Temps 3. Le mouvement c’est mal. Temps de la résistance au Monde mobile. Temps des mouvements démondialisants. Temps du retour du Territoire et de l’État

Les Mots : crises, repli, divisions, rejet, scission, immigration, mouvements populistes, protectionnisme, racisme, extrémismes, démondialisation, désintégration, souveraineté, austérité, islamophobie, européanophobie, forteresse, séparatismes, instrumentalisations, puritanisme, réactionnaires, inertie, conservatisme, immobilisme, passéisme…

Le basculement

Crise. Un simple mot qui signe le basculement de notre récit. Un simple mot pour passer du temps 2, celui de la consécration de la mondialisation libérale et du réseau, au temps 3, qui marque le retour à la maison.

Au-delà de la crise économique dont on parle tant, la crise se conjugue au pluriel. Crise idéologique, crise identitaire, crise de confiance, crise politique, crise institutionnelle. Crise des Mots et des moyens donc.

Difficile de dater le début du glissement démobilisant. Le « choc des civilisations » de 2001 pour la crise identitaire ? La chute du système financier de 2008 pour la crise économico-idéologique ? L’incubation de cette maladie sociale moderne, appelée crise, remonte probablement avant. Le diagnostic ? La maladie n’est pas isolée, mais globale, on est face à une épidémie.

En compilant les sources pour nourrir ce chapitre, face à l’avalanche de signes démobilisant relayés par les médias, j’ai pris conscience que face aux faits, on ne peut plus ignorer le mouvement de repli. Je suis passée par plusieurs phases, allant de l’incrédulité, à un certain désarroi pour terminer carrément par un sentiment d’écoeurement. La fermeture progressive en cours, c’est le truc tu vois au début tout le monde rigole, personne le prend au sérieux, quelques votes contestataires par ci par là, quelques réactionnaires qui font le buzz, rien de bien sérieux. Jusqu’au moment où on réalise que ça devient vraiment vrai, et là c’est déjà trop tard, les conservateurs ont creusé leur nid, et c’est comme si on avait plus qu’à valider l’absurde.

Au-delà des faits, qui tristement tendent à devenir normatifs, c’est un climat, une atmosphère. Considérés ensemble, ces faits prennent le visage d’offensives exponentielles contre le monde mobile. Un monde mobile qui ne serait plus cette promesse de la Cosmopolis, mais serait devenu monstre ingérable et indigeste ? Quelle lecture donner aux événements ? Ces crises sont un prolongement de la tension entre mouvement et inertie, prolongement du déséquilibre entre marché et État, et l’incapacité de les réconcilier pour les concilier. En tous les cas, la crise prend la forme d’une guerre. Guerre de fermeture, guerre de repli, guerre contre la mobilité. Dans un monde en crise, trois mots d’ordre : fermer, enfermer, faire fuir.

Comment aborder ce chapitre ? Je pourrais aussi bien mettre l’accent sur la crise économique et ses ravages identitaires que mettre l’accent sur la crise identitaire et ses ravages économiques. Crise économique qui aboutit au rejet de l’Autre, ou crise identitaire qui aboutit au repli et à la récession ? En tous les cas, une crise économique irrésoluble en l’état, quand elle s’appuie à la fois sur une crise d’adhésion à un projet libéral et mondialisé, et sur une crise de cette « Société » qu’on ne parvient plus à définir. Si j’ai compris une chose à travers cette étude du Monde mobile, c’est qu’aborder les dynamiques en termes de causes et de conséquences n’a pas grand intérêt. Les dynamiques sont éminemment plus complexes. Les éléments simultanément se répondent et se renforcent les uns les autres. Parfois quand même, j’en viens à me demander si la crise économique n’est pas la cause mais plutôt la conséquence du rejet de la mondialisation. Une économie mondialisée devenue trop puissante face à un État en perte de vitesse, bientôt appuyé par les passionnés de la racine pour marquer le retour du projet territorial. En tous les cas, de tout temps, en période de crise économique, les États se sont renfermés. Et celle-ci ne déroge en rien à la règle.

Le monde mobile avait-il pris trop de pouvoir ? Peut-être que la grande erreur des aspirants cosmopolites, des partisans du Monde mobile, survolant le réseau, flottant au-dessus des nœuds, se lovant dans les pôles, c’est de n’avoir pas voulu voir que le mouvement n’avait rien d’irrépressible ou d’inéluctable. Par excès de confiance ou d’arrogance, le Monde du Réseau global a ignoré qu’aux deux bouts de l’échiquier, bien encouragés par des mouvements politiques il faut le dire, des mouvements grandissant de populations lui préféraient encore ou bientôt à nouveau le Territoire. Et encore cette même interrogation : ces mouvements sont-ils la cause ou le reflet de la crise ? En tous les cas, l’humeur est à la nostalgie, et les excès de la planète finance ne sont pas étrangers à ce mouvement de retour. Ils ont leur responsabilité, ont contribué à créer une répugnance vis-à-vis de la mondialisation, et à gonfler les rangs des anti et altermondialistes.

