Mexique, Jamaïque, Guyane. Les régions d’origines qui connaissent la plus forte croissance sont le Bangladesh, Moyen Orient, Afrique subsaharienne, et Balkans. Les immigrés représentent 43% de la main d’œuvre de la ville.

Cette incroyable diversité ethnique fait partie de l’identité de New York. On parle aujourd’hui 170 langues différentes à New York. Et la municipalité s’est adaptée aux 24% d’ajoutés qui ne parlent pas couramment anglais, en proposant des services multilingues. La ville encourage les arrivants à s’intégrer. La moitié des New Yorkais nés à l’étranger est naturalisée. La cohabitation entre les communautés se passe relativement bien, les gens veulent la même chose, réussir une nouvelle vie, avancer, faire du commerce. Au niveau spatial, les quartiers sont relativement mélangés, la moitié ne comptant pas de groupe dominant.

Durant le XXème siècle les populations issues de la grande vague de la fin du XIXème se sont progressivement fondues dans le Melting Pot et ont migré vers d’autres horizons. Les enclaves communautaires se sont gentiment éteintes. Autres vagues, mêmes destins. Depuis 1965, les vieilles enclaves européennes ont été remplacées par de nouvelles, peuplées d’arrivants d’Asie, des Caraïbes, d’Afrique ou d’Amérique latine. Une différence cependant : pression foncière oblige, les nouvelles enclaves sont principalement localisées dans les autres boroughs de New York.

8

Lower East Side, Chinatown, Little Italy. Chassés-Croisés

Avant de partir en voyages dans les enclaves contemporaines, revenons un peu en arrière dans le temps, et prenons la route de la porte de l’Amérique, direction les quartiers historiques d’arrivées que sont East Village, le Lower East Side, Chinatown et Little Italy, pour voir où ont amerri ces immigrés après avoir transité par Ellis Island et obtenu the « right to land ».

C’est en effet dans cette partie de la ville que se constituèrent les enclaves historiques où s’installèrent les premières vagues d’immigration. Chinatown était peuplée majoritairement d’une société d’hommes seuls travaillant temporairement pendant que les épouses élevaient les enfants au pays. Souvent ils ne voyaient jamais le monde en-dehors de Chinatown, monde qui leur était d’ailleurs hostile. Dans Little Italy, on retrouvait malgré la promiscuité et la laideur des tenements un peu de l’atmosphère chaleureuse du sud du pays d’origine. Dans le Lower East Side vivaient un demi-million de personnes dans une ville parallèle, un ghetto de Juifs polonais et russes principalement, entassés dans moins d’un demi-mile carré.

Tous les arrivants fondèrent donc leurs colonies, bientôt remplacées par d’autres, qui exploitèrent la place laissée vacante à mesure de l’américanisation des générations. Ce processus illustre le principe de la compétition et de la succession des populations dans l’espace, qui correspond au modèle assimilationniste d’écologie urbaine de l’Ecole de Chicago. Les communautés s’installent proches du centre où elles forment des quartiers à forte homogénéité ethnique, s’approprient et mettent en valeur leur territoire, puis s’assimilent progressivement et sont remplacées le temps de quelques générations par de nouveaux arrivés.

Les quartiers LES, Chinatown et Little Italy doivent aujourd’hui être envisagés comme un ensemble, qui offre une flagrante illustration de la vitalité et la dynamique d’invasions et de successions permanentes qui s’opèrent sur l’espace urbain. On va maintenant partir à leur exploration pour tenter de percer leur dynamique et mettre à jour leur constante recomposition. Car ce que j’avais imaginé au départ comme une ballade nostalgique au cœur de ce premier New York des communautés s’est transformé en balade dans le laboratoire de l’hybridité. Si je ne suis pas vraiment parvenue à ressentir l’atmosphère historique, les vibrations du passé que j’étais venue y chercher, j’ai au final découvert bien davantage. Je vous propose de me suivre en caméra embarquée dans cette tentative de décodage en forme de déambulation.

East Village

Commençons dans le désormais dénommé East Village (intégré au Lower East Side à l’époque de la grande migration), où la Little Germany qui existait au le XIXème a depuis longtemps disparu avec les autres enclaves européennes. Little Ukraine s’est elle fondue au milieu de la mixité du quartier. En plus d’avoir constitué un refuge successif à des générations d’immigrés, East Village s’est encore enrichi de nouveaux réfugiés au XXème siècle, marginaux de tous poils ou réfugiés de la société de consommation uniformisée. Ce qui donne aujourd’hui à ce quartier un visage particulièrement diversifié. Mélange de rues délabrées, gentrifiées ou bigarrées, mélange de restos ethniques ou bobos, on y trouve également notamment une portion indienne dénommée le Curry Row.

9 10 11

Lower East Side

Le Lower East Side a vu se succéder les Irlandais, les Allemands, avant d’accueillir aux XIXème et début du XXème siècles plusieurs centaines de milliers de Juifs d’abord d’Allemagne puis principalement d’Europe centrale et de Russie. C’est dans des tenements qu’ils s’entassèrent dans cette enclave surpeuplée, bastion d’innombrables synagogues, théâtres, ateliers de confection, sièges de journaux et multiples institutions yiddish. Dans la résidence dans laquelle je logeais, j’ai fait la connaissance de Dan, petit-fils de Russes exilés, qui avait connu le LES des tenements, y ayant passé son enfance. Il m’a raconté la promiscuité et la densité, les toilettes dans la cour, les habitants de l’enclave qui n’avaient jamais parlé un mot d’anglais. Mais il m’a aussi raconté la solidarité et les rassemblements autour d’une guitare. Au final il a conclu en confirmant que les conditions étaient certes difficiles, mais que comme ils étaient tous logés à la même enseigne, « it was ok ».

« Tu marches maintenant. Dans le Lower East Side. En avant, à travers la cacophonie d’Orchard Street, à New York, le long des étals, à travers les nuées de vendeurs à la sauvette et de marchands ambulants, devant les vitrines de la boucherie Schubert, du petit bar à bière allemand où l’on débarque des caisses grinçantes. (…) Vidée, au bout du rouleau, tu avances comme dans un rêve. Tes yeux sont las. Tu te consumes. Des langues étranges tourbillonnent autour de toi comme des serpentins qui fusent : les parlers de Saxe, de Bavière, du Piémont, de Prusse ; de pays lointains et de peuples nomades. Odeurs de nourriture étranges. D’épices que tu ne peux nommer. Par l’embrasure d’une fenêtre parvient un chant rabbinique, car un garçon qui aime Jéhovah habite dans cette chambre. Et là, à l’angle des rues Stanton et Essex, le petit marchand florentin avec ses rubans et ses peignes. Cette ville, avec ses centaines de milliers d’immigrants, ses dialectes, ses musiques, son argot incompréhensible, ses divinités sans fin, ses ghettos et colonies, n’a rien à dire sur tes blessures. Une Noire vend des fraises : les gens disent qu’elle fut esclave autrefois. Tout le monde dans le quartier a une histoire. Y compris Miss Maire O’Neill. » (Muse, Joseph O’Connor, 294-295)

Quartier de transition, ce monde juif a lui aussi bientôt été remplacé à mesure du départ des nouvelles générations. Après les communautés européennes et juives, de nouvelles vagues d’immigrants, portoricaine, asiatiques, latino-américaines, africaines, indiennes, ont investi le quartier. Aujourd’hui le Lower East Side est le résultat de tous ces passages, un quartier d’une grande mixité que se partagent plusieurs dizaines de nationalités. Mais le LES et East Village sont désormais aussi connus pour leurs lieux de vie nocturne, et sont fréquentés pour leur côté bohème, alternatif ou branché. Repère des bohèmes, quartiers en pleine mutation, en proie à la spéculation, en pleine gentrification. Leur visage poursuit leur éternelle mutation, et les classes socio-économiques défavorisées doivent lutter pour y demeurer.

14

Quant au Lower East Side juif, il s’apparente davantage à un musée, et des guides proposent des ballades nostalgiques pour découvrir les vestiges de la présence juive : synagogues, cimetières, rues autrefois vibrantes et ateliers de confection. On peut visiter le Tenement Museum qui propose de revivre via plusieurs ballades le quotidien au travail et à la maison de la communauté juive, allemande ou irlandaise tel qu’il était à l’époque. On peut aussi visiter un véritable tenement datant de 1863 au 97 Orchard Street, et partager l’intimité de ces familles.

L’ancien quartier juif est donc aujourd’hui un musée à ciel fermé et ouvert, parsemé de « monuments ». Les rues qui constituaient le cœur de son activité, Houston Street, Henry Street, Hester Street, Orchard Street, Broome Street, Allen Street, Stanton Street ne débordent désormais plus des mêmes activités mais abritent une passionnante cohabitation.

13

L’association du Tenement Museum propose des plongées dans le passé, mais aussi dans le LES d’aujourd’hui. Le tour Foods of the Lower East Side propose une visite du quartier des immigrations par le goût, en testant dumplings chinois, bananes plantains dominicaines ou choux à la crème « Asian-fusion ».

 

 

 

 

En parcourant le Lower East Side, on peut observer ce chassé-croisé ininterrompu de populations qui s’est inscrit dans les murs du quartier, lui offrant un visage composite et passionnant. L’hybridité est partout.

Armée de mon appareil photos, j’ai attendu que me soit révélée la dynamique actuelle d’un quartier où les frontières semblent se brouiller. Le jeu : lire dans les murs, tenter de déchiffrer, de décoder le quartier en regardant ses portes. Ce qu’elles ont dévoilé c’est une forte présence de populations d’origine chinoise, avec l’extension du Chinatown d’à-côté, une multiplication de lieux bobo-branchés et une survivance de quartier populaire. Parcourir le Lower East Side, c’est tomber constamment sur les traces d’une nouvelle conquête, tout en effectuant des allers-retours dans une annexe de Chinatown immergée dans une grande mixité.

15

Sur Orchard Street, cœur du dernier quartier branché investi par la upper-bohème, les galeries et autres « Organic cafés » ne cessent de s’installer. Ils cohabitent avec des ateliers de fripes désormais exploités davantage par des communautés chinoises que juives, et de nombreuses enseignes asiatiques. La gentrification n’a pas encore gagné et cohabite encore avec une LES populaire. Pizza slices à 99 pences  cohabitent avec café à quatre dollars. Au final, un mélange de traces juives, mais un territoire partagé majoritairement par deux communautés, avec une tendance boboisation-asiatisation.

Broome Street présente une peinture dont la composition révèle une gradation de mix-asian, asian-fusion, bobo. Du vieux laundromat au « Asian-fusion restaurant » au « Farm Coffee Roaster ».

16 17 18

 

 

 

 

Sur Stanton Street, on trouve la Lower East Side Preparatory High School, dont la devise « A High School for students from around the world and « Around the Block » » ! résume bien l’eccléctisme du quartier.19

 

 

 

Hester Street, une des rues les plus animées de l’ancienne enclave juive, offre un bon résumé du quartier.Ici se partagent le pavé un espace à louer pour une galerie d’art, un restaurant chinois, et une réminiscence de la présence commerciale juive avec Mendel Goldberg Fabrics.

