Temps 2. La consécration du Monde mobile et du Réseau

Dans notre récit en quatre temps, le transnationalisme correspond à la phase de consécration du Monde mobile et du Réseau. Il évoque cette phase insolente de la mondialisation qui prédisait, par excès d’arrogance et de confiance, la mort à moyen terme du monde de l’ordre et des limites. La vision transnationale reflète l’avènement d’un monde fait par et pour les mobilités. Un monde qui oublia de jeter un œil dans le rétroviseur… Qui ne vit pas se pointer le retour du Territoire. Amateurs, arpenteurs et défenseurs du Réseau ont eu tort de penser que le Monde mobile était acquis. Ils n’ont pas senti la révolte gronder. J’étais de ceux-là. Sous le charme, aveuglée sans doute par la promesse de potentialités géographiques illimitées. J’étais de ceux-là, et l’approche transnationale devait représenter le cœur de cette réflexion sur le monde mobile.

Mais au vu des rebondissements et des retournements qu’on abordera plus tard, j’ai procédé à des ajustements et pondéré l’importance du monde du Réseau pour en faire un des axes, et non l’axe principal de la réflexion. Ayant perdu un brin de sa superbe, mais néanmoins toujours plein de vigueur, le réseau cohabite aujourd’hui au coude à coude avec le Territoire.

Il est désormais temps pour moi de vous exposer ce que j’entends par Monde du Réseau et vous présenter quelques facettes de cet univers-là. Pour ce faire, je vais m’appuyer sur l’approche transnationaliste, à savoir la vision du monde qui explique, soutient et consacre la figure du Réseau. L’approche transnationale a vu le jour il y a déjà plus d’une vingtaine d’années dans la littérature anglo-saxonne. Parmi les précurseurs de cette approche, on peut citer les anthropologues américaines Nina Glick Schiller, Linda Basch, Cristina Szanton Blanc et leur ouvrage de 1992 Towards a Transnational Perspective on Migration, ou Alejandro Portes, avec l’élaboration du concept de communautés transnationales, et sa « mondialisation par le bas ».

Le transnationalisme, c’est à la fois un état du monde, une idéologie, des figures et des pratiques, qui met  l’accent sur la mondialisation et les mobilités, et le caractère trans-frontières de nos existences.

Le transnationalisme. Nouvel ordre du monde

Le monde transnational c’est le monde créé par le capitalisme mondialisé, les échanges économiques mondiaux. Avec l’extension du marché mondial, on est passé à une autre dimension : d’un monde international, où l’impulsion du mouvement d’extension partait des États qui restaient la référence, à un monde transnational, à savoir le monde crée par le marché mondial, qui ne se confond plus forcément avec le monde des États, mais fonctionne selon ses propres règles et fait fi de leurs frontières. Dans le monde transnational, le réseau s’est juxtaposé au monde des États, et le marché mondial se déploie à travers eux. On circule désormais au sein d’un réseau qui se superpose et se confond avec le monde. En traversant les frontières, le marché mondial a donc engendré un monde transnational qui permet des existences qui se déploient à travers les frontières, des existences qui ne sont plus seulement déterminées par les territoires des États. Le monde transnational permet des existences déterritorialisées, dans le sens où elles ne sont plus liées aux caractéristiques et contingences du lieu. Dans un monde transnational, nous ne sommes plus assignés ou déterminés par un seul lieu, mais par plusieurs. Dans un monde transnational, nous sommes en mouvement mais connectés par une identité culturelle, connectés virtuellement, par les médias, les productions culturelles, les transports, les moyens de communications. Le monde transnational c’est à la fois une réalité et une promesse : le droit au mouvement. Car dans un monde transnational, il n’y a plus dichotomie entre les migrants et les autres. Le monde transnational promet le cosmopolitisme pour tous.  Nos existences composent et tiennent compte de la mobilité. Nous sommes tous des migrants potentiels.

Bouffée d’oxygène, le paradigme transnational permet de renouveler notre vision du monde. Il montre la mondialisation sous une autre facette. Il montre comment on peut en tirer le meilleur parti. Avec cette vision, les mouvements se sont plus considérés comme une anomalie, plus synonymes de fragilité, mais ils représentent la continuité logique et naturelle du marché mondial, son extension. Les mouvements deviennent une force, et l’approche transnationale met en avant l’avantage des populations mobiles dans la mondialisation. Grâce à leur capital géographique, leurs identités et leurs solidarités multiples, elles se jouent des frontières et tirent bénéfice de leur flexibilité.

Le Transnationalisme. Une idéologie de la cohabitation

Si ce Monde mobile existe, alors il nécessite de nouvelles règles. Et à réalité nouvelle, mythes nouveaux. En tant que théorie de la cohabitation, le transnationalisme permet de prendre acte qu’en se déplaçant, on ne laisse plus un monde derrière soi, pour devenir autre, et seulement cela. Que nos circulations ne créent plus de rupture avec notre monde d’origine. Fluidité, caractère provisoire ou définitif de nos ancrages, jamais déterminés définitivement, acquis une fois pour toutes. Le transnationalisme c’est la possibilité de ne pas choisir. De faire des escales. De retourner, de revenir. Ou simplement de rester connectés.

Définitions

« Nous définissons le transnationalisme comme les procédés par lesquels les migrants forgent et maintiennent des relations sociales multiples et créent de la sorte des liens entre la société d’origine et la société où ils s’installent. Nous appelons ces procédés « transnationalisme » pour insister sur le fait que de nombreux immigrés construisent aujourd’hui des sphères sociales qui traversent les frontières géographiques, culturelles et politiques traditionnelles. Un élément essentiel du transnationalisme est la multiplicité des participations des immigrés transnationaux (transmigrants) à la fois dans le pays d’accueil et d’origine. » (Glick Schiller, Basch & al., 1994)

Et je ne résiste pas à vous imposer un morceau de pure poésie académique… Le transnationalisme implique l’interdépendance de trois éléments : « une « constellation postnationale » (Habermas, 1998) qui permet des « identités transnationales » (Appadurai, 1996), plurielles donc, non nécessairement liées à un seul État-nation. Ensuite, l’émergence du Monde comme aire pertinente pour de multiples pratiques liées à la survie, pratiques notamment professionnelles, mais aussi de soin, de loisir, etc. Enfin, de multiples circulations, communications et liens « postmigratoires » qui sont maintenus avec les lieux de départ. (…) il s’agit de formes temporaires de présence / absence dans de multiples lieux. C’est ce qu’on appelle dans la littérature les transmigrants car les liens familiaux, économiques, sociaux, organisationnels, religieux, identitaires, politiques s’établissent à travers les frontières nationales. » (Jacques Lévy, 2008)