On se retrouve donc en ce début de 21ème siècle, au cœur d’une bataille idéologique qui oppose le Monde mobile au Territoire, partisans et détracteurs de la société multiculturelle et de la mondialisation. Amenés à vivre ensemble, un nombre toujours croissant de citoyens globaux préfèrent un retour à la Communauté (Gemeinschaft), à l’entre-soi, au projet de Société (Gesellschaft). Politiquement, la deuxième catégorie gonfle pour des raisons diverses, mais qui contribuent toutes à nourrir les rangs des antimondialistes. A côté des traditionnels partis populistes conservateurs qui ont toujours été clairs sur leur positionnement face à l’extérieur, d’autres peut-être sans en être conscients, les rejoignent presque naturellement. Les mouvements d’extrême-gauche, en rejetant l’économie mondialisée appuient la fermeture des frontières. Aux biens certes… Mais la mobilité des hommes suivant la mobilité des biens et du capital, s’opposer à ce système revient à brider la mobilité dans sa globalité. Même idée pour la frange non sociale-libérale des partis socialistes. Promouvoir le localisme, c’est s’opposer aux mouvements. Pas nécessaire de promulguer la moindre pensée xénophobe pour se renfermer. De même, les partis socialistes, par humanisme sans doute, prône pour une vision qui veut que l’État doit tout Pouvoir. Hors l’État ne peut plus, et les réseaux de l’économie libérale constituent un bon relais. Tous ces partis aiment l’État et ses symboles, encore un point commun. Enfin, les partis écologistes eux aussi et encore pour d’autres raisons aspirent au localisme, et à la limitation de la démographie. Là encore, autre doctrine, même résultat. Ajoutez à cela tous les déçus du système du centre, et des partis libéraux muets, et vous obtenez le résultat. Tout ça est d’une logique implacable. Les bases sont posées.

Les Manifestations du Repli

Fronde politique des antimondialistes

Partout, que ce soit en Europe, dans le monde arabo-musulman, en Russie, en Asie, ou ailleurs, les « cosmopolites », les libéraux, les progressistes, s’opposent aux ultra-nationalistes, aux islamistes, aux populistes. Leurs bêtes à abattre s’appellent monde de la finance, néocolonialisme, occidentalisme, ou immigration. On assiste à un débat devenu combat qui agite les sociétés globalement, avec son lot de traditionnalistes et de progressistes de chaque côté des lignes de front. En Europe, on voit s’affirmer des partis anti-libéraux, anti austérité, ou anti immigrés, mais qui de manière générale prônent la souveraineté au peuple et se placent contre leurs élites représentantes.

Ils s’appellent Tea Party aux États-Unis, Union démocratique du Centre en Suisse, Front national en France, UKIP au Royaume Uni, mais aussi Podemos en Espagne, Syriza ou Aube dorée en Grèce, et je pourrais dérouler cette liste encore longtemps. En apparence, certains n’ont rien en commun. Mais au-delà de leur bords politiques, leurs appellations, leurs thèmes fétiches, leur localisation, qu’ils soient d’extrême-droite, d’extrême-gauche, au Nord, au Sud, à l’Est, à l’Ouest, d’ex-colonisateurs ou ex-colonisés, de pays en crise ou affichant une bonne santé économique, la finalité prend les mêmes accents : le rejet des avatars de la mondialisation, sur fond de rhétorique souverainiste et territoriale stato-nationale. Rhétorique de l’État donc, mais surtout pas celui en place, considéré comme un serviteur du projet libéral et multiculturel, perverti par trop d’autres, à savoir les grands acteurs économiques et leurs hordes de travailleurs migrants, avec ou sans papiers. Un État vu aussi comme le soumis d’institutions supranationales, qui s’emparent de leur souveraineté et les vident de leur identité.

Au-delà des différentes sensibilités internes, on a le sentiment que ces partis prônent de rester entre soi, sans l’autre, que ce soit celui du dessus, celui du dessous, ou tout simplement celui différent et qui a donc vocation à être chez lui. En somme, ces mouvements rejettent l’interdépendance, l’interconnexion, bref la mondialisation. Populistes d’Union européenne, nationalistes hindous, partis islamistes, ultra-nationalistes russes et d’ailleurs : même combat, même ligne, même doctrine de fond. Rejet de l’hybridation et recherche de la « pureté » culturelle. Ce phénomène global, déclinés en spécificités nationales, renforce l’idée d’une planète connectée et mondialisée. Un même diagnostic pour une seule planète.