20

Sur Allen Street se trouve l’Association Asians Americans for Equality, 21« a non-profit organization dedicated to enriching the lives of Asian Americans and all of those who are in need », et des espaces à louer par Kinyu Realty Corp., dont tous les agents sont sino-américains.

 

 

Sur Henry Street, satellite de Chinatown, une congrégation juive, Congregation Sons of Moses, jouxte les locaux du Immigrant Social Services Inc., 22dévolus à l’amélioration des conditions de vie des immigrants de Greater Chinatown.

23 24On y trouve aussi la Chung Te Buddhist Association Of New York Inc, et au bout, l’église catholique St. Teresa’s Church qui nous souhaite la bienvenue en anglais, espagnol et chinois, et sur laquelle veille en arrière-plan la tour One WTC. Cette église qui célèbre la messe en anglais, espagnol et chinois, est emblématique de l’histoire du quartier. D’abord paroisse qui assistait les immigrants irlandais fraîchement débarqués, elle vit se succéder les différentes vagues d’immigrants. Allemands, et Slaves au XIXème, Latinos au XXème et Asiatiques plus récemment. Une mixité de cultures qui donne à St Teresa’s une saveur multiculturelle. En ce début de XXIème siècle, elle fait face à un nouveau défi. La gentrification de cet ancien quartier pauvre devenu un des plus branchés de Manhattan fait migrer ses paroissiens et la vide de sa communauté. Tandis que les nouveaux habitants n’établissent pas véritablement de racines dans la communauté.

25 Henry Street, historiquement située au milieu des tenements, lieu de résidence de vagues d’immigrants pauvres, est aujourd’hui immergée dans Chinatown, dans un quartier lui-même submergé par la gentrification. Un bon échantillon de New Yorkais se croisent sur le trottoir. Sino-américains, Latino-Américains, Afro-Américains, hommes en kippa et femmes en hijab.

2627

 

 

 

 

 

« Welcome to Chinatown »

Le Lower East Side, quartier multiculturel, en métamorphose, mais avant tout quartier aux frontières résolument floues…

Sur East Broadway, dernière rue du pèlerinage sur les pas de la communauté juive, on passe une guirlande lumineuse « Welcome to Chinatown » avant d’être immergés dans un monde vibrant, bruyant, animé, bondé… bienvenue sur East Broadway ! L’artère semble comme protégée par le Manhattan Bridge, qui sculpte le quartier.

29 30 31

 

 

 

 

 

 

 

 

East Broadway, cœur battant, au milieu d’une intense circulation, du New Chinatown of Manhattan ou « Little Fuzhou », enclave formée dans les années 1980 avec l’arrivée d’un afflux d’immigrants du Fujian parlant mandarin, pour qui l’enclave mandarine du Queens était inaccessible socio-économiquement. « Little Fuzhou »s’est collée au Chinatown historique où domine le cantonais, et les deux parties forment ensemble le désormais dénommé Chinatown de Manhattan.

32 33 34

 

 

 

 

 

Je me sens bien en zigzaguant au milieu de cette agitation détendue et organisée, parmi la forte densité de travailleurs affairés et les échanges animés. Impression pittoresque, car nombre de commerces sont indéchiffrables pour une non-initiée. Traverser East Broadway est une expérience sensorielle, avec ses étals offrant une grande variété de denrées, ses épiceries, herboristeries ou  encore poissonneries où trônent entre autres au milieu de nombreuses sortes de poissons séchés, quelques spécimens que je ne sus identifier. East Broadway, artère vivante et vibrante avec ses odeurs, ses rires, son mouvement incessant.

East Broadway, morceau d’une Chine nostalgique reconstituée ou simple shopping district ? On y croise en tout cas des jeunes couples « américanisés » venus faire leur marché. Des drapeaux chinois et américains formant des guirlandes relient les deux côtés de la rue. Au-dessus le pont et le grondement du train. 35Au fond, City Hall, qui replace East Broadway dans son environnement new yorkais.

 

 

 

36Au bout, une statue de Lin Zexu trône dans Cathan Square, square-frontière situé au croisement des deux Chinatowns. Assise sur mon banc, je me fais ma deuxième nouvelle amie de la journée. Catherine, qui s’est installée à NYC il y a cinq ans, vient de la région des pandas en Chine. Elle travaille dans la mode, habite le New Jersey, et passe son après-midi de congé à Chinatown pour visiter son grand-père et se procurer ses gâteaux préférés. C’est si facile de faire des rencontres dans une ville où on est tous des passagers, des ajoutés. Je suis une errante dans une ville où il paraît toutefois si facile de s’ancrer, avec ou sans papiers…

 

Chinatown historique

Dans le Chinatown rive occidentale, le Chinatown historique, on trouve d’innombrables restaurants, ainsi que nombre de bazars et boutiques de gadgets et souvenirs à destination des touristes. S’il est encore le lieu de beaucoup de locaux associatifs et commerces communautaires, le quartier s’est américanisé, parce que la communauté d’origine chinoise s’est américanisée, et que les nouvelles vagues en provenance de Chine (se) sont globalisées. Le quartier s’est donc naturellement hybridé. Portion d’Amérique sinisée ou de Chine nostalgique américanisée. Reflet d’une Chine et d’une Amérique mondialisées. Après la bouillonnante East Broadway et son pittoresque marché, l’atmosphère de Canal Street est nettement plus feutrée. A mesure qu’on remonte Mott Street, la gradation se poursuit, les enseignes s’hybrident, cultures américaine et chinoise fusionnent. Cultures en fusion et cuisine fusion, présence de chaînes modernes. Si les enseignes sont encore en cantonais et l’esthétique par touches extrême-orientale, les commerces sont mondialisés. Mott Street constitue le centre du Chinatown historique cantonais. Un Chinatown cantonais qui en dépit de la large population mandarine de la section orientale, continue de dominer les standards culturels et les ressources économiques de Manhattan Chinatown. Sur cette rue trône le Chinese Community Center, considéré historiquement par la communauté comme le « City Hall de Chinatown ».

37 38 39

 

 

 

Chinatown est loin d’être homogène, et ses 250’000 âmes ne forment pas une entité. Aux populations cantonaises d’origine se sont ajoutées des populations de Taïwan, de Hong Kong, puis une population parlant mandarin, qui cohabitent avec une population venue du Vietnam et d’autres populations d’origine asiatiques. Il serait donc peut-être plus pertinent de parler d’une enclave est et sud-est asiatique. Chinatown abrite des populations issues de différentes provinces, pays, et parlant différentes langues. A cette hétérogénéité des langues et des origines s’ajoutent l’appartenance à différents courants politiques, des niveaux d’éducation et socio-économiques différents, et peut-être aujourd’hui le plus important, des origines urbaines ou rurales. Quoi qu’il en soit, c’est peut-être grâce à sa diversité et sa capacité à incorporer, que contrairement à ses voisines Chinatown a pu subsister.

Chinatown subsiste parce qu’il a su se renouveler, mais il subsiste aussi parce que les flux d’immigration en provenance des Chines se poursuivent, et que de nouvelles vagues continuent à l’utiliser comme porte d’entrée de l’Amérique, comme lieu de première installation. Les jeunes générations installées s’en vont et sont remplacées. Cœur du réseau communautaire, Chinatown subsiste aussi parce qu’il est « protégé », en tant que « monument » historique et touristique. Bien sûr Chinatown n’échappe pas à une autre vague, celle de la gentrification. La pression économique et foncière est forte dans le quartier. Les investisseurs piaffent au coin de la rue. Des propriétaires mettent la pression sur les locataires pour les faire partir, rénover, et multiplier le loyer. Pour transformer les logements sociaux en immeubles de standing. Certains secteurs sont sauvés grâce aux lois de contrôle des loyers de la ville. Le visage du quartier change et accroît encore sa mixité, voyant sa population rejointe par des Anglos en mal de loyers abordables et désireux de demeurer à Manhattan. Cependant il ne change pas seulement sous le phénomène fourre-tout de la gentrification, mais aussi avec l’évolution de la communauté. La communauté a su évoluer, s’adapter. Alors que les jeunes générations partent, le quartier doit être plus ouvert sur l’extérieur pour survivre, se renouveler, se perpétuer. Même si certains craignent que Chinatown perde son caractère spécial, sa subculture, et devienne un terrain de jeu exotique pour riches et pour touristes.

Little Italy                         

43Little Italy se résume pour ainsi dire à un alignement de restaurants italiens sur Mulberry Street. Musée protégé, folklore à l’esthétique soignée, et restaurateurs sur leur porche qui soupirent d’ennui. Little Italy attraction historico-touristique, musée de la culture italienne où on rivalise de drapeaux pour le rappeler. Little Italy, fort assiégé, immergé qu’il est dans Chinatown. Les enseignes Welcome in Little Italy, s’affichent désormais devant des devantures de commerces asiatiques. Plus loin dans Mulberry Street, l’enseigne “Welcome in Little Italy” a cédé la place à « Welcome to historic Little Italy »… En arrière-plan, l’Empire State Building rappelait aux premiers habitants du quartier que l’Amérique n’était jamais loin de la « maison ».

40 41 42

How to connect, gather & bind the Society (1)

Centralité, tourisme et mise en scène culturelle

Chinatown et Little Italy sont inscrits au National Register Historic District depuis 2010.

En quittant ce Little Italy et la terrasse où l’on paie son café un prix exorbitant, je traverse l’ultra clinquante et bondée Soho, et me demande si finalement Little Italy ne deviendrait pas simplement un alignement de restaurants italiens branchés, une annexe de Soho, une Soho « italienne ».

44

A Soho où comme un clin d’œil, je tombe sur ce panneau « What does it mean to be Chinese ? ». Après cette visite dans le tentaculaire, indéchiffrable, et complexe Chinatown de Manhattan, cette interrogation revêt une connotation particulière. La question identitaire reste un enjeu. Cette initiative vient du MOCA, le Museum of Chinese in America, qui dans le cadre de son exposition Waves of Identity, pose aux sino-américains des questions comme « How does one become American ? » ou « Où s’arrête Chinatown ? ».

Mon itinéraire s’arrête à Washington Square. Because all walks end in a park or in a square. These are the places where everyone gather, at the end. Being just part of the City, above all kind of identity issues.45

How to connect, gather & bind the Society (2)

Par l’Espace, toile vierge aux passages et aux compositions éphémères

 

Anecdote. Oubliez le Little Italy de Mulberry Street, ce petit folklore historique à destination des touristes. J’ai trouvé le véritable Little Italy de Manhattan d’aujourd’hui. Il se trouve 23th St Fifth Av. et se nomme Eataly à Madison Square.

48

Eataly, c’est le temple haut de gamme de la gastronomie italienne, avec bar à vin, bar à café, et tout ce que la Botte peut compter en termes d’épicerie fine et de spécialités labellisées. Eataly, c’est le temple de la branchitude, du raffinement et du chic italo-new yorkais. Avec son plan « Find your way around Eataly » et ses espaces-enclaves-quartiers bien défi47nis, ce marché est une métaphore de l’Italie, vue à travers ses spécialités gastronomiques. Little Italy est donc devenue yuppie. Parce que les communautés ne sont jamais figées. They are made to be in evolution, just as the City. Les New Yorkais descendants d’Italiens sont attachés à cette gastronomie, partie de la culture italienne qu’ils intègrent dans leur américanité. Je commence à réaliser qu’aujourd’hui, à New York, la nouvelle Église, la nouvelle religion, celle qui agit comme un pont et relie les populations, c’est la nourriture. Et je vais durant mon voyage avoir maintes occasions de le confirmer. Les spécialités culinaires régionales revêtent mille fonctions. Elles se font pont, soudure, et porte d’entrée pour pénétrer l’univers des communautés.