Dans une optique transnationale, les migrants conservent et construisent donc des liens culturels, économiques, politiques, religieux et sociaux avec leur communauté restée au pays d’origine ou dispersée à travers le globe. Ils sont aidés en cela par les technologies de la communication et la facilitation des transports. Leur existence n’est plus limitée par un territoire délimité par des frontières, mais pour partie s’inscrit dans des réseaux. Ils sont connectés entre eux à travers divers lieux, s’inscrivent dans une toile qui surplombe les territoires et transcende les frontières. Ainsi leur identité et leur existence ne sont plus liées à un seul État-nation, circonscrites dans un territoire national unique. Dans cette perspective du compromis, le migrant ne s’assimile ni ne se replie. Il n’abandonne pas pour toujours ni ne s’ancre de façon permanente ailleurs. Il peut revenir, il peut rester, il peut se déplacer encore ailleurs sur le réseau. Il n’est pas de nulle part mais potentiellement de partout. Il se sent de partout et participe partout. Il est dans une logique d’ajouts et pas de réduction. Le transnationalisme représente une voie médiane qui permet d’inscrire son existence ici, là-bas, voire davantage. Il s’agit d’un modèle hybride qui tient compte de la fluidité des migrations liées à la mondialisation économique, et des identités mobiles et multiples qu’il induit. Il nous offre un miroir plus fidèle de la fluidité du monde.

Conditions

Un monde transnational, mis en mouvement par les échanges globaux. Les mouvements humains suivent les flux économiques. Le transnationalisme dépend et s’avère être le prolongement de l’économie mondialisée et du libéralisme économique qui impose la flexibilité de la production et de la finance. La flexibilité économique va affecter les flux, la culture et les stratégies d’immigration. Au caractère mouvant de l’économie mondialisée répond le caractère plus provisoire des migrations économiques. Le modèle de la flexibilité appliquée au mouvement lui offre un caractère plus mouvant, plus provisoire. Le mouvement n’est plus vécu comme une rupture permanente, un abandon.

Un monde postcolonial et post-moderne. Un monde éclaté, polyphonique et polycentrique. La vision postmoderniste du monde reconnaît que les savoirs sont situés, qu’il n’y a plus une seule vision dominante, à savoir la vision occidentale du monde. Le post-modernisme relativise les savoirs et cassent les hiérarchies. On reconnaît désormais de la valeur à toutes les voix, ce qui permet l’ouverture à de nouvelles voies. Cette vision signe la fin des grandes idéologies, des valeurs écrasantes, définies une fois pour toutes. Le monde est en constante réécriture. Avec cette vision, on prend acte que les migrants sont porteurs de cultures qui ont de la valeur, et on renonce à leur imposer l’assimilation totale aux valeurs de la société d’accueil.

Les pratiques transnationales nécessitent des conditions matérielles : médias, multiplication des moyens de communication et de transports.

Le libéralisme politique s’avère une condition sine qua non au transnationalisme, qui a besoin de frontières poreuses. La fermeture des frontières et le protectionnisme brident son expression. Un discours nationaliste étouffe son expression et ses pratiques.

Réseau d’implications, connexions

Le transnationalisme c’est un peu la boîte de Pandorre, qui en sus prend la forme du monde qu’il décrit, à savoir un réseau qui connecte de nombreuses notions. Il remet en cause l’importance des frontières, donc des territoires des États. Il multiplie les loyautés, donc amène à une redéfinition de la citoyenneté. Il complexifie les identités, modifie les territoires, redessine l’espace mondial.

Identités complexes. Dans une perspective transnationale, les identités sont multiples, mouvantes, contextuelles, cosmopolites, hybrides, embrassant plusieurs espaces à la fois et définies par plusieurs échelles. L’identité du migrant ne se limite pas à l’identité nationale du pays dans lequel il est installé. Façonné à la fois par son pays et sa région d’origine, son pays d’installation, le migrant peut aussi s’identifier à sa ville et à sa région d’élection. Son identité est aussi influencée par tous les lieux qu’il a pu traverser et investir. L’identité de l’homme mobile résulte du bricolage entre toutes ces composantes.

Territorialité en Réseau. Dans cette perspective, la territorialité du migrant est multidimensionnelle, elle ne se limite pas au territoire d’un seul État-nation, mais prend la forme d’un réseau de lieux. Grâce aux médias, aux technologies de communications, à la facilité des transports, qui facilitent les interactions, le migrant peut être à la fois « Ici » (lieu d’installation, le territoire du quotidien. Pérenne ou provisoire), « Là-bas » (pays d’origine), « Ailleurs » (la constellation, aire de déploiement de la communauté transnationale, tous les lieux où est présente la communauté avec qui ils conservent des liens. « L’Ailleurs » correspond à l’étendue du réseau de solidarité de la communauté). On peut superposer à la carte géopolitique du monde celle des réseaux de territoires des communautés transnationales. Dans ce territoire éclaté et global, les territoires d’origine et d’installation sont des points parmi d’autres sur leur réseau.

img-1-small580L’équilibre de la triade Ici/Là-bas/Ailleurs peut être rompu lorsqu’il y a surinvestissement d’un des éléments. On peut par exemple flotter dans l’ailleurs et ne plus être ancré dans local. Ou rester, se rêver là-bas.

Loyautés multiples. Le transnationalisme implique qu’on s’identifie et participe dans plusieurs espaces, qu’on évolue dans une constellation de lieux et plus uniquement dans un territoire fermé et continu, ce qui implique des allégeances et des loyautés multiples : « loyauté vis-à-vis du pays de résidence, source de droit ; celle vis-à-vis du pays d’origine, source d’identité et d’émotion ; et celle vis-à-vis d’un espace liant les deux Etats, voire au-delà, à travers lequel circule la « communauté transnationale imaginée » comme une nation déterritorialisée. La globalisation et plus particulièrement la construction européenne ont introduit un quatrième axe : les institutions supranationales, comme nouvelle source de droit et de légitimité au-delà des Etats, et support du nationalisme transnational. » (Riva Kastoryano). Par extension ces multiples loyautés redéfinissent la nationalité, et encouragent une redéfinition de la citoyenneté, plus labile, mouvante, flexible, adaptée et adaptable.

