Comment faire le pitch d’un tel projet… Autrement qu’en disant qu’il est le résultat d’un long, complexe, étonnant et exaltant voyage dans le Monde mobile ! Un voyage durant lequel je me suis donnée comme mission d’aborder la Mobilité à travers une myriade d’angles différents. Bref, vous l’aurez peut-être compris, malgré les exhortations de mon entourage à trouver le « bon » résumé, apparemment indispensable pour arriver à « vendre » ce travail, je ne suis à ce jeu-là pas bien douée.

Je peux tout même réessayer… Donc je reprends, ce texte est le résultat d’un passionnant voyage dans le Monde mobile et les réalités qui lui sont liées, car parler de Monde mobile c’est d’abord parler de mondialisation, et parler de mondialisation et de mobilité, c’est par extension forcément parler de migrations, d’identités, de nations, de crises, de cohabitation ou encore d’hybridités. En gros c’est parler d’actualité me direz-vous. Oui je vous l’accorde, même si je me suis fait rattraper, car j’ai le sentiment qu’au début de l’aventure l’obsession médiatique et la récupération politique de la mobilité étaient loin de mobiliser autant l’actualité. Alors soit, le texte qui va suivre parle d’actualité, le texte qui va suivre n’a peut-être aujourd’hui plus rien de nouveau à proposer. Mais le projet qui vous est exposé a été pensé comme un voyage. Et s’il parle d’actualité, il ne s’en contente pas. Il le fait, mais épaulé par des théories dans la première partie, par le bitume dans la seconde partie, enfin par la littérature dans la troisième partie. Et surtout il nourrit le dessein d’aborder le champ complexe et passionnant de la Mobilité en proposant d’autres Mots que le très réducteur terme fourre-tout, opaque et vulgarisant de « migrations ».

Bref, vous l’aurez compris, j’essaie de vendre mon pavé comme je peux, parce que j’ai vraiment envie de vous le faire partager. Alors sentez-vous libres. Contentez-vous de le parcourir, butinez en considérant les chapitres comme des articles, ou pour les plus courageux abordez les comme un récit.

Genèse du projet

Ce projet est le fruit d’une rencontre académique qui m’a emmenée bien plus loin que je ne l’avais envisagé. Le résultat d’une rencontre avec la pensée d’un auteur, associée avec une passion pour les sciences sociales et l’actualité. Ce texte est le résultat d’une aventure débutée en 2010 dans le cadre de mes études et qui a décidé de jouer les prolongations, pour m’emmener jusqu’à son épilogue en ce triste mois de novembre 2015. Un cheminement de cinq ans durant lesquels la mobilité, la route des autres, la course du monde n’ont jamais cessé de monopoliser mon attention.

Durant ce laps de temps, mon aventure à l’image du monde a connu quelques rebondissements. Ainsi ce qui se présentait au départ comme une exhaustive réflexion académique amateure sur notre rapport à l’espace au temps de la mondialisation a évolué au gré des soubresauts de l’actualité. Du coup au lieu conclure, je me suis retrouvée bien malgré moi à compiler, un peu dubitative d’abord, un peu décontenancée souvent, des événements qui ensemble ont fini par ressembler à ce qu’il faut bien se résoudre à qualifier de route vers le repli. Un trend de « démondialisation », peut-être pas encore visible à l’œil nu, mais déjà bien idéologique.

Mais commençons par le commencement. On est en 2010 et le monde s’agite autour de moi. La mondialisation bat son plein et je suis fascinée par son art de nous mettre en mouvement. Je ne peux m’empêcher de me demander si notre maison ne finira pas par se confondre avec le Monde, dans lequel on s’ancrera bientôt indifféremment dans chacune des pièces. J’en suis là de mon questionnement quand je croise la route de l’ouvrage qui donnera l’impulsion, le coup d’envoi à cette réflexion.

Cet ouvrage, c’est Après le colonialisme – les conséquences culturelles de la globalisation (1996), de l’auteur indo-américain Arjun Appadurai. Et dans sa thèse, AA n’annonce rien de moins que la future disparition de l’État dans sa forme actuelle. Il explique en gros que la multiplication des mobilités a engendré un monde transnational qui conduira au probable avènement d’un monde post-national. Avouez qu’il y a de quoi être troublée…. Pour éclaircir cette affirmation, je survole la question le temps d’une recherche académique au terme de laquelle je suis évidemment loin de l’avoir épuisée. Je viens  sans le savoir de m’embarquer pour une longue aventure réflexive. Le Projet Cosmopolis est né, et avec lui mon obsession pour les questions de mobilité.