46

Épilogue

J’ai donc erré sens éveillés dans East Village, le Lower East Side, Chinatown, New Chinatown et Little Italy. Et pourtant je n’en ai pas parcouru ni compris le quart du cinquième de la moitié. Je pense qu’on pourrait passer une vie sur un seul de ces quartiers. Ce que cette ballade a révélé c’est une omniprésente hybridité. Succession des communautés, mondes qui se télescopent ou s’entrelacent comme ces drapeaux chinois et américains flottant côte à côte. Les multiples couches de ce sud de Manhattan se lisent sur les murs, se chevauchent, se superposent, se remplacent, coexistent, cohabitent, se chassent, se confondent… Elles  révèlent cette ville, dont le destin est lié au Monde.

Tout au long de cette balade entre passé et présent, je me suis concentrée sur ces manifestations d’hybridité, et cherché à relever le mix des mondes, à révéler le monde aux frontières brouillées de la Ville-Monde. Chinatown n’est pas un morceau de Chine placé dans un contexte américain, la question n’est pas de déterminer si on se situe en Chine ou en Amérique. Il ne s’agit pas de se demander si les gens qu’on croise sont chinois, sino-américains ou américains. Ils sont new yorkais, citoyens de la Ville-Monde. New York est un monde à part, à la croisée de tous ces mondes. Une Ville-Monde composée de « minorités visibles » qu’on aurait tort de vouloir identifier, étiqueter, essentialiser. Ici, le Latino ou l’Anglo sont des minorités visibles au même titre, car la Ville-Monde est le royaume d’un nouveau monde composé uniquement de minorités.

Tour du monde à New York en métro. Préparation des voyages

A côté de ces quartiers historiques en constantes recompositions, est-ce qu’on trouve multitude de nouvelles enclaves, une mosaïque de transnations à New York ? Existe-t-il vraiment des « diasporas de publics enfermées dans leur bulle » (Appadurai, 1996) ? Aux États-Unis, l’existence de communautés culturelles et les statistiques ethniques n’ont pas du tout la même connotation qu’outre-Atlantique, et les recensements permettent d’établir des cartes indiquant les regroupements de populations par origine. On trouve par exemple sur le site du New York Times une carte des mosaïques ethniques qui composent la ville. Un autre article du New York Times propose lui un guide vers dix nouvelles enclaves d’immigrants de New York. D’après les sources, une première réponse semble donc se dessiner. Mais il faut toujours se méfier des réponses trop faciles…

Quoi qu’il en soit, ce voyage baptisé Five Borough, many Worlds, prend les éventuelles transnations comme itinéraire possible d’un voyage culturel global. Le voyage dans le monde commence à l’atterrissage à New York, puis les voyages vers les « pays », les mondes, se font eux en métro.

Après recherches, j’ai recensé vingt-trois pays et une trentaine d’enclaves, que j’ai classés par continents, envisageant mon voyage sous cette forme aussi. Mais cette tentative d’itinéraire par continent m’est vite apparue comme une mauvaise route. Appréhender New York de cette façon ne permet pas de saisir la carte du monde qui s’y esquisse. Si New York est une métaphore miniature du monde, ce dernier s’y dessine différemment. Il est donc nécessaire de produire une carte qui puisse rendre compte de cette recomposition. Mais comment présenter cette Ville-Monde visuellement, quelle carte imaginer pour saisir son organisation ?

En fait, il faut renverser la mappe monde, l’appréhender différemment. Faute d’être parvenue à imaginer un modèle qui me satisfasse suffisamment pour que je puisse me représenter le monde singulier new yorkais, j’ai opté pour une solution transitoire et plus satisfaisante que la première. J’ai imaginé chaque borough comme un « monde en soi », comme une mosaïque de pays, de « transnations ». Chaque borough comme une miniature du monde mais dont la configuration et la composition réinventent complètement la mappe monde.

J’ai donc ensuite listé les nations présentes dans chaque borough, et tenter de les localiser. Puis j’ai reporté ces enclaves sur la carte pour avoir une idée visuelle des cohabitations, frontières, emplacements.

DSC_5472

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Et voici le résultat du classement par borough.

La mosaïque de Manhattan

Little Italy Where: around Mulberry Street / “Little Senegal” Where: 116th Str., Harlem, Lenox Malcom X Av. and Frederick Douglass Av.  / Little India” Where: “Curry Row”, East Village, 6th Str.; “Curry Hill”, Lexington avenue, 26-31th Streets / Chinatown Where: Lower Manhattan, around Canal Street, Mott Street, East Broadway / “Koreatown”, 32nd Street, Broadway and Fifth / “El Barrio”, Spanish Harlem, communauté portoricaine. Where: East Harlem from 96th to 125th Streets

La mosaïque de Brooklyn

“Little Poland” Where: Greenpoint / Little Odessa Where: Brighton Beach / Jewish enclaves. Where: Orthodox community, Borough Park; Loubavitch Congregation, Crown Heights, Hassidic Community, Williamsburg / Pan-Arab enclave, Liban, Palestine, Syrie, Egypte, Yemen, Maroc. Where: northern Bay Ridge, 65th-77th St / Chinatown. Where: Homecrest/Sheepshead Bay, Avenue U / Bangladeshi Enclave Where: Kensington, Church Avenue and MacDonald Avenue / “Little Pakistan” Where: Coney Island Avenue, Brooklyn / Portorican Enclave Where: Bushwick, « Avenue de Porto Rico », Graham Avenue, Williamsburg / Mexican Enclave Where: Sunset Park, 4th-5th Av., 35th-63th Streets / Carribean Community Where: Crown Heights / Haitian Community Where: East Flatbush, Flatbush, Roger, Church, Nostrand Avenues / “Los Sures”, Portorican and Dominican neighbourhood Where: 1st, 2nd Streets, sud Williamsburg / « Little France », BoCoCa. Autour de Caroll, Smith Street, Court Street

La mosaïque du Queens

“Little Greece” Where: Astoria / Polish Enclave Where: Ridgewood, Forest Avenue / “Little Egypt” Where: Astoria, Steinway Street, 25th St.-Astoria Blvd / “Little India” Where: Jackson Heights, 73th and 74th Streets / Korean Enclave Where: Murray Hill, Union St., Northern Blvd / “Little Manila” Where: Roosevelt Avenue, Woodside,  61th St. / Ecuadorean Enclave Where: Corona, Roosevelt Av., 90th St.-Elmhurst Av. / Guyanese Enclave Where: Richmond Hill and Ozone Park, Liberty Av. / Flushing Chinatown, Flushing Main Street

Le Bronx

“Little Italy” Where: Morris Park / “Little Italy” Where: Fordham Road / Ghanaian Enclave Where : Concourse Village, 167th St.

Staten Island

Sri Lankan Enclave Where: Tompkinsville, Victory Blvd – Cebra Av.

Trois précisions. Les enclaves listées ne sont pas homogènes dans leurs fonctions, et connaissent différents stades d’évolutions. Elles vont du simple noyau, à de véritables villes autonomes. La liste est loin d’être exhaustive. Enfin, ces listes sont imprécises, car il est impossible de figer la carte des quartiers de New York, qui se redessinent continuellement. Leurs frontières sont floues et  bougent constamment. New York concentré du monde : ce qui s’applique au monde s’applique donc à New York. Et ce qu’on observe sur la carte de New York, ce sont mouvement perpétuel et invasions dans toutes les directions !

Localisation des enclaves transnationales

DSC_4480 (2)

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Invitations dans les Transnations

New York se vante d’offrir la possibilité de prendre son petit déjeuner au Moyen-Orient, son lunch en Grèce, son goûter en Inde, son souper en Chine, et finir par un karaoké en Corée. New York adore mettre ses richesses culturelles en avant. Sites, blogs, articles de journaux révèlent ces morceaux d’ailleurs et invitent à les visiter à travers leurs restaurants, magasins, et autres commerces à saveur « ethnique ». Ayant moi-même succombé à cette invitation qui consiste à venir à New York, prendre le métro, et visiter le monde à moindre coût, j’ai un peu bourlingué. J’ai participé à une Street Fair à Little Egypt, effectué un tour du monde dans le Queens avec la ligne 7 du Subway, chassé les Français à Brooklyn, cru comprendre le sens du mot communauté en arpentant le monde singulier de Borough Park, pris le thé à Little India, un petit déjeuner américain à Flushing Chinatown, fait un saut dans le temps à Little Odessa

Derrière le charme du tourisme urbain ethnique et son côté fort sympathique, revenons vers un peu de réflexion. On l’a vu précédemment, ces enclaves ne sont pas synonymes de communautarisme, mais constituent des sas d’entrée, des refuges, des leviers d’intégration. De plus, essentialiser les cultures permet peut-être de se rencontrer, mais derrière le marketing racoleur, il ne faudrait pas occulter l’hybridité et la complexité desdites enclaves ethniques. Maintenant, est-ce que les politiques multiculturelles ont-elles un impact sur le regroupement communautaire ? Les conséquences du « choc des civilisations » post 2001 ont-elles affecté la cohabitation ? La gentrification qui repousse les communautés toujours plus loin du centre modifie-t-elle les comportements résidentiels ? Telles sont les questions auxquelles j’aimerais tenter de répondre au terme de ces visites.

Je vous propose que nous refassions ces voyages ensemble. Mais avant de partager avec vous les échos de mes errances, je tiens à vous livrer quelques impressions.

Embarquement immédiat

Ca y est, j’ai localisé les enclaves, préparé mon itinéraire en veillant toutefois à ne pas trop le baliser. Je suis fin prête pour grimper dans le train et me perdre dans l’immensité des continents du Queens et de Brooklyn. La veille du départ, un peu d’appréhension, et un grand vide m’envahit : quel sens à jouer à la visiteuse dans un monde où finalement « everybody’s searching for a home » ? D’un autre côté, pas le choix, inenvisageable d’écrire sur les territoires new yorkais sans y être allée avec ses sens.

Ce soudain doute vient du fait qu’au-delà du marketing ethnique et de son invitation au tourisme urbain, en fait, en discutant avec des New Yorkais, j’ai compris que ces visites urbaines, ce « cultural enclaves sightseing » est très peu populaire. Mes interlocuteurs qui ne quittent leur borough que pour Manhattan ou Manhattan éventuellement pour un saut à Brooklyn nord, ne saisissent pas vraiment l’intérêt d’aller visiter le Queens… Du reste, les lieux dont je leur parle ne semblent pas leur dire grand-chose.