Véritable évolution, ces partis anti-mondialisation remportent désormais de vraies victoires électorales, en Suisse, aux élections européennes, en Grèce, en Inde, etc. Leur discours de sortie du réseau, de l’isolement et du repli était encore inaudible il y a quelques années. Aujourd’hui, ils acquièrent les moyens de mettre en œuvre leurs idées. Ils prétendent s’adresser aux « nationaux », qu’eux seuls sont capables de définir, qu’ils vont protéger en chassant l’étranger, celui qui te vole ton travail, et dissout ton identité. En prétendant définir la nation, ils en excluent tout un pan, on ne parle pas ici des « élites », mais de cette majorité de citoyens qui composent avec la mondialisation, ce monde perfectible, mais leur monde. Ils affirment qu’ils vont se débarrasser des élites et sortir de l’économie mondialisée, qui délocalise « ton » travail ailleurs et détournent « tes » capitaux. Ils disent que les institutions supranationales ne servent à rien, qu’on peut très bien se débrouiller dans l’isolement (ou en s’alliant à des mouvements comme eux ?). Ils se placent constamment en victimes : du pouvoir en place, vis-à-vis des médias, et incluent dans les critiques qui leur sont adressées tous leurs électeurs, contribuant ainsi à forger une « communauté de victimes imaginées », qui leur permet de se déresponsabiliser et de cliver leurs partisans et les autres, qui les prendraient de haut. Le ton de leur discours est souvent agressif, et c’est un euphémisme d’affirmer que ce n’est pas l’excès de joie de vivre qui les caractérise. Ils nient toute historicité, font fi de l’histoire de cette complémentarité graduelle des géographies. J’ai beau essayé d’imaginer ce à quoi pourrait ressembler le monde qu’ils fantasment, aucune image ne me vient, exceptée celle des petits royaumes éclatés du Moyen Âge en guerre perpétuelle les uns contre les autres. C’est vrai que la période a le vent en poupe en ce moment…

Le dénominateur commun des partis anti-mondialisation est qu’ils grandissent sur la souffrance. Ils sont non pas dans une dynamique constructive, de recherche de solutions, mais dans une dynamique négative, de déconstruction. Ils déploient une énergie non pas pour le mieux mais pour le contre. Ils prônent un retour aux sources, vision passéiste et désincarnée, pas de ce qui a été, mais de ce qui devrait être ou aurait pu être. Ils construisent un discours simpliste qui ne souffre pas la contradiction. Ils fabriquent des questions à évidence, auxquelles on ne peut répondre que par l’affirmative, sans quoi si on n’opine pas à leurs poncifs on serait un genre de traître à la patrie, contre ses semblables, donc au final contre soi-même. Or s’opposer n’est pas agir. Diviser n’est pas arranger. Ils opposent nation et mondialisation, prônent une souveraineté tout en s’opposant à l’État ; une souveraineté à quelle échelle ? Ils critiquent l’État, tout en refusant de participer à sa guérison.

Aux échelles nationales intra-européennes, ces partis se disent eurosceptiques, ils fustigent les institutions européennes élitistes, l’Allemagne qui voudrait imposer sa politique budgétaire et le fait que désormais tout se déroule à Bruxelles, usine à technocrates qui les a vidés de leurs prérogatives. Ces partis europhobes ont fait des scores historiques aux dernières élections européennes de 2014, leur donnant davantage de légitimité chez eux, et les parant d’une aura nouvelle.

Crise de confiance et rupture consommée

L’ascension de ces partis est en fait le syndrome d’un malaise. Lors de son tour de France, la journaliste Florence Aubenas a recueilli les sentiments d’une France au 70% de taux d’abstention. Une tranche de France persuadée que même leur souffrance sera récupérée et instrumentalisée politiquement. La rupture avec le pouvoir est consommée, ces citoyens ne veulent plus que ça s’arrange, ils attendent que cet é(É)tat se termine. Représentatifs des ravages d’une crise économique et sociale, et peut-être aussi d’un combat centre(s)-périphéries. Le Centre étant ici associé notamment au centre du pouvoir politique mais également aux centres économiques, dont ils se sentent exclus. C’est le divorce entre les centres urbains mondialisés et les provinces. Lorsque les partis populistes parlent du peuple, ils se réfèrent davantage aux peuples des campagnes, des zones reculées, des petites villes, et affichent une aversion pour les « bobos mondialisés ». Leur peuple, ce sont ceux à qui ils martèlent qu’ils sont des oubliés. Ou que la peste urbaine est à leur porte. Le discours de la dirigeante du Front national l’illustre bien, lorsqu’elle oppose les campagnes et Paris. Un peu et elle inviterait presque à faire sécession. De même, geste symbolique, elle n’a pas défilé à Paris le 11 janvier 2015, mais en périphérie, proche de sa vision du peuple, de sa nation, de sa vision de la marche républicaine, loin de la ville, repère des élites, des bobos, des migrants. Ce clivage centres-périphéries dépasse de loin l’Hexagone. On le retrouve notamment sur tous les sujets liés aux enjeux d’ouverture économique et de migrations. Bien souvent, ceux qui vivent avec l’autre ne votent pas pour le repli, tandis que ceux qui ont peur de devoir vivre avec l’autre ont recours à un vote d’anticipation.