Affaiblissement de l’État. En remettant en cause le rapport entre territoire et nation, le transnationalisme, vision du monde au-delà ou en dépit des frontières, qui détermine des modes de vie qui font fi des frontières, sonne comme une remise en cause, une provocation à l’État-nation. Le transnationalisme redimensionne l’importance du modèle territorial d’allégeance jusqu’ici référent hégémonique, celui de l’État-nation. Il diminue l’importance de l’Etat-nation comme échelle de gouvernance pertinente, en mettant l’accent sur d’autres échelles, locales et globales notamment. En somme il aboutit à une repondération des échelles de gouvernance.

A monde hybride, modèle d’intégration hybride

Après avoir passé en revue ces mythes dépassés que sont les théories sur les migrations, encore à la base des politiques régulant le monde mobile, le transnationalisme apparaît comme une voie médiane. Paradigme qui offre une image inédite du champ migratoire, avec ce mythe-là, j’ai trouvé ma terre d’élection. Le transnationalisme apparaît comme le mythe de la cohabitation le plus en phase avec le Monde mobile. Modèle d’intégration hybride le plus adapté à notre monde hybride. Idéologie qui se greffe sur le quotidien post-colonial, post-moderne, multiculturel, mondialisé et le révèle. Il permet de dépasser les théories classiques sur les migrations, les mythes vintage qu’on a abordés lors de l’état des lieux, comme l’assimilationnisme ou le communautarisme. Modèle hybride qui se situe quelque part entre les deux, il prouve qu’on peut mixer les deux modes de cohabitation sans contradiction. Qu’on peut revendiquer à la fois son intégration et ses racines. Le modèle transnationaliste, contrairement à ses deux cousins, sans saveur sociale et géographique, rend compte de la complexité.

Il permet de dépasser aussi bien l’assimilationnisme et son identité unique, abstraite, que le multiculturalisme et ses identités assignées, figées. S’il les dépasse, il ne s’y oppose pas. « Dans une perspective cosmopolitique – doublement inclusive -, le migrant est en position de rechercher une intégration raisonnée en même temps qu’il cultive des attaches multiples et tire profit de sa mobilité, de ses appartenances et de son expertise acquise dans plusieurs univers sociaux, professionnels, géographiques. » (Mihaela Nedelcu, 48) Les pratiques transnationales n’empêchent pas l’intégration des communautés transnationales dans la société d’installation. Au contraire. La communauté qui possède une identité forte sera mieux armée pour s’intégrer dans sa société d’accueil. Lorsqu’on sait qui on est, on est moins sur la défensive, et on peut créer des ponts. Ce sont souvent les migrants les mieux intégrés qui pratiquent le plus d’activités transnationales. Il n’y a pas de contradiction entre transnationalisme et intégration. Il ne faut pas confondre le transnationalisme qui est un processus positif d’expression de sa mobilité, et le communautarisme, qui correspond à un repli qui est souvent la conséquence des stigmatisations et de la ségrégation. Le transnationalisme peut conduire à un enrichissement mutuel du migrant et de la société d’accueil.

L’État, au lieu de voir dans ces liens et ces réseaux le meilleur compromis possible, combat le transnationalisme qui remet en cause son identité homogène et ses frontières. Il taxe les pratiques transnationales et les allégeances multiples de communautarisme, alors que les réseaux et la fluidité apparaissent comme la meilleure façon de laisser s’exprimer les mobilités, sans créer de bouchons et sans que l’État ait à assumer toute la responsabilité des nouveaux venus.

En effet, les réseaux de solidarité, de nature économique ou sociale, diminuent les situations de fragilité dans la migration, et permettent une meilleure adaptation à la société dominante. Les réseaux de solidarité ethniques offrent de multiples ressources aux migrants. Parmi elles, des compétences acquises et développées par la communauté, des cultures entrepreneuriales qui permettent de se spécialiser dans certains domaines au sein de la société d’installation et d’y inclure les nouveaux venus, qui seront plus autonomes économiquement et donc s’intégreront plus rapidement. Des études ont démontré que les communautés sans tradition entrepreneuriale réussissent moins bien et donc s’intègrent moins bien. Les réseaux ethniques ne doivent pas être combattus car ils favorisent « un mode de vie permettant de développer une « niche » au sein de la société majoritaire, tout en faisant partie d’une enclave ethnique qui sert à légitimer sa propre culture (Manço et Manço, 2001). Ceci donnerait lieu à la création d’un répertoire composite de compétences et de connaissances, dont certaines seraient davantage employées dans les relations avec la société majoritaire, alors que d’autres seraient davantage employées dans les relations avec les membres de sa propre communauté. (…) Il semblerait que la présence d’une communauté religieuse importante permet de distinguer plus facilement entre les aspects de sa culture qui sont « essentiels » et ceux qui peuvent être modifiés dans la recherche d’une plus grande intégration économique et culturelle. (…) Même si, à première vue, une religion minoritaire semblerait être un obstacle à l’intégration culturelle, il existe de nombreux cas où elle agit en fait comme un puissant instrument d’intégration économique et sociale.» (K. Cabatoof, 4)

Limites du modèle

Il ne faut pas faire du transnationalisme un modèle normatif. Le monde entier ne se déplace pas. Il ne faut pas succomber non plus au mythe de la déterritorialisation. Le transnationalisme possède de nombreux atouts, à condition qu’on ne l’érige pas comme modèle général de réorganisation du monde, en créant une fiction de déterritorialisation mondiale, mais qu’on l’applique à un type de population, les populations mobiles. De même, il faut prendre en compte qu’il y a toujours un processus de territorialisation dans une mobilité, en somme toujours du territoire dans le réseau : « Transnational migrants are not always in the air but must necessarily touch down somewhere » (D. Ley, 2004). Les mobiles ne vivent pas en apesanteur.

Les pratiques transnationales

Après avoir abordé le transnationalisme comme vision du monde et comme mode de cohabitation, parlons maintenant des pratiques transnationales. De quelle nature sont-elles et comment s’expriment-elles empiriquement ?