La confidentialité de ce tourisme de périphérie se confirmera une fois sur place. A chaque fois, pas ou peu de visiteurs extérieurs, et ce même lorsque Little Egypt se parera de ses habits de fête. Mon isolement me donnera parfois l’impression de faire intrusion chez des gens qui ne m’auraient pas invitée. Touriste clandestine en territoires codés, protégés, loin du centre. Lutter contre la timidité. Ne pas prendre des photos quand ça pourrait heurter, passer pour du voyeurisme. Mon mode opératoire va petit à petit se rôder. Mixer mobilité et immobilisme. Me balader et multiplier les points de chute. Observer. Ressentir. Tendre l’oreille. Privilégier les conversations spontanées. Mais d’autres questions me vinrent. Comment se présenter ? Quel est mon statut ? Où se situe la ligne entre découvrir des cultures et pister des communautés ?

En tous les cas, le voyage commence toujours dans le métro où les noms des stations résonnent comme autant de lieux évoquant des petites patries. Astoria, Avenue U, Brighton Beach : Grèce, Chine, Russie… Chercher des pays à des arrêts de métro est un amusant « World City’s Game ». Durant ces voyages en métro, on peut aussi lire les pages internationales du New York Times, et réaliser qu’un morceau de chacun des pays évoqués se trouve juste là, le long d’une de ces lignes, peut-être seulement à quelques arrêts. Réaliser que les événements narrés ne concernent pas de lointains pays, mais des populations qui se trouvent aussi juste ici. Ces trajets sont enfin l’occasion d’entendre des familles qui switchent sans cesse de langues, mixant sans arrêt, passant de l’une à l’autre, parlant un langage hybride qui semble être la chose la plus naturelle qui soit. Souvent c’est l’enfant qui donne l’impulsion du passage à l’anglais.

Le métro conduit peut-être devant la porte d’entrée, mais pour en avoir les clés, il faut une seule chose, du temps ! Car les enclaves transnationales sont d’abord des quartiers résidentiels pour la plupart. On se situe assez loin de la « Diversité marketing », où des « villages » ambiance seraient alignés comme à Disneyland ! En réalité, c’est à la fois plus opaque et plus intéressant. Pour résumer, ce qu’on cherche, pour autant qu’on sache ce qu’on cherche is not so obvious. Pour le savoir, il faut ouvrir ses sens et se laisser surprendre.

Au final j’ai donc décidé de privilégier la sincérité à la performance. Au final, j’ai vécu des expériences contrastées. Tantôt je me suis sentie parfaitement à l’aise, tantôt vraiment perdue, étrangère et étrange. J’ai vécu des moments de chaleurs et de gros moments de solitude.

Échos d’errances

Manhattan

Gentrification oblige, les nouvelles enclaves ont du mal à s’ancrer à Manhattan. Mais à côté des enclaves touristiques subsistent quelques quartiers d’approvisionnement ou autres centralités gastronomiques. Manhattan, en dépit, on l’abordera plus tard, de son uniformisation, permet encore quelques voyages culturels.

49

 

Le Curry Hill de Kensington Avenue rassemble nourriture, restaurants et produits culturels indiens. Sur Curry Hill, enclave 52marchande, Inde, Pakistan et Bangladesh sont réunis au sein d’une même communauté culturello-commerciale. Korea Town concentre lui une multitude de restaurants coréens où l’on se régale de yummy barbecues. Dilution démographique oblige, les Deli traditionnels kosher qui servent des spécialités d’Europe de l’Est sont eux en voie de disparition, ce que déplorent les héritiers de cette culture qui ont eux-mêmes quitté New York mais aiment y revenir en pèlerinage pour goûter à cette nourriture nostalgique.

50 51

How to connect, gather & bind the Society (3)

Centralité et Hybridité culturelle

Pour aller voir avec les sens ce que nous disent les théoriciens de l’espace urbain mondial, c’est dans les  autres boroughs new-yorkais qu’il faut désormais se rendre. Alors allons-y.

Le Queens

Le Queens est le plus grand Borough de New York et avec Brooklyn le plus cosmopolite aussi. S’y côtoient plus de cent nationalités. Dans le Queens, presque la moitié des commerces sont tenus par des minorités. Le Queens amorce aussi sa réhabilitation, du moins dans sa partie nord dans un premier temps. Une annexe du Moma a ouvert ici. Et Long Island City devient trendy. Ce que j’ai entendu à propos du Queens à Manhattan et dans le Queens aussi d’ailleurs durant mon séjour, n’est pas très vendeur. Le Queens serait « boring at this period », il n’y aurait en outre « nothing to do there », enfin il s’agirait d’un endroit « very residential ». Il faut le voir pour le croire alors, car en ce qui me concerne, j’y ai passé de fort stimulants moments. Disons que plutôt que le voir, il faut le ressentir pour le croire. Ou pour le dire plus franchement, n’y allez pas pour voir des paysages !

Astoria, quartier multiethnique

Historiquement et jusqu’il y a peu Astoria était appelé Little Greece ou « Petite Athènes ». Le quartier était le point d’ancrage d’une très importante diaspora grecque. Bien qu’on y compte encore des églises orthodoxes, les tavernes et les commerces grecs, comme la population, sont en nette diminution.

Depuis 1970, se sont également installées dans le quartier des populations de cultures arabes. Mais à Astoria, on croise aussi beaucoup de Sud-Américains, surtout des Brésiliens, ainsi qu’une population venant des Balkans, des populations asiatiques, des Anglos…. Et cette mixité démographique se retrouve dans les restaurants et les commerces. Sur une même rue, on peut ainsi trouver un restaurant grec à côté d’un japonais, d’un chinois, d’un brésilien.

J’ai aimé le feeling de cette journée ensoleillée où tandis qu’en fin de matinée des familles sortaient des églises, une population très éclectique prenait le brunch sur les terrasses. Atmosphère légère et détendue. Nouvelle occasion de sympathiser avec d’autres ajoutés. Et de goûter à la gastronomie chyprio-grecque.

On this sunny Sunday, Queens looked like a pretty bright place.

53

Little Egypt

La portion de Steinway Street entre la 25ème et Astoria Boulevard est officieusement appelée Little Egypt. La légende raconte que cette enclave commerciale a commencé en 1996 avec l’installation du « premier bar à chicha d’Amérique », après quoi une vingtaine de concurrents auraient suivi. La population ne vient pas essentiellement d’Égypte, mais du Liban, de Syrie, du Yémen, d’Afrique du Nord. Little Egypt se présente comme un carré dédié au halal. On trouve ici des boucheries halal, des mosquées, des pâtisseries libanaises ou jordaniennes, un bijoutier indien, des bars à narguilés, de nombreux restaurants moyen-orientaux, des comptoirs à kebabs, des boutiques de mode islamique, des magasins d’alimentation, ou encore une antenne des services de l’immigration. Chez Al Sham Pastries, tu peux te gaver de baklavas pour moins d’un dollar. A travers une vitrine, tu aperçois une affiche « Free Palestine ». Les préoccupations du monde ne sont jamais loin dans ces morceaux de territoires transnationaux.

On dit que dans Little Egypt, lorsqu’une devanture se libère, un entrepreneur saute sur l’occasion pour ouvrir une enseigne répondant à quelque besoin non encore satisfait. Les commerçants, qui possèdent parfois plusieurs enseignes, privilégient la solidarité au sein du quartier, les relations de proximité et de confiance. Ils suivent la politique de leur pays d’origine et soutiennent financièrement des proches au pays. Ils sont ouverts sur l’extérieur, et veulent attirer des clients de tous horizons.

54 55 56 57 58 59

How to connect, gather & bind the Society (4)

With Food and Parties

C’était jour de fête sur Steinway Street ce jour-là. J’ai en effet eu la chance de tomber en pleine Street Fair proposant musique, animations, nombreux stands de nourriture, de vêtements ou d’accessoires, ou encore jeux pour les enfants. Une invitation à la rencontre à laquelle peu de visiteurs extérieurs avaient répondu présent. L’ambiance était familiale, joyeuse, et l’accueil chaleureux. Seule une tension est venue porter une ombre au tableau. « Gimme my chair ! » hurlait sans discontinuer un commerçant chinois qui se battait avec son voisin de stand. Devant le stand de la discorde se forma un attroupement interloqué, perturbé dans son bright Sunday.

Tour du monde en subway

Le Queens propose également un voyage tout à fait étonnant. J’ai ainsi eu l’occasion d’embarquer pour un tour du monde, pardon du Queens, pardon plutôt un tour du monde dans le Queens via la ligne de métro aérien 7 Subway, présentée comme une véritable attraction.

« Hop aboard the « International Express, » or #7 Flushing Local, to get a flavorful taste of this diverse borough in one afternoon. The subway’s got its nickname by serving a span of interconnected neighborhoods bustling with immigrants and new Americans from across the globe — literally everywhere — from Pakistan to Ireland, from Ecuador to China. It has been a corridor of immigration for almost a hundred years since the subway opened in 1913. The nationalities represented may have changed (and expanded), but a ride on the 7 train is a great journey into the American experience of immigration, past and present. This is why the #7 was honored by the White House as a National Millennium Trail, right up there with the Appalachian Trail and the Iditarod.» (http://queens.about.com/od/thingtodo/ss/7-subway-tour_5.htm)

Le 7 Subway se présente donc comme une célébration officielle de cette ligne, véritable corridor de l’immigration. Seulement dans le Queens, l’agencement des pays défie la mappe monde. Pour résumer cette journée, je dirais qu’à 9h43 j’étais en Chine, à 12h en Colombie, à 15h en Inde. Amazing New York. Embarquer dans le 7 Subway donne aussi l’occasion de traverser les paysages résidentiels, industriels et parfois désolés du Queens.

First Stop. Terminus de la ligne. Flushing Main Street. New York biggest Chinatown. Appelé aussi le « Manhattan chinois » ou le « Mandarin Town Flushing ». Les premiers à s’être installés ici dans les années 1970 venaient de Taiwan, bientôt suivis par d’autres populations originaires de provinces non cantonaises de Chine et parlant Mandarin. C’est d’abord une barrière linguistique et culturelle qui a retenu les nouveaux venus de s’installer dans le Chinatown de Manhattan, dominé par des populations parlant Cantonais. Outre la langue, ces nouveaux arrivants avaient un statut socio-économique différent.

Aujourd’hui, Flushing Chinatown est une enclave fusion. Fusion des cultures des habitants venant de Chine, Taiwan, Asie du Sud Est, Corée, Hong Kong. Fusion des cultures occidentales et asiatiques. Fusion culturelle mais peu de mixité démographique. Je déambule dans une ville auto-suffisante et très excentrée. Peuplée de centaines de milliers de New Yorkais aux origines asiatiques… et moi, et moi, et moi. Au niveau commerces, tous les besoins sont satisfaits. On trouve des centres commerciaux, restaurants, stands de street food, herboristeries, fleuristes, alimentation, électronique, titres de presse… Dans la rue, les adolescents se parlent en anglais. Des personnes distribuent des tracts, ils ont l’air très concernés. L’enjeu doit être important, seulement impossible pour moi de déchiffrer mon butin. Au moment de me restaurer, ça m’a amusé de faire dans l’a priori décalé, et d’aller petit déjeuner chez Starbucks, où l’hôtesse de caisse s’exprimait, of course, dans un anglais parfaitement américain.

60 61 62

 

 

 

 

 

Second Stop. Entre 90 et 78th Streets, Roosevelt Avenue, sous le métro aérien. Pour satisfaire les quartiers de Jackson Heights, Corona, ou Elmhurst, où se sont installées des vagues d’immigrants latino-américains, principalement de Colombie et du Mexique, une Pan-Latino cultural strip s’est constituée. Restaurants, supermarchés, services d’immigration, agences de voyage, cafés, titres de presse. L’espagnol domine, sur les enseignes et dans la rue.