Mais au-delà de leurs campagnes de dénigrement sans propositions d’amélioration, comment ces partis fédèrent-ils ? On l’a vu, nos existences sont en partie basées sur des événements intangibles, la peur en est un. La peur comme puissant imaginaire collectif. On n’a pas affaire à une politique de propositions mais à une politique de l’émotion. L’émotionnel comme salut, comme réponse simple dans un monde trop complexe. A défaut de comprendre un discours, on s’identifie à un ressenti. Ils récupèrent non seulement ceux qui ont été privés des fruits de la mondialisation, mais ceux qui eux ne désirent même pas en voir la couleur, de ce fruit. Les partis populistes ont pour rôle de mettre des peurs en discours, et de s’arranger pour que les sentiments sans mots se reconnaissent dans leurs expressions. Ils proposent une vision passéiste qui exalte la nostalgie ou une gloire perdue, et fustigent le changement, l’évolution leur donne des boutons. Campagne de pub pour un monde totalement révolu, voire en partie inventé. Image d’un monde qui aurait ou aurait pu exister dans le passé, si seulement il avait été porté par eux.

Crise identitaire et Démulticulturalisation

Revenons maintenant sur le sort de nos sociétés multiculturelles en ces temps agités. Lorsque la quête identitaire, sur fond de crise économique doublée d’une crise de projet de société, devient idéologie et hystérie, elle glisse vers le repli et la crispation identitaire, et conduit aux identités-divisions et identités-scissions : mouvements séparatistes régionaux, communautarismes, repli national. Lorsqu’il y a focalisation sur les identités culturelles, c’est le risque de balkanisation. Une partie des Catalans ou des Ecossais veulent faire sécession, et au-delà de ces cas particuliers, on assiste à une multiplication des désirs de séparatismes en Europe. Les populismes lorsqu’ils deviennent extrémismes se replient dans leur utopie et rejettent en bloc le monde mondialisé de la ville. Des communautés religieuses prennent le pas sur la Société pour fédérer des citoyens en quête de communautés. En gros, échelles et communautés désignées se tournent le dos.

La division sur fond d’enjeux identitaires appuyés par des arguments passéistes n’a pas de limites d’échelles. La finalité de la recherche du même ? C’est le particularisme. On assiste pas seulement à des fissures inter-blocs, mais aussi intra-blocs : intra-européennes, entre pays débiteurs et pays créanciers par exemple, qui n’auraient pas la même mentalité ; intra-nationales avec les désirs de séparatismes sur fond de projets économiques identitaires régionaux. Fissures intercommunautaires intra et inter nationales donc. L’argument identitaire va jusqu’à être invoqué au niveau communal, quand il s’agit de rejeter des projets de fusion pour conserver son identité.

Le mouvement global de fermeture et de démobilisation se diffuse sur fond de justifications économico-identitaires. Aux votes anti-immigrés font écho des persécutions. Aux partis populistes font écho des partis nationalistes ou religieux. Dans ce contre-mouvement, cette démulticulturalisation, chacun aurait vocation à retourner chez soi. Souvent sur injonction des États diffuseurs. En 2014, la Crimée politiquement ukrainienne mais culturellement russe est retournée en Russie ; en 2012, la Bavière a initié le mouvement « Return to Bavaria », initiative ayant pour but de rapatrier ses professionnels à l’étranger ; les Chrétiens d’Orient sont chassés sans savoir où aller. Cette tendance peut aussi être illustrée par ces Juifs qui font leur « alyah », soit leur « retour » en Israël,  ou des musulmans qu’on somme de faire leur « hijrah » vers le Califat islamique autoproclamé entre la Syrie et l’Irak, territoire censé accueillir la diaspora musulmane désintégrée. Sans parler de tous les déplacements internes de populations, issus de conflits interethniques ou religieux, dont ceux qui font imploser le Moyen-Orient, comme si les différentes branches de l’islam ne pouvaient plus cohabiter.

S’amorce un double mouvement de rejet et de rappel de la part de certains États : chasser ses immigrés, faire revenir ses expatriés. Lors de l’étape précédente de sa fermeture, l’État, tout en fermant ses frontières aux communautés transnationales venues d’ailleurs, se rapprochait de la sienne. Tandis que les dirigeants cosmopolites louaient l’apport de cette diaspora pour l’État, apport conditionné par sa répartition dans l’Ailleurs, des États moins libéraux vont bientôt instrumentaliser « leur » communauté à d’autres fins. Avec ce mouvement d’appel au retour des ressortissants, une nouvelle étape de repli est désormais franchie. La mise en valeur des communautés nationales expatriées n’est plus synonyme de reconnaissance du monde mobile, mais une étape vers la démobilisation, la démulticulturation du monde.