Natures des pratiques

On peut s’adonner à des pratiques transnationales de différentes natures : sociale, politique, économique, culturelle, religieuse. Le mode associatif représente le mode d’expression le plus courant de ces pratiques. Les associations représentent à la fois des lieux de reproduction culturelle et des interfaces avec la société d’accueil. Leurs buts et leur nature peut prendre de multiples formes, et mixer les fonctions. Les associations peuvent être à la fois dans la transmission de la culture d’origine et avoir un but intégratif. Elles peuvent mixer actions humanitaires en faveur du pays d’origine et manifestations culturelles dans le pays d’accueil pour créer ponts et faire connaître sa culture.

Pratiques sociales. Des liens familiaux et amicaux transnationaux maintenus ne représentent pas véritablement des pratiques transnationales. Le lien social devient pratique lorsqu’il y a existence d’un réseau de solidarité qui s’étend sur de multiples lieux et est capable de renseigner, d’accueillir, de soutenir, de conseiller, d’offrir du travail, un logement, etc.

Pratiques culturelles. Concernent toutes les activités ayant pour but à la fois la transmission et la sauvegarde de la culture et des traditions d’origine mais également sa représentation pour la société d’accueil et sa diffusion. Cours de langue, de danse, de musique, écoles, manifestations folkloriques ou célébrations multiples sont quelques exemples possibles de ces pratiques. On peut aussi mettre dans cette catégorie la production de multiples médias communautaires.

Pratiques économiques. La plus courante représente l’envoi d’argent en direction du pays d’origine, ce qu’on appelle communément des remises. Elles peuvent aussi prendre la forme d’investissements ou d’entrepreneuriat dans le pays d’origine. Aujourd’hui, l’économie ethnique, à savoir la création d’une économie à cheval entre deux ou plusieurs pays, constitue une pratique en plein essor.

Pratiques religieuses. Cultes, célébrations. La Oumma, la communauté transnationale musulmane, nation religieuse sans frontières, est souvent citée comme un des exemples les plus parlants du transnationalisme.

Pratiques politiques. Participation, voire engagement politique dans les deux espaces. Voter dans les deux endroits, créer un parti politique, s’investir dans la politique locale. Manifester dans le pays d’installation pour sensibiliser et soutenir une cause du pays d’origine. Voter depuis le pays d’installation pour l’élection dans le pays origine. Retourner dans son pays d’origine pour participer à la guerre. Récolter des fonds dans le pays d’installation pour une campagne dans le pays origine. S’impliquer et jouer un rôle dans des renversements de pouvoir dans le pays d’origine. Importer dans le pays d’accueil des conflits politiques du pays d’origine. Faire évoluer ses opinions et ses attitudes en fonction de la position géopolitique du pays d’origine. Peut poser problème quand le migrant se retrouve à devoir concilier deux appartenances ennemies, ses deux sols se faisant la guerre.

Conditions

La manifestation de ces pratiques nécessite un certain nombre de conditions. Outre des frontières qui doivent rester ouvertes et poreuses, il faut une immigration récente et importante d’un groupe à l’intérieur duquel on trouve une diversité sociale, et qui bénéficie de ressources. Ensuite, pour qu’on puisse parler de pratiques transnationales, un nombre substantiel de migrants doivent s’investir avec intensité dans ces activités. « Les conditions à réunir pour qu’il y ait mobilisation transnationale semblent être : un groupe immigré qui soit, d’une part, suffisamment varié dans sa composition et doté de ce fait de ressources sociales, culturelles et économiques multiples et qui, d’autre part, vit dans une condition d’infériorisation dans la société d’immigration. » (Rosita Fibbi, Gianni d’Amato, 20)

Pour Alejandro Portes c’est la quasi-instantanéité des communications internationales, le volume des personnes et des biens engagés et le fait qu’elles tendent à devenir « normatives » qui distinguent les activités transnationales au sens strict. « Il est préférable de réserver l’appellation « transnationale » aux activités de type économique, politique ou culturel nécessitant que les protagonistes y consacrent la majeure partie de leur temps de manière régulière. » (Alejandro Portes, 1999, 22)

Caractéristiques

Le degré des pratiques transnationales dépendent de l’environnement politique et des politiques d’intégration, de l’histoire, du fonctionnement économique, et des spécificités du pays d’accueil comme du lieu d’installation. Ces phénomènes varient également en fonction des spécificités des communautés.

L’État d’origine peut jouer un rôle non négligeable dans la diffusion des pratiques transnationales, via notamment la reconnaissance officielle de sa communauté transnationale et de ses apports, ou carrément la tentative de créer une communauté qui se reconnaisse comme telle. Il peut accorder un certain nombre de droits politiques à sa communauté allant de la double nationalité au droit de vote. Il utilise son image et parfois ses remises comme importante source de revenu. Un parti au pouvoir peut également instrumentaliser sa communauté pour servir ses intérêts.

Les pratiques transnationales ne sont pas synonymes de repli dans la société d’accueil : « les activités transnationales sont le fait des individus les mieux dotés en ressources sociales, culturelles et économiques à l’intérieur de chaque groupe, ceux qui participent le mieux à la vie sociale du pays de résidence » (Rosita Fibbi, Gianni d’Amato,19).

La pratique transnationale la plus répandue est la pratique culturelle. « Les nombreuses activités culturelles nourrissent l’identification des individus à la culture d’origine et visent en même temps l’élaboration d’une identité collective positive dans le pays d’immigration. » (Rosita Fibbi, Gianni d’Amato, 15)

Les liens transnationaux et l’associationnisme migrant diminuent avec la succession des générations. Mais la peur de l’uniformisation engendrée par la globalisation, a participé à la réactivation de l’identité culturelle. La culture se renforce, se revendique pour distinguer son identité, et ne se dilue plus forcément.

Le transnationalisme à l’épreuve des faits

Le transnationalisme s’avère être une théorie séduisante, une idéologie à potentiel. En dépit de son caractère parfois très… abstrait, elle possède de nombreux atouts. Cependant le transnationalisme a de nombreux détracteurs, qui remettent en cause tant sa pertinence théorique que son poids réel. Mais il a également de nombreux défenseurs. J’ai donc mené ma petite enquête en examinant un peu les différentes plaidoiries, dont je vais vous exposer quelques arguments.