63 64 65

 

 

 

 

 

A hauteur de la 78ème rue, on deep heart of this South American cultural strip, I just asked myself how I could possibly be in « India » in four blocks ?!?…

Third Stop. Jackson Heights, 73th et 74th Streets, appelé Little India ou « le pâté de maison des saris ». Enclave commerciale sud asiatique au cœur d’une zone résidentielle où des 69populations indiennes, pakistanaises, bangladeshis, ont été rejointes par des Tibétains et des Népalais. On y trouve la presse « locale », le Hurdu Times ou le Pakistan Post, de nombreux magasins de mode indienne, d’excellents tandooris, des bijouteries, des supermarchés, des cafés, des voyants qui battent le pavé. On y croise des femmes portant des beaux saris et des hommes au turban. Les populations sud-asiatiques viennent de tout l’arrondissement new yorkais pour y manger et faire leurs emplettes. Toujours dans ma recherche de fusion, j’établis mon quartier d’observation dans un café indien moderne, qui ne sert du reste pas de café, mais uniquement du thé. Dans les magasins de saris on semble quelque peu interloqués par ma curieuse intrusion.

66 67 68

 

 

 

 

 

Brooklyn

Si Brooklyn est surtout connu aujourd’hui pour être le berceau de la communauté Hipster, une tribu contemporaine urbanisée et stylisée, à Brooklyn vivent aussi de nombreuses autres communautés. Brooklyn et ses plus de 2 millions et demi d’habitants est le Borough new yorkais le plus peuplé. Autrefois gros bourg endormi, industriel ou mal famé, aujourd’hui Brooklyn est le borough le plus branché de la ville. Avec ses cultures urbaines, Brooklyn est aussi à l’avant-garde de la vague verte qui déferle sur New York. De nombreux quartiers ont été gentrifiés, et la tendance ne semble pas prête de s’inverser. Les artistes et créatifs de tous poils ont fait office de précurseurs aux vagues bobos, hipsters, puis à la classe moyenne et aux familles venues s’y installer pour la qualité de vie. Cette vague de réhabilitation et de requalification de nombreux quartiers – principalement DUMBO, Williamsburg, et désormais Bushwig qui voient fleurir lofts, ateliers, galeries ou cafés branchés – a conduit certaines enclaves et leurs populations à migrer, ne pouvant plus assumer les nouveaux loyers.

Malgré la gentrification, Brooklyn est si vaste qu’elle continue à accueillir des arrivants venus d’autres contrées aux revenus modestes, et reste un immense Melting Pot de populations, à tel point qu’une de ses lignes de métro est dénommée la « Ligne Benetton ». L’espace de Brooklyn la cosmopolite qui compte plus de 100 nationalités, ressemble à une véritable mosaïque ethnique aux configurations territoriales passionnantes. Certaines frontières communautaires donnent lieu à des cohabitations parfois étonnantes entre tribus à priori très éloignées culturellement.

Bangla Town & Borough Park

Borough Park abrite la plus grande communauté juive orthodoxe des États-Unis et en-dehors d’Israël, dont beaucoup appartiennent à la branche hassidique. Le quartier abrite une véritable microsociété, et ses frontières ne cessent d’être repoussées. Paradis du kosher, l’enclave abrite entre autres des synagogues et des écoles juives. Le Yiddish y est majoritairement parlé, et durant shabbat la ville s’arrête. Les habitants de Borough Park sont plutôt religieux et attachés aux valeurs conservatrices de la famille traditionnelle.

Bumped into “Bangladesh” while looking for Boro Park…

J’avais minutieusement préparé mon itinéraire vers Borough Park (Union Square – Bleeker Street, puis ligne F jusqu’à Church Av.). En fait je l’avais mal localisé et suis arrivée non pas dans un univers orthodoxe, mais à BanglaTown, l’enclave bengali la plus dynamique de New York. J’ai donc profité de cette incursion bangladaise impromptue pour découvrir ce nouvel univers qui me tendait les bras. Bangla Town compte plus de quatre-vingt commerces appartenant à des Bangladais, dont tous les services utiles, de l’agence de voyage à l’agence d’assurances, et plusieurs mosquées. On y célèbre des fêtes du pays et certains habitants ont tenté jusqu’ici sans succès de rebaptiser officiellement le quartier.

J’ai finalement trouvé la route de Boro Park grâce à l’aide de commerçantes bengalaises. Une fois arrivée, it was like being a total stranger in a totally unknown and hence unspeakable world. No clues, no reference. Une foule se pressait tige à la main, des familles entières affluaient vers une synagogue, surgissant de tous les coins. Et perdue au milieu de ces rues, moi, et aucune échappatoire, aucun point de chute à l’horizon. Le long des deux rues commerçantes, le moindre café était fermé (un vendredi en début d’après-midi ?).

Me voilà donc livrée aux regards des habitants, qui auraient pu être perplexes… s’ils m’avaient seulement regardée. Je me faufilais à côté d’hommes portant longs manteaux noirs et chapeaux carrés en fourrure, mèches de cheveux sur le côté du visage, et de femmes portant perruques, bandeaux, et longues jupes. Les enfants portaient eux aussi des longs manteaux noirs et des sortes de couettes. A côté du rassemblement en cours, des fillettes jouaient à la poussette en plein au milieu des rues sans être perturbées. Vu le silence qui régnait, je n’ai pas eu besoin de trop tendre l’oreille pour entendre que les gens se parlaient aussi un peu en anglais. Qualifier l’ambiance de très feutrée est un euphémisme. Les habitants ne furent pas hostiles à mon égard, mais j’ai compris qu’ils n’avaient pas envie d’être importunés. Grand moment de solitude !

BoCoca. Little France ?

Devenue accro aux jeux de pistes, après avoir chassé l’automne à Central Park et la communauté orthodoxe dans l’immensité de Brooklyn, voilà que je me retrouve un après-midi à chasing the « French Community » à BoCoca. Quelques lectures m’avaient indiqué que les Français immigrés à New York avaient fait du quartier autour de Carroll Gardens à Brooklyn un lieu de prédilection. Après un bref voyage peuplé de fantasmes pâtissiers, me voilà à faire des allers-retours entre Smith & Court Streets à la recherche d’une enseigne française. Seulement voilà, après d’interminables foulées dans le quartier et pas une syllabe prononcée dans la langue de Molière, j’en arrive à me dire que j’ai été leurrée.

J’ai finalement bien mérité de me retrouver devant un sandwich au brie et un verre de Chardonnay du Languedoc, entourée d’un comptoir de bonbons Haribo, un autre où trônaient 70croissants et viennoiseries, le tout au milieu de bouteilles de Ricard, de Perrier, et au son de TV5 Monde diffusant Questions pour un Champions ! Dans ce morceau de France reterritorialisé, la propriétaire à l’accent provençal chantant accueille sa fille américaine de retour du lycée, et briefe la nouvelle serveuse, qui débarque de Virginie, sur le nom des pâtisseries et autres plats « locaux ». J’assiste amusée aux tentatives de prononciation désespérées de l’Américaine du mot bouillabaisse.

71

Si on peut effectivement y déguster un croissant, avec quelques commerces parsemés, BoCoCa n’est pas une « Little France », du moins pas dans l’infrastructure, l’esthétique ou la langue entendue dans ces rues. En fait, l’installation privilégiée de la communauté française dans certains quartiers est souvent déterminée par la localisation des écoles françaises ou des établissements proposant une éducation bilingue.

 

 

Brighton Beach

72

A Brooklyn, j’ai également eu l’occasion de mettre le cap à l’extrême Sud pour y rencontrer d’anciennes populations du Nord. A l’extrémité de la péninsule brooklynoise, dans l’ombre des attractions de la célèbre Coney Island, se trouve Brighton Beach, aussi connu sous le nom de Little Odessa. Il faut à peine moins d’une heure depuis Union Square pour arriver dans cet univers tout à fait singulier : Brighton Beach, une enclave nostalgique, situable ni en Russie, ni aux États-Unis. Brighton Beach où vit une importante communauté russophone majoritairement juive, que les petits-enfants quittent pour migrer vers d’autres parties de la ville, laissant le quartier aux mains des aînés, ce qui confère à ce dernier une atmosphère assez rétro. Brighton Beach semble abriter des rangées de homes sous les rails.

73

Une population âgée que l’on retrouve se baladant en déambulateurs le long de l’immense jetée. Derrière la jetée, en terme d’architecture, des séries de gros blocs de béton alignés. Le quartier est modeste, et semble un peu fonctionner au ralenti. Sur l’artère commerçante principale, outre le Millenium Theatre, on trouve le célèbre restaurant Petrowski, où un groupe de touristes russes en voyage organisé se restaurent dans son immense salle lustrée. Dans la petite gargote usée où je déguste mes tout premiers pierogis, la jeune serveuse est branchée sur MTV russe.

74Dans la rue, les gens s’expriment en russe, et au milieu des franchises de liqueur, des magasins de décoration d’un autre temps, de jeunes hassidiques battent le pavé, courant après des mamis en déambulateurs pour les convertir, sans succès. Scène très curieuse. Je n’échappe pas à leur prosélytisme. « Excuse me, are you Jewish ? » m’abordent-ils. Ils me donnent de la documentation. Et puisque je les tiens, je les interroge sur cette branche qu’ils portent avec eux et que j’avais déjà remarquée à Borough Park. Le premier ne parle pas anglais. Je retente ma chance lors de la deuxième interpellation « Excuse me, are you Jewish ? ». Réponse laconique s’il en est, la fameuse tige, « It’s a jewish thing ». J’essaie d’insister mais sans succès.

Drôle de voyage. Un parfum de nostalgie souffle à Brighton Beach. Les enclaves où les générations ne se renouvellent plus, où de nouveaux arrivants ne viennent pas compenser les 75partants, se meurent gentiment. Elles deviennent des enclaves temporelles pour la communauté qui s’est dispersée, tandis qu’elle est bientôt remplacée par des nouveaux arrivants, venus d’ailleurs. D’ailleurs j’ai lu qu’à Brighton Beach, une population du Bangladesh commençait à s’implanter…

Enclaves ethniques. Observations & Impressions

Alors, ces enclaves sont-elles l’expression d’un communautarisme en expansion ? Notre ère transnationale conduirait-elle les nouveaux arrivants à ne plus se transformer et conserver leurs identités culturelles ? Pourquoi s’assimiler dans un État quand c’est le Réseau qui te nourrit ? Pourquoi s’identifier à une nationalité quand tu habites la Ville-Monde ?

De la résidence à l’enclave commerciale communautaire

Les nouvelles enclaves ethniques new-yorkaises se sont formées principalement dans des aires suburbaines et résidentielles. Les nouveaux arrivants qui recherchent un logement bon marché, s’installent préférentiellement à proximité de la famille et des connaissances déjà sur place, là où ils peuvent en outre bénéficier des avantages du réseau transnational. Grâce à la vitalité des réseaux de solidarité, revenus modérés + ethnicité ne riment pas avec ghetto.