La présence de l’autre est devenue un véritable sujet de préoccupation. Les thèmes des campagnes électorales sont assez éloquents : démondialisation, remondialisation, identité, immigration, qui en Europe se place désormais avec le chômage comme préoccupation principale. Toutes des thématiques liées au monde mobile. En fait la peur de l’autre naît de la contradiction entre croissance économique et culturelle. Lorsque ces deux phénomènes ne sont plus en adéquation. Davantage que la mixité, c’est la mixité dans la paupérisation qui dérange. Les sociétés en déclin ne peuvent absorber des cultures fortes sans crainte de dissolution. Déclassés économiques et migrants pauvres se retrouvent dans une guerre de la misère. La précarité, toutes nationalités confondues, pousse à la xénophobie.

Sous nos cieux européens, pour justifier le rejet, les prétendues « déviances » culturelles de l’Autre sont stigmatisées comme un mantra. On invoque des religions notamment incompatibles avec la sacro-sainte religion française, la laïcité. Le refus d’intégration. La misère du monde aux portes de l’Europe. Le tourisme à l’aide sociale. J’ai même entendu un politicien helvétique se demander si les « Secundos » étaient des soldats comme les autres. Le drapeau de la solidarité est lui en berne, quand on fustige les quelques centaines de réfugiés accueillis, alors que des dizaines de millions d’autres se trouvent dans des situations d’urgence.

La fermeture économico-culturelle va jusqu’à refuser des visas à des artistes africains objets d’une exposition ou devant se produire en concert en Europe. Une culture qui se referme est une culture qui se délite. Culture et économie sont en étroite adéquation. Quelle image, quel message envoyé au monde par des sociétés en repli ? Celui de sociétés en déclin, frileuses et en manque de créativités qui font fuir les investisseurs. Les artistes, eux, iront enrichir d’autres sociétés.

Le Retour des Monstres

Ces crises, pour reprendre une réflexion récente d’Edwy Plenel, c’est le lit du retour des monstres, qui accouchent des idéologies de la peur et prédisent des lendemains d’abime.

Ces monstres, ce pourraient être toutes ces manifestations de peur, de rejet, de repli, de violences dont se multiplient les échos ces dernières années. Un racisme en recrudescence, attitude de plus en plus tolérée, notamment un racisme anti-immigrés affiché et revendiqué ; la multiplication des actes de violences envers les Autres ; l’augmentation des actes antisémites et islamophobes ; le rejet des Roms ; des manifestations et des émeutes anti-immigrés ; des commentaires xénophobes qui fleurissent sur la toile ; des lobbys anti-immigration ; des initiatives populaires aux relents xénophobes qui scellent les fiançailles entre démographie, écologie et anti-immigration ; des phénomènes de « désintégration » d’enfants issus de l’immigration en rupture avec la société ; des stigmatisations tous azimuts ; une ghettoïsation ou auto-ghettoïsation ; des attentats meurtriers…

Il n’y pas d’actes sans discours. Toutes ces manifestations de rejet sont accompagnées par des discours réactionnaires et « déclinistes », qui vont des tribunes de polémistes aux romans d’anticipation-stigmatisation, qui offrent une validation au parfum défaitiste. Entre Alain Finkelkraut et son identité malheureuse, Eric Zemmour et son suicide français, le cynisme et les prédictions anxiogènes de Michel Houellebecq, il semblerait que les anti-modernes soient en passe de gagner la bataille des esprits, que le régressif, désormais, c’est festif. Face à un monde qui se droitise, ils continuent d’affirmer que le discours de centre-gauche reste l’idéologie dominante. Soyons bénis, le fonctionnalisme nous dit que dans la société, tout a une fonction. Le silence des voix progressistes se révèle plus problématique. Des discours martelés et comme seul écho une plongée dans le silence des anti-racistes, des humanistes, des libéraux. Soit qu’ils en aient marre de se faire taxer d’angélisme, soit que la gangrène ait commencé à semer le doute dans leur esprit. D’un côté, on a toute une rhétorique qui prépare au « non vivre ensemble », de l’autre des post-modernistes relativistes taxés d’élites et sommées de garder pour eux leurs thèses d’intellectuels.

De la récupération politique à la violence

Il ne faut pas confondre discours politique conservateur et mouvements radicaux. Mais on est aujourd’hui face à une multiplication de mouvements qui mettent en exergue le racisme, la peur, le repli, et qui reprennent les arguments des partis conservateurs. Il ne s’agit pas d’une tendance réservée aux sociétés occidentales en déclin et abritant une forte immigration. Peu importe comment on appelle l’autre qu’il s’agit de (re)jeter, immigrants, colons ou mécréants. De tous bords des mouvements se radicalisent. On assiste au retour des extrémistes en Europe, miroir des extrémistes religieux ou autres. Leur point commun : le rejet de l’autre et le glissement vers la violence. Des terroristes s’érigent en Califat, créent un État islamique et tout en tuant prétendent représenter la Oumma, des groupes néonazis n’hésitent pas à ressortir des thèses abjectes. Ces monstres prennent la voie de la violence et de la tuerie. Des mouvements néo-nazis à l’État islamique terroriste et terrorisant, aux mouvements islamophobes, on violente ou tue désormais pour ne plus avoir affaire à l’autre. De la tuerie de masse perpétrée par le terroriste Anders Breivik en Norvège en 2011, dont la cible revendiquée était la société multiculturelle ;  aux attentats perpétrés par les frères Kouachi et Amedy Coulibaly en janvier 2015, dont la cible revendiquée était les mécréants, on a le spectre de l’horreur la plus absolue. Des frères de terreur, l’œuvre de fous, de perdus qui ont germé sur les offensives démondialisantes. Des terroristes qui reprennent ou retournent la théorie de guerre des civilisations, alimentent et sont les héritiers de cette idée.