Durant la phase initiale, je me retrouve à tenter de démêler les fils d’un Réseau de phénomènes interconnectés formant le Territoire continu de la Mondialisation, et réalise que les questions de mobilité, d’identités, de réseau global et d’États sont interdépendants. Mais en me penchant plusieurs mois durant sur les phénomènes migratoires avec le sentiment d’avoir traité d’un autre sujet, simplement en m’appuyant sur des lectures qui proposent d’autres Mots, je prends surtout conscience du pouvoir de ces derniers. J’en conclus que les chercheurs-visionnaires des sciences sociales ont un rôle à jouer pour remettre un peu de poésie dans tout ce chaos, grâce à leur capacité à changer notre perception du monde simplement avec leurs mots. Révélation qui conduit à une autre constatation : les découvertes des sciences de l’homme sont trop souvent cantonnées au monde académique, écrites par des chercheurs et lues par d’autres. Peut-être ne sont-elles pas assez incarnées et trop brouillées derrière un langage d’initiés. Peut-être les intellectuels ne sont ils pas assez axés sur la communication. Peut-être le temps de la recherche est trop déconnecté de l’urgence du monde. Quoi qu’il en soit, les visions des chercheurs peinent à s’incarner dans la politique et s’imposer dans les médias. Recherche, médias et politique partagent la même géographie mais ont un problème de timing.

Bref, après cette phase académique je reprends la route de la vie « active » tout en poursuivant parallèlement la route de ce projet en solo. Et la route est loin d’avoir été linéaire. Entre tentatives avortées, périodes de jachère et de maturation, phases d’obsession et de découragement. Jusqu’à la décision de cette rédaction, et le choix de ne pas me contenter de faire parler des chercheurs, mais d’incarner cette réflexion. La route n’a pas non plus été dénuée de rebondissements. Parce qu’à l’entame du projet, même si on était loin des prédictions d’Arjun Appadurai, tout semblait bien parti pour une consécration du Réseau globalisé. Mais entre-temps, le monde, convaincu d’avoir atteint son taux d’ouverture maximal, est entré dans une phase de « démondialisation ». Donc si au départ j’aurais pu me contenter de faire la description du monde transnational, de me faire l’écho de sa victoire par ko, de rédiger le scripte de son avènement, il a ensuite bien fallu que je m’adapte.

Au final, ce texte ressemble au récit d’un glissement vers la « dé-mobilisation » vue par une enfant de la Génération Mondialisation. Au final, ce texte est une ode à l’ouverture, au mouvement, et un plaidoyer anti-repli. Au final, ce texte est une réponse. Une longue, très longue réponse, presque un cri, murmuré par un rejeton d’une Génération Erasmus devenue Génération Bataclan… Une réponse aux réactionnaires en quête d’une vaine authenticité, aux populistes qui fourvoient en attirant l’attention sur les bouts de l’échiquier, aux ultra-nationalismes qui leurrent, aux convertis à la nuisible thèse du choc des civilisations, à ceux qui n’ont de cesse de distiller l’anxiété, à ceux qui préfèrent rejouer le passer que guérir le présent. Bref, une réponse qui s’esquisse au cours du long cheminement relaté dans les pages qui vont suivre.

Pour ne pas trop vous ennuyer, j’ai essayé de croiser les formes et les voi(es)x. Et parce qu’incarner cette réflexion c’est aussi expérimenter la contradiction indépassable de notre rapport au mouvement, la tension entre ancrage et mobilité, je me suis à la fois ancrée dans mes bouquins et ai erré dans les villes. Géographe de cabinet ayant un goût immodéré pour les mots des autres et les paroles de nomades, j’ai embrassé dans un premier temps le métier de (re)chercheuse de phrases. J’ai compilé des voix de sociologues, de philosophes, d’écrivains ou d’artistes sur la mondialisation. Je me suis lancée dans une quête quasi désespérée d’autres voix susceptibles d’ouvrir de nouvelles voies. Puis je me suis follement amusée à les croiser. Je me suis ensuite improvisée préleveuse d’ambiances, d’atmosphères, en plongeant au cœur des théâtres urbains. Mais ce texte est aussi la réflexion d’une éponge en mouvement. Ainsi, elle a été nourrie aux conversations.

Invitation aux Voyages

Cette route, je vous propose aujourd’hui de la partager avec moi. De refaire le cheminement ensemble. De vous emmener en voyages. Le programme des réjouissances ? Un voyage en plusieurs étapes. Au menu, des voyages conceptuels, médiatiques, politiques, géographiques, urbains et littéraires.