La plupart des enclaves répertoriées à New York se situent à différents degrés d’évolution. Souvent d’abord lieux de résidence, ces quartiers deviennent rapidement des destinations privilégiées pour ériger lieux de cultes ou culturels qui agissent comme de nouveaux facteurs d’attraction. Mais c’est surtout le dynamisme entrepreneurial qui contribue à leur développement. De regroupement résidentiel, ces quartiers deviennent petit à petit de véritable « ethnic shopping districts ».

Dans chacune de ces enclaves, on retrouve des  « classiques » : magasins qui approvisionnent en denrées du pays d’origine, restaurants servant des spécialités culinaires ethniques, commerces de produits culturels, lieux de cultes, journaux communautaires, banques, antennes de transferts d’argents et de téléphonie internationale. S’y ajoutent les services nécessaires légaux, comme la présence des services d’immigration. Enfin s’y installent de nombreuses associations sociales, culturelles, religieuses, entre autres. Lieux d’approvisionnement et de rassemblement, elles constituent de véritables centralités pour la communauté dispersée dans toute l’agglomération.

Évolutions

On peut tenter de dégager un schéma d’un cycle possible de vie d’une enclave :

Noyau – zone résidentielle – enclave commerciale + résidentielle – ouverture progressive / simultanément départs progressifs – attraction et flux extérieurs – si parallèlement plus de flux à extinction ou patrimonialisation, mise en tourisme et pèlerinage. Si flux et pression immobilière trop forte à migration de l’enclave.

Si les communautés sont en mouvements, leurs quartiers le sont eux aussi. Jamais figés territorialement, ils  sont poreux, ouverts, leurs limites sont floues et fluctuantes. Et quand le développement, la pression immobilière, la gentrification est trop forte, l’enclave va jusqu’à migrer, et s’installer plus loin. Certaines enclaves peuvent également être réactivées après un exode massif. Ainsi certaines enclaves de culture musulmane qui s’étaient éteintes après le « choc des civilisations » reprennent de la vigueur aujourd’hui.

D’abord enclaves commerciales qui fonctionnent comme lieu d’approvisionnement pour des biens spécifiques, ces enclaves peuvent progressivement devenir touristiques, ou réaffectés comme telles une fois éteintes. L’enclave communautaire refuge des premiers temps peut laisser la place à un véritable marketing ethnique. Outre d’amortir le choc culturel, ces enclaves ont une véritable fonction de préservation identitaire culturelle « historique ». Car dans la Ville-Monde, les cultures sont en zone protégée. Les migrants emportent avec eux un bout de pays qu’ils peuvent redéfinir dans l’Ailleurs. Et dans l’Ailleurs, ils perpétuent des modes de vie qui deviennent autant de réminiscences de mondes en voie d’extinction sous le coup d’une uniformisation globalisante. Pour les anciennes vagues, les enclaves historiques fonctionnent comme lieux de pèlerinage. L’enclave spatiale devient enclave temporelle.

Ouverture

Les communautés ne vivent en pas vase clos. Pour la plupart, il y a dissolution entre lieu de résidence et lieu de travail. Les commerçants eux vivent aussi grâce à l’extérieur. Ces shopping districts favorisent les échanges entre les communautés et avec la société. De plus, les enclaves ne sont jamais monoethniques, mais toutes mélangées, à différents degrés. Même les communautés à priori les plus fermées ne le sont pas vraiment. A l’instar des communautés hassidiques ou Loubavitch de Brooklyn qui organisent des tours guidés de leur enclave communautaire pour présenter leur mode de vie et leur culture. Dans tous les cas, le degré d’ouverture varie en fonction de la distance au centre et du degré d’évolution de l’enclave, donc de la durée d’ancrage des populations. Plus l’économie est développée, plus l’enclave s’ouvre, plus elle s’hybride. Quoi qu’il en soit, dans certaines enclaves où dominait l’entre-soi, l’ambiance m’a paru plutôt gaie.

How to connect, gather & bind the Society (5)

Avec les sens, jamais avec la tête. Avec la cuisine, pas avec des théories…

Et avec les célébrations, à travers le folklore. Avec des substantifs comme « cosmopolite », « multiculturel », bref, à travers le boom de l’économie ethnique.

Identité(s)

Ces enclaves sont-elles des morceaux de Chine, d’Inde, de Mexique, d’Égypte ou d’ailleurs ? Ou sont-elles des fusions, d’Amérique et de Chine, d’Amérique et d’Inde, … ? Déjà, il faut souligner que le regroupement s’opère aussi voire davantage sur des bases régionales, culturelles, pan-nationales ou religieuses que nationales. Les enclaves regroupent des cultures confucéennes, d’Asie du Sud-Est, musulmanes, juives, francophones, russophones, indiennes, latino-américaines, … Le classement par nationalités, donc par État de provenance, n’est pas le plus pertinent. Si on veut parler de transnations, il s’agit plutôt de nations culturelles redéfinies dans l’ailleurs. Les qualificatifs « Little India » ou Chinatown renseignent peu sur la complexité et l’hétérogénéité de ces enclaves, dans lesquelles on trouve des populations de diverses régions, diverses nations. Ces enclaves apparaissent davantage comme des concentrations économico-culturelles que politiques. Dans bien des cas, le qualificatif d’enclaves marchandes à caractère culturel convient mieux qu’enclave ethnique.

Les migrants sont porteurs de double, voire de multiples identités. On pourrait envisager que selon qu’on se situe dans le territoire approprié ou l’espace partagé, une des identités prend le pas sur l’autre. Ainsi, on serait par exemple américano-indien dans « Little India » et indo-américain à Manhattan. Dans les enclaves on trouve de l’Amérique dans la culture d’origine, et à Manhattan s’opère la fusion de toutes ces cultures dans la culture américaine. Dans tous les cas, l’identité des citoyens new yorkais est une identité globalisée. Du reste, la question de déterminer si l’enclave est un morceau du pays d’origine, du pays d’accueil, ou une fusion des deux, ne revêt plus une importance capitale en ce début de XXIème siècle. D’Ici ou de Là-Bas, ce sont désormais toutes des cultures mondialisées.

J’ai pu constater un certain décalage entre le discours des murs et le discours des gens. La double allégeance identitaire n’est pas exprimée. Les communautés ne se revendiquent pas forcément comme « transnationales ». A New York, malgré la distance au centre, l’identification à la ville semble encore opérer, et les immigrés n’ont pas envie d’être identifiés en tant que communautés.

Du reste, une autre lecture que le communautarisme peut être donnée à l’augmentation de la visibilité des communautés culturelles. Les immigrés ne veulent pas être identifiés en tant que communautés. Mais en souscrivant à l’idéal marchand de New York, capitale mondiale du marketing, en surfant sur la vague du commerce ethnique, ils augmentent leur visibilité.

Trait-d’union des communautés. Manhattan, l’espace partagé

Pour saisir la dynamique des cohabitations et le cosmopolitisme new yorkais, j’ai mixé les mouvements vers le Queens et Brooklyn avec des retours à Manhattan. Procédé à des allers-retours entre les territoires des communautés transnationales et l’espace de la société new yorkaise. De ces balades j’en ai retiré quelques pistes de réflexions, et des impressions parfois contradictoires.

Après deux jours à Manhattan, ma première impression concernant son caractère cosmopolite fut de constater la diminution croissante de diversité de populations. Le slogan de Manhattan en 2014 pourrait ressembler à « Welcome in WASP & Clone land ». Je me suis dit que l’assimilation avait de beaux jours devant lui, et que Manhattan et la multiculturalité c’était du passé. Puis je me suis ravisée. En fait le rapport de New York à la diversité pourrait se résumer par l’expression « diversité-ADN ». Sans doute que dans le centre du centre du monde, la diversité est censée être désormais banalisée, les populations avoir fusionné. Pas de folklore, pas de diversité « show off », mais de l’ordinaire, du quotidien.

Pour confirmer ou infirmer cette intuition, j’ai participé à cette grande messe et j’ai observé. Je suis entrée dans la danse pour capter des impressions et des éléments de réponses. J’en suis arrivée à la conclusion transitoire, qu’à Manhattan, les cultures sont domestiquées, uniformisées dans la culture globale. Puis je me suis à nouveau ravisée, en me disant que parler toujours des cultures, des identités, des communautés, c’était encore parler de différences, encore assigner et séparer les gens.

Au final, Manhattan n’est peut-être rien de moins que le symbole d’une seule culture globale et globalisée. Peut-être que c’est finalement à Manhattan qu’il y a à savoir tout ce qu’il faut savoir sur la New York cosmopolite. Manhattan et son Melting Pot. Son mythe. Manhattan où des gens du monde entier ont fusionné pour offrir ce spectacle ininterrompu de styles. Manhattan symbole d’un monde où désormais les différences concernent moins les identités culturelles que les statuts socio-économiques. Car ce qu’on cherche à priori ici à éliminer, ce n’est pas la diversité, c’est la pauvreté. Tout le monde a le droit d’être différent à condition d’être riche !

How to connect, gather & bind the Society (6)

Shared Space. Central Park. Everyone gathered there on Sundays

76 77 78

En attendant, à Manhattan, toutes les communautés se rejoignent et convergent dans les parcs ou sur les grandes artères commerçantes.

Maintenant, au-delà de ces îlots de neutralité, imaginons que ce soit Manhattan en entier qui puisse constituer la surface plane, l’espace vierge de convergence de la société new yorkaise. Manhattan en entier qui fonctionne comme espace partagé pour les communautés vivant dans des territoires-refuges dispersés. Oui, Manhattan et sa diversité intégrée m’apparaît d’un coup comme une île plane. Pour travailler, pour rêver. Pour se faire une idée du modèle, il faut imaginer des territoires-refuges exclusivement situés à l’extérieur, dans les autres boroughs, desquels partent des flèches indiquant les multi-pénétrations convergeant sur Manhattan, la surface « plane ». Dans cette optique, les cultures des nouveaux arrivants étant vouées à demeurer en banlieues, les seuls îlots connotés culturellement, dits « ethniques », qui auraient vocation à subsister dans Manhattan seraient les enclaves d’approvisionnement ou les enclaves transformées en attraction touristique, celles où la diversité se raconte désormais comme une histoire.

Mais cette idée ne fonctionne qu’à moitié. Parce qu’en y regardant de plus près, Manhattan renferme aussi ses mondes, ses tribus, ses ambiances, ses territoires culturels. Ce qui en fait ne contredit pas la thèse pour autant, car tous ces univers sont relativement uniformes socio-économiquement…. Je ne dirais pas qu’ils le sont culturellement ou ethniquement, parce que les populations de l’île se sont depuis bien longtemps métissées. Pourraient donc vivre à Manhattan ceux qui ont fusionné culturellement et réussi socio-économiquement ? Je suis pour ma part loin d’avoir fait le tour de la question…

Quoi qu’il en soit, dans cet espace en voie d’uniformisation, on aime à célébrer la diversité de New York, comme lors de l’annuel Hispanic Day Parade sur la Fifth Avenue, parade folklorique qui célèbre les traditions et les cultures des plus de 2.4 millions de résidents hispaniques, et dont j’assistai à la cinquantième édition. La parade consiste dans un défilé de chars représentant tout le continent sud-américain, mais aussi Cuba, Porto Rico, ou l’Espagne. Chars derrière lesquels marchent et dansent plusieurs milliers de personnes en costumes traditionnels, et que regardent défiler plusieurs centaines de milliers de personnes le long du cortège.