Si là sont les fruits de la démondialisation, leur prix est beaucoup plus élevé que ce que nous coûterait de se retrousser les manches pour être dans une démarche de construction d’un monde globalisé plus fonctionnel, plutôt que dans une démarche de démolition globalisée.

Crise économique, Protectionnisme et Démondialisation : les réponses et le retour de l’État

L’État (du « centre ») acculé et diminué attend dans les coulisses une brèche dans laquelle s’engouffrer pour refaire surface. Un État du centre hésitant à gauche entre libéralisme et souverainisme ; à droite entre libéralisme et conservatisme. Schizophrène face à la mondialisation, sa position ambivalente va prendre de nouvelles formes. Tout en continuant à jouer sur deux tableaux, il prend une série de mesures protectionnistes et s’engage dans une guerre fiscale. Ambivalente, sa relation avec les médias l’est également, car même si ces derniers ne lui laissent rien passer, il va aussi pouvoir s’en servir comme le relais de ses problèmes. Ambivalente encore sa position face aux partis populistes, à la fois infréquentables et utiles, il va se servir de leur discours pour se relégitimer. Sa position schizophrène face à la mondialisation résulte d’une vision passéiste, qui l’aveugle et l’empêche de se concentrer sur le concret, partant du constat de ce qui est, et non de ce qu’il souhaiterait éventuellement qu’il fût, ou fût avoir été, dans un monde non situé temporellement. Face au diagnostic édifiant présenté précédemment, L’État libéral doit absolument reprendre la main. Répondre aux peurs abstraites et au chômage concret. Réaffirmer son autorité pour justifier son existence-même. S’engouffrer dans la brèche pour réaffirmer ses prérogatives. Voyons comment il s’y prend, quelles mesures il adopte face à ces crises.

Contenir les flux humains, matériels, financiers pour déMobiliser

Dans un premier temps, l’État veut bien que les capitaux et les biens circulent, mais que les personnes, elles, restent chez elles. En réponse au rejet des immigrés, les États, chacun avec ses propres variantes,  vont tenter de mettre en place, dans la limite de leurs pouvoirs nationaux, des mesures visant à freiner l’immigration. Immigration sélective, mais aussi restrictions à l’embauche de travailleurs étrangers, lois restrictives sur l’immigration, durcissements des lois sur l’Asile, durcissements des lois sur la naturalisation, activation de clause de sauvegarde, chasses aux Roms, limitation de l’aide sociale pour les migrants en provenance de l’Europe de l’Est, projet de retrait de nationalité, de suppression de la double nationalité, projet de test ADN pour requérants d’asile. L’initiative populaire « contre l’immigration de masse » acceptée en Suisse en 2014 a provoqué un tollé dans toute l’Europe. Un pays riche, dont la croissance a pleinement bénéficié de la Libre circulation des personnes, décide de limiter l’ouverture de ses frontières. En dépit de la dénonciation des instances européennes, les voix anti libre circulation grossissent au sein de l’Union, et des sondages effectués dans certains pays ont montré que si les citoyens européens avaient le choix, ils adopteraient des positions similaires. Dans un monde aux multiples échelons de gouvernance, les États ne sont pas seuls maîtres à bord, et sont sommés par l’institution supranationale, l’Europe, de respecter la Libre circulation. Une Europe qui semble ne plus croire elle-même à son essence, son idéal de libre-circulation. Cette même Europe qui s’est muée en forteresse, dans un même positionnement de fermeture face à l’extérieur, adoptant ainsi la même logique de repli, à une autre échelle.

Le protectionnisme, c’est la possibilité pour l’État de se développer davantage que les multinationales. Soit, alors désormais que les biens arrêtent de circuler à une telle cadence. Car il faut apporter des réponses à la plus grande crise d’entre toutes : le chômage qui fait hurler les peuples. C’est le temps du retour des barrières douanières, du protectionnisme, et de gros blocages à l’OMC. On exhorte à produire nationalement, cette tendance donne le mouvement du « Made in France », portés par des hommes politiques qui ne tarderont pas à quitter un gouvernement trop libéral dans lequel ils se reconnaissent plus. Cette envie de renationalisation se fait simultanément aux rachats par des grands groupes étrangers de fleurons de l’industrie nationale française…