Arguments des opposants

Un monde mobile ? Seule une minorité des gens migrent internationalement, c’est donc une absurdité d’affirmer que le monde est flux, tout comme il est absurde d’insister sur le caractère nouveau de ces flux.

Une théorie invisible ! Le concept de transnationalisme est invisible dans la sphère médiatique. Le mot transnationalisme apparaît en rouge dans mon texte, même mon logiciel de traitement de texte ne connaît pas ce mot ! Dans le langage populaire, la figure du réseau est plus volontiers associée aux réseaux mafieux et terroristes qu’aux réseaux de solidarité.

Un État pas si diminué… Même si son autorité fonctionne mieux sur le reste du territoire national que dans les villes mondiales, L’État joue toujours un rôle dans les processus migratoires, que ce soit lorsqu’il décide d’ouvrir ou de fermer ses frontières, ou ne les ouvrir qu’à un type de migrants. Il joue également un rôle, dans la création des communautés transnationales. La formation des transnations et les pratiques transnationales restent tributaires des États, qui continuent de déterminer les conditions dans lesquelles se déroulent les flux migratoires. Ils déterminent l’octroi des visas et des permis d’installations, l’octroi ou pas de la double nationalité, les politiques d’intégration, et entraînent les associations de migrants dans le jeu de la loyauté.

Migrant abandonné recherche communauté désespérément ! Peu de migrants d’un même pays d’origine forment des communautés de solidarité dans l’émigration. Dans les faits, la plupart des migrants, en particulier les familles, sont du type « migrant à racines », avec la volonté de s’installer durablement. La « culture expatrié » concerne une minorité de mobiles. La pérennité du transnationalisme est remise en cause : « l’intégration ou l’assimilation ne finissent-elles pas toujours par l’emporter ? » (Elodie Razy, Virginie Baby-Collin, 2011,12)

Activisme transnational dilettante. Les études montrent que les activités transnationales restent le fait d’une minorité à l’intérieur des groupes d’immigrés. Le transnationalisme reste peu développé dans la plupart des pays, où il se limite à une pratique privée, davantage que communautaire et organisée. Les activités transnationales ne sont pas la priorité des migrants. Les activités transnationales existent mais restent faibles, l’inscription dans le territoire d’installation prime. L’activisme transnational part souvent d’initiatives de l’État d’origine, et les études montrent que jusqu’ici, l’opportunité politique offerte par l’État d’origine à sa communauté transnationale de participer n’a pas conduit à la mobilisation escomptée.

Loisir de ville mondiale. Les pratiques transnationales ne concerneraient qu’un type de migrants et hormis dans les villes mondiales, le transnationalisme reste peu visible.

Les associations restent limitées géographiquement, il existe très peu de réseaux d’associations qui réuniraient les communautés dans un espace transnational imaginaire.

Théorie élitiste. Le monde transnational est réservé à une élite cosmopolite.

Arguments des défenseurs

Circuler n’est pas forcément s’installer. Le monde mobile, c’est d’abord la conscience d’un monde en mouvement. La possibilité de circuler et le poids de la mobilité dans la définition de nos existences, qui sont désormais influencées, pensées par rapport à lui. Le monde développe une culture de la flexibilité pour s’adapter à l’économie mondialisée. Le mouvement virtuel lui est généralisé, si le mouvement physique ne l’est pas. Les flux migratoires se sont intensifiés et diversifiés ces deux dernières décennies, mais ils se sont aussi concentrés. Le monde mobile est aussi une question de perception, la sensation que le monde est souffle, vitesse. Les chiffres vus du territoire, du point de vue des installations, ne reflètent pas l’augmentation significative et réelle du nombre d’arpenteurs du réseau.

Manque de Mots et expression tue. La théorie est peut-être invisible dans la sphère médiatique, mais les pratiques transnationales sont omniprésentes, elles ne sont juste pas nommées comme tel. Le transnationalisme, une réalité pas forcément exprimée vers l’extérieur, mais pour soi, des pratiques à destination de la communauté. La double allégeance est mal vue, et les migrants n’osent pas affirmer leur double identité, leur double appartenance, leurs liens. Leur réponse dépend de l’interlocuteur. Mais face au pouvoir politico-médiatique, ils nuancent souvent leur propos et revendiquent une forte intégration. Se sentent obligation d’allégeance. Pour libérer la parole, il faudrait dédramatiser les doubles appartenances pour qu’elles ne soient plus vécues par les migrants comme une trahison à leur terre d’élection.

Regardez autour de vous. Toute l’économie ethnique, qui étend sa présence bien au-delà des villes mondiales, entre dans le champ des pratiques transnationales. Prend pleinement sens dans les villes mondiales, dans l’économie de l’enclave ethnique, mais pas seulement.

Le transnationalisme concerne avant tout les communautés transnationales qui ne représentent pas les élites socio-économiques de la mondialisation.

Les célébrations communautaires se multiplient et les associations de multiples types dont le but est de créer des liens, des ponts ou des vitrines sont à ranger du côté des pratiques transnationales. Ces associations représentent les lieux invisibles des communautés transnationales.

Communauté civile transnationale. Si la participation politique encouragée par les États d’origine rencontre peu d’échos, les pratiques transnationales se manifestent énormément au travers des réseaux sociaux, en témoignent leur rôle dans de nombreux événements politiques internationaux.

Certaines enclaves ethniques sont les manifestations de véritables morceaux de transnations. Plus dilué dans le reste du territoire national, il suffit de se rendre dans les Villes mondiales pour saisir l’ampleur du phénomène transnational. Si ce n’est dans les discours, du moins dans la géographie, dans les enseignes, il est ancré dans les murs des villes mondiales, vivant dans ses commerces, croissant dans ses enclaves.

Poids des remises. Pour certains pays, les transferts financiers de leur communauté transnationale constituent un poste important de leur budget économique.

Les figures du monde transnational

Le monde transnational s’exprime à travers trois figures majeures, firmes transnationales, communautés transnationales et villes mondiales. Les firmes transnationales ont composé le réseau, les communautés transnationales les ont suivies, et toutes deux se sont retrouvées dans les villes mondiales.