Durant le voyage, nous partirons pour des errances dans les Villes-Monde, qui nous conduiront de New York à Paris, de Toronto à Singapour, de Montréal à Londres, de Genève à Marseille. Arpenter ces villes, c’est traverser le miroir de la mondialisation. Parce que les Villes-monde sont ses ultimes créations, ses capitales, là où elle prend corps. Elles constituent donc des lieux privilégiés pour tenter de percer les mystères du bien trop abstrait réseau. Nous partirons ensemble à la recherche de la Cosmopolis, de la ville capable d’accueillir et de faire cohabiter un échantillon du monde. On arpentera ces Villes-Monde une et diverses, on s’amusera à déchiffrer leur hybridité.

Mais avant de nous rendre dans les Villes-Monde, un voyage un peu particulier s’impose. Un voyage à travers les concepts, un voyage dans l’imaginaire des chercheurs et de leurs mots. Quels mots avons-nous pour parler du Monde mobile ? Ces mots sont-ils suffisants ou encore adaptés ? Dans la première partie, nous connaîtrons aussi quelques zones de turbulence, lors de la traversée parfois pénible des événements médiatiques et de leur récupération politique. Au terme de la première partie, on évaluera l’état des forces en présence, et on cherchera à déterminer si le monde mobile est capable de se remobiliser. On le fera un certain 11 Janvier….

Enfin, pour notre dernière escale, nous embarquerons pour un voyage dans la littérature post-moderne, pour donner la parole aux acteurs du Monde mobile. A travers les romans d’auteurs en mouvement et aux identités hybrides, comme Zadie Smith, Tarquin Hall, Alain Mabackou ou Dionne Brand, on exploitera encore une autre piste pour traiter de migration et de cohabitation.

Au terme de ces différents voyages qui auront nourri la réflexion, on tentera de comprendre sur quelle route s’est engagé le Monde mobile.

Voilà en quelques mots le chemin que nous allons emprunter pour refaire ce voyage durant lequel j’ai circulé sur deux types de routes, mouvements réflexifs et déplacements géographiques, en essayant de doser leurs apports respectifs.

Voies empruntées

Subjectivité documentée. Incarner une réflexion ne suffit pas, il faut la documenter, la connecter aux réalités politiques et médiatiques. Procéder à un état des lieux. Une réflexion qui serait déconnectée des débats, des faits et des théories, court le risque de n’être que pure divagation. Il faut donc trouver l’équilibre entre réel et rêverie. Ainsi ce voyage au long cours s’est donné une mission : être à la fois au plus proche des dynamiques et des phénomènes concrets, et dans un double mouvement s’en détacher, tenter de prendre de la hauteur, pour ne pas se muer en porte-parole des évidences. Méditer, s’évader, rêver, transcrire, déformer, transformer.

Mettre l’accent sur les Mots. Le fils de la mondialisation, le Monde mobile, a donné naissance à de nouvelles identités et de nouveaux espaces. Mais parce qu’on a manqué de modèles pour penser ce nouveau monde, on n’est pas parvenus à en saisir toute la complexité, et on a laissé de vieux schémas ressurgir et s’imposer. Nous avons tellement besoin de mots. Pour ne pas nous leurrer. L’ouverture n’est pas un choix idéologique mais une inéluctabilité. Nos positions sur la mobilité ne doivent pas nous diviser.

Considérer toutes les mobilités sur un pied d’égalité. La mobilité doit être regardée avec de nouvelles lunettes, s’appréhender comme une globalité. Il n’y a pas notre mobilité et celle des autres, mais un monde interdépendant et interconnecté, un organisme vivant et mouvant sur lequel s’agitent des hommes-électrons en perpétuel mouvement.

Le Projet Cosmopolis doit ressembler au monde. Hybride, jamais figé, toujours en mouvement. Voilà pourquoi Le Projet Cosmopolis prend la forme d’une réflexion hybride et mobile. Une réflexion jamais arrêtée, toujours amenée à évoluer. Rechercher l’hybridité c’est aussi assumer le caractère hybride de cette recherche qui refuse de se définir. Accepter qu’elle n’ait pas un public clairement déterminé. Qu’elle soit bâtarde. Enfin, adopter une position hybride, c’est regarder les choses en face et les dire telles qu’on pense les voir, tout en adoptant une attitude métisse, une aptitude au compromis.

Le Projet Cosmopolis doit être la métaphore, le miroir du monde qu’il décrit. A savoir un grand bazar duquel se dégage une certaine cohérence. Il faut donc trouver de la cohérence malgré le bazar, au milieu du bazar, en composant avec le bazar. Rédiger ce projet, c’est tenter d’aboutir à un ensemble cohérent à partir d’un bricolage d’éléments assemblés à posteriori. A partir d’articles disparates qui vont devenir des chapitres, qui vont devoir former une réflexion qui se tient. En sus, pour ressembler au monde, cette réflexion se doit d’être elle aussi à la fois dense et fluide, et se donner comme défi de fluidifier la complexité.

 

Maintenant, si vous voulez bien me suivre… en route !