L’État doit aussi absolument juguler la dette. A défaut de reprendre le contrôle des marchés, il va se lancer dans une guerre fiscale affichée et concrète pour le coup. L’exil fiscal a cédé la place à l’évasion fiscale. Après les personnes et les biens, c’est le tour des capitaux d’obéir aux frontières. Il faut faire plier les puissants, casser le pouvoir immense de cette finance sans frontières, qui se veut au-dessus des États et contre l’intérêt public. Même si pour ce faire, il faut entrer en conflit avec d’autres États. Ils finiront par adhérer à l’idée…

Ces effets d’annonce, cette dynamique protectionniste censée juguler le déclin, offrent peu de chances de rebond, en envoyant un message de repli, faisant fuir grands acteurs économiques internationaux et investisseurs potentiels. Le message compte, le déclin appelle le déclin. En attendant, pour une partie de ces mesures, les États sont freinés par les instances supranationales, les instances de régulation, les accords de libre-échange. Se contenter de faire des effets d’annonce démondialisants dans un pouvoir vide, augmente encore la déception et le rejet des anti-mondialisation. L’État ne va pas parvenir à faire diminuer le chômage en fermant les frontières, au 21ème siècle, au vu du fonctionnement du commerce international. La mondialisation est un jeu auquel on joue bien ou on ne joue pas. Jouer à moitié peut accentuer la chute. Et aujourd’hui, « personne ne peut sortir vainqueur d’une démondialisation » (Jean-Pierre Lehmann, 2012). Les mauvaises réponses à des inquiétudes légitimes apportent des conséquences plus catastrophiques que la cause. Ainsi aujourd’hui, la Suisse doit mener une bataille contre l’isolement, pour compenser la fermeture partielle annoncée de ses frontières.

Les médias et l’offensive du Territoire 

Les médias sont de grands contributeurs de la diffusion de l’épidémie démondialisante, validant le retour de l’État et le retour chez soi. Je ne dis pas qu’ils sont à son service ou sous influence par effets d’intérêts, mais ils endossent le rôle de relais des problèmes étatiques. Ils relaient toujours dans une même vision. Toujours du point de vue du territoire. Un franc fort c’est la tragédie, trop de migrants c’est la tragédie, une finance puissante, c’est la tragédie. Ils adoptent le point de vue du malade et par leur focalisation sur certains thèmes, se font les relais d’un agenda étatique. Reflet peut-être inconscient de la voix, de la position de l’État, dans un angle « ce qui lui nuit nous/vous nuit ». Leur focalisation sur l’immigration-problème contribue à discriminer le Monde mobile. Elle accentue le repli en relayant événements et discours démondialisants. Elle institue le doute chez les aspirants cosmopolites. Nos États, appuyés et relayés par les médias, ont transformé chacun de nous, simples citoyens, en garde-frontières. Les médias comme les États tournent en rond sans fin comme des dépressifs dans un bocal fermé hermétiquement, sans l’apport de perspectives et de visions renouvelées. Mêmes débats, mêmes acteurs. Au point qu’ils sont désormais victimes d’une image institutionnelle et qu’on assiste à l’émergence de nouveaux médias et d’une contre-société, sur canaux non institutionnalisés. En tous les cas, leur vision ont fait de l’espace collectif d’imagination médiatique un espace collectif de psychose.

Les mots des partis populistes pour le retour de l’État

Les mouvements populistes donnent le ton, ton qui va appuyer l’État dans son dessein, dans ses mesures. En insufflant la peur, divisant les bases, les montant les unes contre les autres, elles vont prendre à leur compte et assumer son propre combat, voire le mener à sa place. Grâce aux conservateurs, l’État va pouvoir  conserver ses privilèges, tout en se déresponsabilisant. Ils sont peut-être ses ennemis institués, mais paradoxalement, les arguments de ces mouvements peuvent contribuer à le réhabiliter lui, l’État acculé en désir de retour. Voilà pourquoi il a une position ambivalente envers ces partis. Ils ont les Mots, le discours antimondialisation dont il a lui-même besoin pour se maintenir. Les partis traditionnels au pouvoir, dits démocrates et libéraux, laissent les populistes prendre la parole, progresser, par manque d’Imaginations. Leur argumentaire anti-mondialisation, leur vision figée et passéiste réhabilitent en quelque sorte la forme État, l’ordre, donc sauvent leur peau. Même s’ils le font avec de mauvais arguments et dans un dessein différent. Ils ont leurs mots, mais au moins ils ont des Mots. Donc une utilité pour l’État, qui n’a plus qu’à reprendre le discours en le modérant et le cuisinant à des sauces plus « démocratiques ». Tout en s’éloignant du centre, il doit vivre parallèlement son autre vie, celle d’État libéral acteur interdépendant d’un système international, parti prenant de la Mondialisation. Exercice délicat, on le voit, avec le sacre des partis d’extrême-droite et eurosceptiques, l’État centriste s’est fait prendre à son propre jeu.

Après le Temps 3 ?