Les compositeurs du Réseau : les Firmes Transnationales (FNT)

« Entreprise qui, à partir de sa localisation d’origine, a réalisé des investissements directs à l’étranger (IDE) significatifs et y possède des implantations soit par contrôle (filiales), soit par l’alliance avec des entreprises locales. » (Dictionnaire de la Géographie et de l’Espace des Sociétés)

Acteurs géographiques capitaux, acteurs majeurs de la mondialisation, ces « concurrentes » des États produisent une partie significative de la richesse mondiale, et représentent un pouvoir incontournable à l’échelle globale. Les chiffres d’affaires de certaines firmes dépassent ou sont comparables aux PIB de certains États ! En initiant le mouvement global, les firmes transnationales sont les moteurs des mobilités liées à la mondialisation économique. En même temps, leur Monde demeure mal connu, et leur relative opacité est inversement proportionnelle à la visibilité des flux migratoires qui occupent en permanence le devant de la scène politique et médiatique.

Stratégie globale, dispersion globale, Les Firmes transnationales ce sont plusieurs dizaines de milliers de sociétés mères (chiffres variant entre 50’000 et 80’000), plusieurs centaines de milliers de filiales (chiffres variant entre 450 000 et 800 000 succursales), plusieurs centaines de millions d’employés à travers le monde. Leur essor est lié à la diminution des coûts de transports, à l’évolution des TIC et à la libéralisation des marchés. Leurs stratégies d’implantation sont fonction de l’environnement économique, politique et social (infrastructures, qualifications, stabilité politique, coûts de production, régime fiscal…), et diffèrent pour la production ou le tertiaire.

Les firmes transnationales et les États entretiennent des relations ambigües. Entre tapis rouges et redressements fiscaux, l’État a du mal à contrôler ce pouvoir qui l’enrichit autant qu’il lui échappe. Susan Strange parle de « diplomatie triangulaire », avec trois types de relations qui interagissent : relations entre les gouvernements, relations entre firmes, relations entre gouvernements et firmes. Ces trois types de relations sont interdépendants. (Source : http://www.cairn.info/zen.php?ID_ARTICLE=RIS_054_0099)

Les firmes transnationales ont un effet majeur tant sur l’économie, la société, et les paysages des lieux dans lesquels elles s’installent. Elles créent une dépendance et laissent souvent un désert derrière elles lorsqu’elles délocalisent leurs activités. Si les firmes transnationales donnent le la du mouvement, elles inspirent également des nouveaux modèles sociaux adaptés à la diversité du monde mobile. Elles pratiquent par exemple le management interculturel pour le vivre ensemble à l’intérieur des firmes. Elles appliquent également le glocalisme, en adaptant leurs produits à chaque marché local.

Les Communautés transnationales

« Communauté composée d’individus ou de groupes établis au sein de différentes sociétés nationales, qui agissent à partir des intérêts et des références communs (territoriales, religieuses, linguistiques), et qui s’appuient sur des réseaux transnationaux pour renforcer leur solidarité par-delà les frontières nationales » (R. Kastoriano, 2000)

A mondialisation différentielle, types de migrants différents. Ainsi, à côté des expatriés employés des firmes transnationales qui commutent avec comme tout bagage leur territorialité portable entre les villes mondiales où ils peuvent vivre uniformément leur culture urbaine mondialisée, une autre figure migratoire commute elle aussi entre les villes mondiales. Il s’agit de communautés de migrants internationaux qu’on peut appeler des communautés transnationales. Elles sont l’expression de ces nations culturelles dont on a parlé plus avant. Ainsi expatriés des firmes et communautés transnationales sont les deux figures majeures de la mondialisation économique contemporaine.

Pour Alejandro Portes, les communautés transnationales concernent un groupe de migrants bien distinct. Le phénomène est totalement lié à l’économie mondialisée, dont il est une variante et une parade. Il y a la création par des entrepreneurs d’un vrai marché du travail en réseau, entre les pays d’installation et d’origine. Commerce essentiellement ethnique, ce type d’économie permet un développement des deux côtés. « cette forme de réaction « par le bas » à la restructuration mondiale n’est pas apparue par opposition aux forces économiques dominantes, mais bien dans leur sillage. Grâce à cette stratégie, le travail (au départ celui de la main-d’œuvre immigrée) rejoint les flux du commerce mondial, en imitant le nouveau cadre économique et en s’y adaptant, souvent de manière astucieuse. » (Portes, 1999,18)

Dans cette perspective, le transnationalisme n’est pas le fait d’une élite. La notion s’éloigne d’une vision cosmopolite élitiste pour s’appliquer à des migrants qui en développant leurs propres ressources, peuvent eux aussi mener une existence cosmopolite. Ce développement d’une économie ethnique transnationale qui imite le fonctionnement des firmes transnationales correspond aussi à une stratégie d’adaptation des migrants suite à la diminution de la demande de main d’œuvre immigrée dans l’industrie. Le développement de l’économie ethnique amène la création d’enclaves ethniques qui augmentent la visibilité des communautés transnationales.

Les communautés transnationales apparaissent postérieurement à la formation des États-nations à partir desquels elles se dispersent. Elles naissent principalement avec l’accélération de la mondialisation dès la seconde moitié du 20ème, et représentent une figure de l’économie mondialisée. En cela, elles ne doivent pas être confondues avec les diasporas, figures de l’exil politique. Leur dispersion ne correspond pas à un exil mais est liée à l’économie. Elles représentent le prolongement de leur État d’origine alors que la diaspora symbolise la rupture avec l’État d’origine. La communauté transnationale, communautés aux trois terres, « ici », « là-bas », et « ailleurs », diffère de la diaspora, nation sans terre. La figure de la communauté transnationale correspond à une période de compromis entre l’État et le Monde mobile, le marché. Entre le politique et l’économique.

Les communautés transnationales entretiennent des liens transnationaux familiaux, amicaux,  économiques, culturels, politiques, religieux par-dessus les frontières. Numériquement importantes et solidaires dans l’ailleurs, leur dimension associative et organisationnelle en réseau est fondamentale à leur fonctionnement. Elles développent une identité culturelle forte qui leur sert de ciment à travers la planète. Elles perpétuent des valeurs et des traditions dans l’immigration. Leur culture peut être diffusée et accessible partout grâce aux médias, mais aussi à travers la diffusion économique des productions culturelles à l’échelle mondiale.