79 80 81

On célèbre en cette journée l’union de toutes les communautés partageant une même langue, et l’union de cette communauté avec le reste de la ville. Cette journée dédiée est aussi l’occasion de mettre en lumière ces habitants aux innombrables destins qui ont fait leur chemin à New York. Célébration de la diversité cadrée et folklorique, toutefois ambiance de fête et de partage.

How to connect, gather & bind the Society (7)

WithFolkloric Celebrations

 

Gentrification : consécration du Melting Pot ou uniformisation ?

Mais alors, le Manhattan contemporain est-il la vitrine d’un capitalisme Melting Pot qui aurait permis la réussite de tous, ou un ghetto géant pour riches ? Abordons la question à travers du phénomène dit de gentrification.

Commençons déjà par insérer deux lignes de définition, parce que je préfère vous prévenir, la gentrification, vous allez en entendre parler tout au long des récits qui suivront !

Gentrification : Dans un quartier urbain, processus d’installation de résidents d’un niveau socio-économique plus élevé que celui des populations initialement résidentes. (Dictionnaire de la Géographie et de l’espace des sociétés). La gentrification est une reconquête des centres par des populations aux profils socio-économiques élevés, colonisation qui conduit à une homogénéisation progressive de la population.

La gentrification en quelques mots : reconversion, recomposition, renouvellement, reconquête, rénovations, réhabilitations, renaissance, réaffectation, redynamisation, décomposition … d’un site urbain

 83

En termes de dynamique, la gentrification peut prendre plusieurs formes. Elle peut consister en la transformation de parcs de logements sociaux en immeubles de standing ou en une politique d’investissement active dans la construction de condos de luxe pour installer des jeunes cadres et des familles aisées. Dans ce cas, les gouvernements locaux jouent un rôle via des politiques de rezonage et de requalification des sites.

8284

Une autre possibilité est la conquête de nouveaux espaces par une classe de jeunes urbains branchés, artistes, et créatifs à la recherche de niches bohèmes et de loyers modérés. Ils vont investir des quartiers parfois délabrés, comme des anciens sites industriels et les dynamiser, les transformer en nouveaux quartiers « trendy » et « arty ». Leur présence va ensuite attirer les investisseurs qui vont accélérer la métamorphose du quartier. Cette population bohème sera éventuellement elle-même bientôt contrainte de migrer, remplacée par des populations aux revenus supérieurs, qui pourront s’offrir le quartier désormais reconverti. Quartier qui sous le coup de sa transformation aura perdu ce qui avait fait son attrait au début du processus. A mesure que le phénomène s’étend, des périphéries toujours plus éloignées deviennent de nouveaux centres.

Insufflé principalement par des promoteurs immobiliers qui investissent dans de nouveaux quartiers ou d’anciens quartiers à réhabiliter, le phénomène peut également être appuyé par les gouvernements locaux qui encouragent le développement commercial et les investissements. Dans tous les cas, ces réhabilitations, ces mutations vont de pair avec une requalification et une recomposition du quartier. Les classes populaires ne peuvent plus payer les loyers, et sont contraintes de se déplacer, tout comme les petits commerces.

Les premières phases du processus peuvent avoir des effets positifs dans des quartiers jusqu’ici déshérités. Au départ, la gentrification apporte une mixité sociale et démographique au quartier, augmente la sécurité et insuffle une nouvelle énergie. Le phénomène devient négatif lorsque les populations se voient chassées de leur territoire. Ces métamorphoses provoquent aussi la disparition des subcultures et changent résolument le caractère du quartier.

Dans ces Villes-Monde qui ont un fort pouvoir d’attraction, la ville continue à se peupler, la compétition pour l’espace s’intensifie, il faut donc conquérir des anciens espaces abandonnés, et en ériger de nouveaux dans des zones à requalifier. Bref, il faut valoriser chaque mètre carré. La gentrification pour le dire autrement, c’est l’accélération du processus de succession des populations due à l’accentuation de la lutte pour l’espace, en raison de la forte concentration démographique.

Gentrification et Cosmopolis

A quoi ressemble une ville lorsque la gentrification a presque achevé son œuvre ? Si on veut se faire une idée, Manhattan semble toute indiquée. Le phénomène y est visible partout. Ce n’est pas une nouvelle vague qui aurait déferlé sur New York, mais un tsunami !

Avec la gentrification, l’espace uniformisé s’étend au détriment des territoires appropriés. La société s’uniformise culturellement, la fusion opère sous contrainte. C’est le Melting Pot par l’argent. L’uniformisation de l’espace social serait le résultat d’un match n’opposant pas les communautés culturelles et la société dominante, mais les riches et les pauvres. Ironiquement, c’est le culte du commerce et de l’argent, dénominateur commun de toutes les communautés new-yorkaises, qui poussé à son paroxysme, crée de nouvelles divisions.

Un habitant de Spanish Harlem, Andrew J. Padilla, dépité devant la transformation de son quartier à forte composante identitaire, s’est intéressé de plus près au phénomène et réalisé un documentaire sur le sujet, El Barrio Tours: Gentrification in East Harlem.

Aujourd’hui, la New York cosmopolite il faut la chercher en-dehors de Manhattan. Une forte diversité culturelle subsiste encore dans certaines parties de Brooklyn, du Queens et du Bronx, bien que le Queens et particulièrement Brooklyn soient aussi touchés.

Mais cette aseptisation accélérée par le portefeuille est aussi appuyée par une vision politique. Manhattan se doit d’être une vitrine nationale. Vitrine de la mondialisation financière, pas85 du mouvement des hommes pauvres venus d’ailleurs. Cette vision doit substituer aux multiples communautés culturelles une seule et unique communauté: la communauté libérale qui habite le temple de l’argent. A New York, le résultat du compromis entre politique nationale et économie mondialisée semble avoir été l’uniformisation de la ville. Or la ville mondiale doit trouver un équilibre, elle a besoin de nouveaux flux de travailleurs pour fonctionner, et ne peut donc se permettre de chasser sa main d’œuvre trop loin de la ville. Du reste une ville ne peut pas fonctionner en étant uniquement un ghetto pour riches du monde entier. Enfin, une ville aseptisée cesse de susciter du rêve et des idées dans la tête des investisseurs.

Si l’uniformisation socio-économique et par conséquent souvent ethnique nuit à l’économie de la ville, elle peut aussi nuire à son image. Le mythe de New York ne correspond pas à l’image d’une cité ultra-manucurée, mais bigarrée, créative, en constante métamorphose. Manhattan doit aujourd’hui parvenir à faire cohabiter son image mythique et sa nouvelle image ultra-glamour.

Mais peut-être a-t-elle déjà perdu son âme de pionnière, son esprit de lutte. On y ressent plus la somme de tous les espoirs, mais le résultat, l’aboutissement de la somme des énergies. Manhattan a été nettoyée, maquillée, on y a éliminé la saleté, la pauvreté, le vice. Manhattan a été travaillée pour en faire une vitrine utopique du pays. Manhattan est devenue monochrome. Elle manque d’aspérité. Elle voudrait nous faire croire que c’est là l’aboutissement du projet libéral, l’aboutissement d’un Melting Pot où tous les habitants seraient désormais riches et branchés.

Manhattan est désormais une citadelle sous contrôle, où la diversité doit être elle aussi contrôlée. La composition organique et chaotique de la capitale économique dérégularisée a été recadrée. Le cosmopolitisme politisé. Manhattan a été récupérée par la nation, a suivi l’évolution du pays.

Quoi qu’il en soit, la mixité reste profondément ancrée dans l’ADN de cette New York du chic et de la branchitude. La diversité est partout, et s’exprime de maintes façons. Diversité marketing, Diversité patrimoine, Diversité centralité, Diversité enclave externalité, Diversité intégrée, Diversité Melting Pot, Diversité ADN, Diversité hybridités…

Et New York reste une ville où l’on vient pour se transformer et la transformer. S’ouvrir, avancer, fusionner. Manhattan est une ville de commerçants. Les immigrants du monde entier, attirés aussi par la culture américaine, y viennent pour réussir, éventuellement se poser, certainement pas pour se reposer sur leurs identités. Ils viennent pour faire du business. Au-delà des différences, ces ajoutés du monde entier sont liés par cet esprit d’entreprise.

How to connect, gather & bind the Society (Fin)

Être ouverts les uns aux autres, évoluer ensemble, se transformer ensemble, dans un processus de transformations multilatérales, au sein d’un espace partagé dont on souscrit à l’esprit pionnier, combatif et mondialisé. Trouver un équilibre entre Melting Pot et Salad Bowl, Espace et Territoires, culture mondialisée et cultures « ethniques ».

86Finalement, c’est comme si le cosmopolitisme était acquis, la diversité digérée, et que New York était déjà passée à autre chose. Regarder Manhattan c’est regarder le lieu où se dessine notre futur. Des nouveaux courants semblent émerger et une nouvelle nouvelle nouvelle New York se deviner. La dernière vague qui a colonisé la ville semble être verte. New York, future Green & Bio City ? A côté de la gentrification, cette vague bio représente l’autre phénomène visible. Et celle-ci a obtenu le droit d’entrer ! Si on résume : nouveaux immigrés relégués en périphérie + vague bio + ville ultra-sécurisée, se dirigerait-on vers une ville aseptisée dont la seule couleur ayant encore le droit d’entrée serait le vert ?

87 88 89

 

 

 

 

Brèves de Mobilité(s)

Si l’uniformisation de New York peut étouffer la Cosmopolis, elle subsiste bel et bien dans l’âme de ses habitants, leur attitude, leurs discours. Car ce qui résume le mieux cette ville c’est le mouvement. Et tant que la ville sera définie par le mouvement, elle demeurera une potentielle Cosmopolis. Ce que j’ai constaté au détour des conversations, c’est qu’à New York, “it is all about moving in or moving out”. Du jeune homme assis à côté de toi dans l’avion, à la famille assise à côté de toi dans le métro, à la fille qui te rejoint sur un banc, aux gens rencontrés dans les cafés ou dans le taxi, tous sont marqués par le mouvement. Dans leur discours, ils disent souscrire au mythe du Melting Pot. Ils disent être là pour réussir et se confondre.

Ils viennent du Ghana, de Colombie, du Kosovo, de Washington, d’Australie, d’Irlande, de Chine, de Grèce ou d’Inde. Ils vivent à Manhattan, dans le Bronx, à Dumbo, dans le New Jersey, dans le Connecticut ou à Long Island City. Ils rêvaient de New York, sont venus seuls, rejoindre des amis ou de la famille. Ils ont trouvé un job, a place, et … that’s it ! A les écouter, ça paraît si simple de s’installer ici… Il y a des choses dont ils ne parlent pas cependant. Ils ne parlent pas d’enclaves communautaires, ils ne parlent pas de double identités, et pour ceux qui n’ont pas obtenu la Green Card, ils ne parlent pas de papiers. Ils ne parlent pas de « political stuffs ». Ils t’offrent leur compagnie, et toi tu fais ton mieux pour ne pas passer pour un agent de l’immigration…

L’âme cosmopolite de New York facilite les contacts. Les New Yorkais sont ouverts et t’abordent spontanément. Les New Yorkais, de souche ou ajoutés, comprennent l’errance. Ils t’invitent chez leurs amis parce qu’ils « know the feeling of travelling alone », te proposent de te guider dans la ville ou de te rencontrer le week-end parce que « entre Européens, il faut se soutenir », t’invitent à voir un vieux film français dans un cinéma indépendant parce qu’ils sont persuadés que ça te fera plaisir…

En résumé, si je me base sur cette expérience en particulier, oui les habitants de New York s’identifient à leur ville. Non, les citoyens de New York ne sont pas très politisés. Et oui, ils sont résolument cosmopolites.