C’est la CRIIIIIIISE !!! Injonction de repli général !!! Et en priorité pour les États aux abois ! Assiste-t-on au début de la prédiction d’Arjun Appadurai et son nouvel ordre post-national ? Paradoxalement, simultanément, ces crises conduisent à une démondialisation… Démondialisation d’annonce, protectionnisme de façade ? Mouvement ou inertie, quelle force l’emportera ? Un compromis entre État et Marché, idéologie du territoire et du réseau est-il envisageable ? Se dirige-t-on vers une gouvernance glissant des partis démondialisant placés aux extrêmes de l’échiquier politique, aux extrémismes institués ? Vers un monde mobile qui aurait vocation à demeurer dans les villes mondiales ? Des Villes mondiales connectées entre elles et déconnectées du territoire national, et des périphéries qui font sécession ? Pourquoi pas des Villes mondiales multiculturelles et des Terroirs affirmés identitairement, vivant en complémentarité et non dans une logique d’opposition ?

Les partisans du repli ne me vendent pas du rêve ! Et la timidité des défenseurs du Monde mobile me dépite. Influencés par le climat ambiant, le doute s’est-il institué en eux, ont-ils intériorisé le discours accusateur et simpliste de certains mouvements politiques ? Quoi qu’il en soit, on commence à voir les premiers fruits du mouvement démondialisant, et le résultat est moins que probant : plus de divisions, de découragement, annihilation des énergies. Le repli s’annonce comme la mauvaise voie. La somme des énergies positives seules peut conduire à la confiance, au retour des investisseurs et au cercle vertueux. Le repli conduit au mieux à la dépression généralisée, au pire, à la guerre. On a besoin de toutes nos forces pour combattre le cancer, gardons-nous donc de gaspiller les nôtres dans le désarroi. Un monde de peur et de méfiance généralisées est un monde qui ne sait produire que des victimes. Aujourd’hui, les premiers migrants de la démondialisation affluent en Europe, issus de la conjonction des forces de repli et d’États si puissants qu’ils ont désormais pouvoir de mort sur leurs peuples. Ces migrants sont utilisés pour justifier la fermeture, plus de fermeture. Hors, on se trompe de cause. Ils ne sont pas les migrants du réseau, de la mondialisation, mais l’inverse. Ils sont la preuve que la démondialisation ne fonctionne pas, amplifie tout en justifiant la cause du rejet.

Ces mouvements de repli sont autant d’attaques contre le monde mobile. Un rejet en bloc là où l’amélioration constructive nécessite une vraie volonté de l’État, qui dans sa position ambivalente d’adversaire principale et de dépendant du Monde mobile, délivre à ses citoyens un message ambigu qui laisse la place aux interprétations les plus farfelues. On a besoin d’une mondialisation à la fois assumée et régulée, responsabilisée. On étouffe déjà tous sous le poids de l’Histoire, et voilà que c’est reparti… J’aurais envie de dire aux milieux économiques et financiers leur immense responsabilité. Leurs excès ont des conséquences bien trop funestes. Dépasser l’Histoire et empêcher ces marasmes de recommencer, en nous permettant de travailler ensemble, mélangés, dans de bonnes conditions. Les partis du rejet gagnent en adeptes, mais enrobés dans des thématiques qui emportent l’adhésion, s’en cachent d’autres, plus pernicieuses. Il en va donc de notre responsabilité individuelle, face à nos légitimes déceptions devant des dysfonctionnements évidents, de se poser la question de la récupération d’un éventuel vote contestataire.

Retour de l’Europe ?

Cette crise c’est peut-être aussi la métaphore de la fin d’un monde révolu, celui de la vieille Europe, ses entreprises dépassées, ses lois pesantes, à l’image de ses monuments, trop lourds, trop de pierres, de passé, de splendeur passée muséifiée, trop d’Histoire… qui plombent, écrasent, figent, étouffent… Trop d’ancrage ? Les jeunes s’en vont contraints ou pas, en Asie, en Amérique du Nord, dans ces terres plus fluides. L’Europe, trop d’ancrage dans un monde mobile ? Paradoxalement, j’ai lu que c’est dans les villes européennes qu’on sera le mieux à même de réaliser le projet multiculturaliste. L’Europe, sa tradition d’accueil, son état de droit, sa modernité ancrée. L’Europe aurait donc encore une vraie carte à jouer, pour autant qu’elle insuffle un peu de fraîcheur, de candeur, d’idées et d’idéologies nouvelles, qu’elle recréé de l’espace. Que les ex-nations coloniales regroupent le Monde en leur sein devrait être perçu comme une formidable opportunité, un coup d’avance pour inventer le monde de demain, expérimenter de nouvelles manières de vivre ensemble, des modèles de sociétés originaux, notamment dans ces laboratoires que sont les villes mondiales. A l’inverse, c’est le manque d’imaginations, de visions, le vide, qu’on compense avec le fantasme d’un retour du passé.