Elles construisent des identités qui leur sont propres au sein d’espaces non culturellement homogènes. Cette identité sera composée en partie par le nationalisme, la langue et la culture du pays d’origine avec lequel elles maintiennent un lien. Mais elles vont réinterpréter dans le mouvement le nationalisme diffusé par leur État d’origine. Ces nationalismes modifiés dans l’immigration vont en retour le redéfinir dans l’État d’origine. Un État d’origine qui peut utiliser sa communauté transnationale pour devenir lui-même transnational. Leur identité n’est donc pas celle du pays d’origine. Elles développent donc une identité spécifique, liée et modifiée par la mobilité, influencée par la société d’installation. Une identité qui comporte des accents d’ici, de là-bas et d’ailleurs.

Les communautés transnationales peuvent être liées entre autres par une identification régionale ou nationale, par la langue, la religion, leur expérience commune de la mobilité, leur expérience d’immigration. Elles peuvent faire la synthèse de la diversité nationale du pays d’origine dans l’immigration en se réunissant dans leur nouveau territoire ou étant réunies de l’extérieur. On parle alors de « pan-ethnicité » (Y.L. Espiritu). Mais ce n’est pas forcément le cas, les différences internes peuvent se perpétuer à l’extérieur.

Unies par une identité culturelle, les communautés transnationales participent de cette quête obsessionnelle d’identité née dans le sillage de la peur d’une mondialisation culturellement uniformisante, en même temps qu’elle la démente, de par le caractère hybride, bricolé, complexe de leur identité.

Extension. Vers un nationalisme transnational ?

Les communautés transnationales peuvent constituer la base de nations déterritorialisées, opérant à travers les frontières nationales, réunissant les membres de la communauté à travers le monde, et ce sur d’autres bases identitaires que des liens primordiaux ou territoriaux. On retrouve ici les « mouvements culturalistes » d’Arjun Appadurai.

Leur territorialité en réseau, « invisible et non clôturée » permet « une forme de communauté politique dont les actions individuelles à l’intérieur du réseau deviennent les prémisses d’un nationalisme non territorial, cherchant à se consolider par des discours, des symboles, des images, des objets. » Ce nouveau nationalisme sans territoire doit être considéré comme « « nouvelle étape » – historique – du nationalisme. » (Riva Kastoryano, 534)

Une communauté culturelle, une communauté de valeurs, soudée davantage par une identité culturelle que politique, par une expérience commune que par un territoire, forme la base de la nation transnationale. Ce nouveau type de nation remet en cause la figure, la forme territoriale que prend traditionnellement une communauté nationale. Il remet en cause la conjonction de l’État et de la nation. La nation n’est pas circonscrite dans un territoire limité, elle a quitté son territoire clos pour s’éparpiller sur un réseau. Les frontières ne limitent pas l’appartenance à cette nation délocalisée, qui engendre une « nationalité portable » (Benedict Anderson) et un nationalisme à distance.

La nation transnationale n’a pas pour objectif une revendication territoriale au sens classique avec la création d’un État-nation. Ce qu’elle demande, c’est la reconnaissance de son identité culturelle transnationale au sein des États de résidence et par leur État d’origine. Sa revendication porte donc non pas sur un territoire mais sur une auto-détermination culturelle transnationale. En ce sens, le nationalisme transnational trouve un écho dans les politiques multiculturalistes de reconnaissances des communautés.

L’État d’origine en diffusant le nationalisme officiel et en offrant la possibilité à sa communauté transnationale de participer politiquement, produit et participe à la création de ce nationalisme transnational. Cependant, le nationalisme de leur État d’origine ne constituera toujours qu’une des facettes de leur nationalisme. La nation transnationale peut donc participer dans deux États, être doublement intégrée politiquement. L’identité nationale hybride de cette nation sera à la fois une extension du nationalisme de son État d’origine, nationalisme complexifié et enrichi dans la mobilité. Son identité unique, réappropriée dans l’immigration, se cherche donc un nouveau centre, autre que le pays d’origine.

Territoires de la nation en réseau et ébauche de la transnation

Cependant la nation, aussi transnationale soit elle, ne flotte pas toujours, elle peut prendre corps en s’ancrant. Les membres de la nation culturelle globale éparpillée créent des territoires, des lieux, des enclaves, qui constituent autant de morceaux de la nation globale, de morceaux de transnations, qui bout à bout dessinent un territoire en réseau certes, mais un territoire tout de même. On pourrait donc considérer que la nation globale est constituée à la fois par le pays d’origine et la somme des enclaves dispersées dans l’ailleurs. Si elle est désétatisée, si son identité est déterritorialisée, elle s’avère elle-même loin d’être déterritorialisée, la nation transnationale est plutôt multiplement territorialisée. A une territorialité unique se substitue une territorialité multiple, une trilogie. Il y a ce « territoire possible », le pays d’origine accessible à tout moment, parce qu’il n’y a pas rupture. Le micro-territoire où elle se trouve, ainsi que les autres micro-territoires bâtis par les membres de la communauté répartis dans l’Ailleurs qui leur sont aussi disponibles.

La Ville mondiale

Le transnationalisme a consacré la ville mondiale qui défie l’État-nation en contournant ses lois, en encourageant une régulation politique « locale » des flux globaux  et en développant une identité propre, et qui peut entrer en contradiction avec l’identité nationale que l’État souscrit de ses vœux. Elle se présente comme le lieu de la consécration du Réseau et sa principale manifestation territoriale. Elle est le lieu de prédilection de l’expression du transnationalisme et des communautés transnationales.

Définition

Polarisation. Les Villes globales sont les « capitales » de la mondialisation économique, du marché mondial. Donc des firmes multinationales. Elles sont les centres des flux de capitaux, de marchandises, de personnes. Donc les centres des communautés transnationales. Elles sont les centres de commandement et de coordination, les « capitales », nœuds, pôles des Réseaux globaux. Au cœur du contrôle des flux économiques et financiers, elles abritent bourses et sièges des institutions financières et des sociétés multinationales. Elles offrent aux firmes une accessibilité aux services tertiaires supérieurs. Mégapoles, elles abritent plusieurs millions d’individus et sont de grands marchés de consommation, un potentiel pour les innovations, et des lieux d’élection pour le marché du luxe. Elles sont également d’importants centres de recherches et d’innovation. Elles exercent une attraction au niveau mondial de par leur patrimoine, leur production artistique et culturelle.