Bye Bye New York, See you soon !

Je quitte cette New York qui te nourrit et te vide, cette « Organic in progress & Gentrified in achievement City », où j’ai eu la joie de parler la langue du monde. Je quitte New York et ses bruits, New York immense chantier à ciel ouvert, New York qui t’insuffle de l’énergie mais t’en prend beaucoup aussi. Je quitte le spectacle ininterrompu du temple du style. Je quitte ce lieu-Monde où s’invente notre futur.

New York est bien la ville de Transnations de toutes origines et de tous mouvements culturels ou sociétaux. Mais avec l’aseptisation de Manhattan, et bien je crois que ce n’est pas ici la Cosmopolis. New York, ville de tribus culturelles, ethniques, religieuses ou sociétales, reliées par le business, la société de consommation mondialisée, partageant un espace commun et s’identifiant à leur terre d’élection. En ce qui concerne tous ces ajoutés venus du monde entier, parler de réseaux de solidarité me semble plus approprié que de parler de communautés. Le réseau contient l’idée de mouvement, la communauté a une connotation figée. En ce sens, New York ne m’est pas apparue comme une ville de communautés.

Au final, je ne sais pas vraiment quoi penser, c’est ma première errance en Ville-Monde, et je ne suis pas persuadée d’avoir tout saisi, tout compris. En fait, je pense que c’est ça, c’est tout ça une Global City : Melting Pot, Salad Bowl, Transnations, Cosmopolitisme, Gentrification, Organic Wave, ethnicisation des périphéries, Hipsters, business, et par-dessus tout, constantes métamorphoses. C’est complexe, insaisissable, parce qu’en mouvement constant. Les gens, les modes, les bâtiments, tout bouge très rapidement. Suis-je parvenue à saisir l’âme de New York à travers Manhattan et ses boroughs, à faire un portrait de New York sous l’angle du cosmopolitisme ? Certainement pas. Ai-je été interloquée, surprise, enchantée, fascinée, bousculée, désespérée, charmée ? Oh que oui !

Au final, plus de pistes de réflexions que de réponses. Et une réflexion elle-même décousue. Comme une métaphore de la ville. Pas de réponses arrêtées dans une ville en constante redéfinition. Et une réflexion qui se créée dans le mouvement. Oui, c’est ça, un voyage socio-géographique qui privilégie les sens, c’est partir avec un questionnement, et revenir avec encore plus de questions.

Ce que j’ai le sentiment en revanche d’avoir compris, c’est que pour capter le cosmopolitisme new yorkais, pour avoir the whole picture, il faut certes se rendre dans les territoires des autres boroughs, mais aussi, et dans un mouvement qui ne lui est pas opposé, effectuer des allers-retours à Manhattan. New York donne le ton au reste du monde. Et ce que New York semble nous dire c’est qu’elle construit une Global City, un Monde où l’on aurait plus à choisir, où l’on pourrait être Salad Bowl en périphérie, Melting Pot au centre. Territoires et Espace commun m’apparaissent comme les deux faces d’une même médaille, les gens importent un peu de l’espace central dans les territoires, et un peu des territoires dans l’espace central. Les cultures s’hybrident et s’interpénètrent partout, dans l’espace central et les territoires périphériques.

Ironie du sort, pendant que je parcourais inlassablement sa ville à la recherche de réponses, Arjun Appadurai, le « responsable » de cette aventure, donnait lui des conférences dans ma région…. Pour ma part, je mets le cap vers le Canada, vers Montréal et Toronto, où je vais essayer de ne pas me blinder d’informations, ne pas baliser ma route. Désormais, I want to work on the feeling first.

90

 

 

 

 

Consultations / Pour aller plus loin

http://www.stteresany.org/?page=history2

http://www.notfortourists.com/hood.aspx/newyork/elbarrio

https://en.wikipedia.org/wiki/Little_Fuzhou

http://en.wikipedia.org/wiki/Le_Petit_Senegal

http://reseau-terra.eu/article712.html

http://en.wikipedia.org/wiki/116th_Street_%28Manhattan%29

http://mondediplo.com/2014/10/14senegal

http://www.slateafrique.com/14205/new-york-little-senegal-la-communaute-qui-fait-bouger-harlem

http://edition.cnn.com/2013/02/19/world/africa/little-senegal-harlem/index.html

https://www.indiegogo.com/projects/el-barrio-tours-gentrification-usa#/story

http://frenchmorning.com/heureux-comme-un-francais-a-harlem/

http://frenchdistrict.com/new-york/french-district-connection/

http://www.harlemspirituals.com/products-fr/brooklyn-tour.php

http://blog.viatorcom.fr/new-york-city/brooklyn-une-banlieue-du-vrai-new-york/

http://frenchmorning.com/bococa-le-%C2%AB-french-town-%C2%BB-de-brooklyn/#

http://www.globalpost.com/dispatch/france/100209/little-france-brooklyn

http://www.nytimes.com/2009/05/31/realestate/31living.html?adxnnl=1&pagewanted=all&adxnnlx=1409732870-GsrICvobUmOdNQU7HGrojg

http://untappedcities.com/2014/01/23/nyc-micro-neighborhoods-little-odessa-brighton-beach-brooklyn/

http://www.notfortourists.com/hood.aspx/newyork/boroughpark

http://www.academia.edu/2380065/Borough_Park_un_univers_juif_au_milieu_de_New_York

http://www.nytimes.com/2010/10/10/realestate/10living.html?pagewanted=all&_r=0

http://www.lemonde.fr/livres/article/2008/08/16/chez-elle-a-new-york_1084474_3260.html

https://www.walksofnewyork.com/blog/manhattans-little-mexico

http://www.barrypopik.com/index.php/new_york_city/entry/little_jamaica_little_kingston :

http://www.nytimes.com/2012/02/01/nyregion/in-crown-heights-a-renaissance-with-unease.html?pagewanted=all&_r=0

http://frenchlanguage.frenchculture.org/news/francophonie-new-york-east-brooklyn-le-petit-haiti

http://www.barrypopik.com/index.php/new_york_city/entry/little_haiti_flatbush_and_canarsie_brooklyn

Festival caribéen septembre : http://www.voicesofny.org/2014/09/west-indian-americans-celebrate/

http://queens.about.com/od/thingtodo/ss/7-subway-tour_5.htm

http://www.voyagerluxe.com/Le-Queens-un-quartier-de-New-York-a-decouvrir.7760.html

https://www.airbnb.fr/locations/new-york/astoria

http://cultureweekend.com/hookah-hookah-hookah-little-egypt-york/

http://queens.about.com/cs/neighborhoods/a/jackson_heights.htm

http://queens.about.com/od/thingtodo/ss/7-subway-tour_4.htm#step-heading

http://www.nytimes.com/2007/12/30/realestate/30livi.html?pagewanted=all&_r=0

http://obsession.nouvelobs.com/food/20140507.OBS6391/a-new-york-le-vrai-little-italy-se-trouve-dans-le-bronx.html?xtor=RSS-17

http://frenchmorning.com/little-italy-le-vrai/

http://frenchmorning.com/les-quartiers-new-york-parlent-francais/

http://www.myfoxny.com/story/24875808/a-taste-of-paris-in-brooklyns-little-france

http://latinosusa.blog.lemonde.fr/2012/12/22/a-new-york-el-barrio-se-boboise/

http://elbarriotours.tumblr.com/intro

http://www.gothamgazette.com/index.php/city/817-a-decade-after-911-little-pakistan-bounces-back

http://www.nytimes.com/2005/06/19/nyregion/thecity/the-coney-island-of-their-mind.html?_r=0

http://journalism.blog.brooklyn.edu/brooklyns-little-pakistan-grows-as-young-people-stay/

https://riceandcurry.wordpress.com/2015/04/08/off-the-eaten-path-little-pakistan-brooklyn/

http://frenchdistrict.com/new-york/articles/journee-visites-east-village-new-york/

https://en.wikipedia.org/wiki/Little_Fuzhou

http://www.m2jc.fr/new-york-redessinee-par-la-gentrification/

http://lemetropolitanblog.com/2011/12/26/brooklyn-nouveau-centre-de-ny/

http://www.bbc.com/news/magazine-25920980

https://www.indiegogo.com/projects/el-barrio-tours-gentrification-usa#/story

en.wikipedia.org/wiki/New_York_City_ethnic_enclaves

www.le monde.fr/style/article/2013/05/10/united-colors –of-new-york_3174360_1575563.html

www.nytimes.com/interactive/2013/06/09/nyregion/new-york-citys-newest-immigrant-enclaves.html

http://thecreatorsproject.vice.com/blog/an-online-living-history-of-los-sures-grows-in-brooklyn

http://www.examiner.com/article/the-allure-of-astoria-s-little-egypt

http://edition.cnn.com/2011/BUSINESS/04/12/little.egypt.new.york/

http://www.nycgo.com/slideshows/see-the-world/1

http://untappedcities.com/2014/04/04/nycs-micro-neighborhoods-little-poland-in-greenpoint-brooklyn/

http://www.walkingaround.com/

Brooklyn’s Ethnic Enclaves

http://www.nydailynews.com/new-york/brooklyn/flatbush-aves-christie-jamaican-patties-closes-article-1.1581143

http://www.nylikeanative.com/crown-heights-tour.html

http://www.nytimes.com/interactive/2011/01/23/nyregion/20110123-nyc-ethnic-neighborhoods-map.html

http://isites.harvard.edu/fs/docs/icb.topic868440.files/Logan%20Immigrant%20enclavbes%20and%20thnic%20communities.pdf

http://www.curiosites-futilites-new-york.com/2013/10/a-la-decouverte-du-quartier-juif.html

http://hasidicwilliamsburgtour.com/

http://nymag.com/realestate/neighborhoods/2010/65356/

http://www.nytimes.com/2007/12/30/realestate/30livi.html?n=Top/Classifieds/Real%20Estate/Columns/Living%20In&adxnnl=1&adxnnlx=1438340655-XlsVqxecYz6oAtVK+gBqBQ

http://www.newyork.com/articles/neighborhoods/morris-park-47371/

http://www.nydailynews.com/life-style/real-estate/walking-tour-morris-park-bronx-new-italian-enclave-gallery-1.1042336

http://www.lexpress.fr/tendances/voyage/special-new-york-bushwick-le-nouveau-repaire-des-artistes_1291834.html

http://www.worldia.com/etats-unis-cote-est/new-york/activites/visite-guidee-de-brooklyn

http://etats-unis.americas-fr.com/new-york/chinatown.html

 

Et bien entendu, l’incontournable, l’inimitable, l’irremplaçable Guide du Routard, ami fidèle.