Connectivité. Leur ancrage dans les réseaux financiers globaux détermine leur puissance. Plus la ville est connectée au monde, plus elle est puissante (Peter Taylor, 2003, world city network). Leur force, c’est leur inscription dans le réseau global, et les connexions qu’elles opèrent entre elles. Elles se distancient de leur territoire national, sont davantage tournées vers le réseau que vers leur arrière-pays. La connexion prime sur la proximité.

Accessibilité. Leur puissance est aussi fonction de leur accessibilité. Lieux de transit, elles sont souvent des Hubs de transports, villes-pivot abritant d’importantes infrastructures de transports et de communication, aéroports, ports, points d’ancrages éphémères pour les flux qui la traversent.

Concentration. Concentration des services financiers certes, mais concentration des hommes aussi. Les villes mondiales sont les carrefours d’un marché mondial du travail dual, carrefours des flux migratoires internationaux de travailleurs qualifiés et non qualifiés. Elles s’enorgueillissent d’une grande diversité culturelle et ethnique. On y reviendra longuement plus tard.

« Pour résumer, on dira que le concept de ville mondiale, ou megacity, apparaît aujourd’hui comme un produit de la mondialisation. Agglomération géante en étendue comme en population, la ville mondiale est polyfonctionnelle, et joue un rôle centrale dans les relations transnationales : elle y exerce un pouvoir politique, économique, financier, culturel ; elle attire capitaux, marchandises, populations, et diffuse décisions, informations, et produits matériels. » (Claude Mangin, 2001)

Conceptualisation

Le concept de Ville globale, « Global City » a lui été porté sur le devant de la scène par la sociologue américaine Saskia Sassen au début des années 1990 (The Global City: New York, London, Tokyo, 1991). La ville globale de Saskia Sassen est la ville qui concentre les fonctions de commandement financier de la mondialisation. Trop centrée sur la bourse et la finance, elle va ensuite étendre cette analyse aux fonctions politiques et de production culturelle, allongeant ainsi la liste des élues.

Le concept sera ensuite maintes fois repris, pour aboutir à de multiples classements (GaWC, MasterCard, Foreign Policy, Mori Memorial Foundation), mettant l’accent sur différents critères, mais parvenant selon des hiérarchies un peu différentes, peu ou prou aux mêmes listes de villes. Parmi ces villes, on trouve New York, Londres, Tokyo, Paris, Singapour, Hong Kong, Francfort, Chicago, Sydney, Shanghai, Los Angeles, Amsterdam, Berlin, Toronto, Moscou, Sao Paolo, Dubaï, Séoul, etc.  Un État sur six abrite une ville mondiale, avec une prédominance des continents nord-Américain et européen.

Mégalopoles et Archipel Mégapolitain mondial

Ces villes mondiales sont souvent intégrées dans un ensemble de villes, une Mégalopole (Jean Gottman, 1961), et c’est à cette échelle qu’elles exercent une influence économique mondiale. Ainsi Londres est intégrée à la Mégalopole européenne, New York à la Mégalopole de la Côte Est américaine, Tokyo à la Mégalopole Japonaise. D’autres ensembles entrent dans cette catégorie comme la Mégalopole Côte Ouest, la Mégalopole Cône Sud, la Mégalopole Asie orientale (Durand, Lévy, Retaillé, Dolfuss, 1997).

12587256770_GD17_P54

Ces ensembles forment l’Archipel Mégapolitain Mondial (Olivier Dollfus, 1996). Réseau urbain mondial, l’archipel est « formé d’ensemble de villes qui contribuent à la direction du monde » (Dollfus, 1996, 25-27). Reliées entre elles, ces îles concentrent recherche, opérations financières, richesses, populations, etc. et atteignent un poids écrasant à l’échelle mondiale. Cet Archipel Mégapolitain Mondial, ces villes mondiales dessinent une nouvelle carte du monde, celle du Monde du Réseau. On peut superposer à  la carte géopolitique du monde la carte du réseau des Villes mondiales qui forment un archipel. Comme deux monde parallèles et pourtant interdépendants, les États et la Mondialisation. Si aujourd’hui ce réseau de villes, cet archipel domine le monde, l’existence de Villes-Monde au centre d’« économies-monde » (Fernand Braudel, 1979) hégémoniques ne date pas d’hier. Rome, Amsterdam, Venise, Anvers, Gênes, ou Londres, pour ne citer qu’elles, ont pu pour un temps être au cœur des échanges mondiaux et s’imposer en tant que locomotives idéologiques. La différence se situe au niveau du changement d’échelle, aux économies-monde existant simultanément dans des aires géographiques délimitées, s’est substituée une économie-monde planétaire.

Source image :

12585490072_GDSH_17_258

(Source informations : Dictionnaire des mondialisations, Dictionnaire de la géographie et de l’espace des sociétés, wikipedia, site Global City, Dossier Sciences humaines)

Quel destin pour le monde transnational ?

Si le degré du transnationalisme n’annonce pas encore l’avènement du Réseau ni que celui-ci ait atteint son paroxysme, il n’empêche que le monde mobile annonce des signes d’essoufflement, montre l’amorce d’un déclin. Trop arrogant peut-être… Dans un prochain épisode, l’État marginalisé par le Monde du Réseau va s’allier aux marges installées de la mondialisation. Entre les deux épisodes, mobilisés et marginalisés vont s’entendre sur un point : l’Identité !

Mais si une nouvelle ère s’ouvrait, si la mondialisation, sous le coup de forces démondialisantes et de mutations économiques, politiques et idéologiques, devait cesser sa course folle, quel avenir pour notre trio ? Par exemple, les frontières se fermeraient, et les communautés transnationales deviendraient des clandestins, des réfugiés-exilés économiques, assignés et empêchés de rejoindre le Réseau. Par exemple encore, une crise de confiance, idéologique, dévastatrice, pourrait conduire à une crise financière majeure qui aurait des effets sur les villes mondiales, dont la croissance, les processus et les dynamiques dépendent de la globalisation financière. Cette crise conduirait à une crise des villes mondiales, pour lesquelles un nouveau chapitre s’ouvrirait, devant se réinventer et développer de nouvelles aptitudes pour survivre à cet empire-là. Autre exemple, autre supposition, les firmes multinationales se verraient infliger un nombre conséquent de procès en tout genre qui redimensionneraient leur puissance, conduisant dans certains cas à leur renationalisation ou leur faillite. Tout ça reste bien entendu de la science-fiction… Toute ressemblance avec des faits réels étant bien entendu fortuite…