Vous n’en doutez plus. L’heure est géopolitiquement-identitairement-démocratiquement délicate. Avec les élections présidentielles aux États-Unis dans quelques semaines et en France au printemps prochain, le monde tel qu’on le connaît pourrait bien basculer. Les populistes pas encore proclamés vainqueurs, mais déjà donnés grands gagnants.
Alors Action ! Redonnons goût au monde post-moderne, libéral et métissé. Les journalistes semblent avoir gambergé durant l’été. Et en cette rentrée, les magazines francophones, culturels surtout, l’ont bien intégré. Pris acte de leur responsabilité. Le ton a quelque peu changé. Il va dans le sens du PC. On donne la parole aux métis. On montre la richesse du monde vrai, le nôtre, le seul qui soit authentique.
Ainsi le magazine littéraire La Grande Librairie (http://www.france5.fr/emissions/la-grande-librairie/diffusions/01-09-2016_503373) a choisi pour sa rentrée comme fil conducteur l’Identité, à travers la voix d’une poignée d’auteurs venus nous parler de résilience, de leur hybridité, de leur cosmopolitisme via les thématiques de leurs romans.
Casting de l’émission
Alain Mabackou, que je ne présente plus (http://leprojetcosmopolis.com/6-black-bazar-afroparis/) venu répéter que le Monde est son langage.
Magyd Cherfi, ancien chanteur du groupe Zebda qui a grandi dans les quartiers nord toulousains dans les années 80, vient présenter sa « part de gaulois », sa ballade de schizophrène, une névrose identitaire dont il n’est pas sorti. Il se demande encore s’il est plutôt kabylo-toulousain ou franco-boeur, mais n’en fait plus une maladie. Car il a choisi son pays : son identité à lui désormais c’est la langue. et il plaide pour une république cosmopolite capable d’intégrer des symboles qui prendraient aussi en compte les ajoutés de cette grande nation.
Laurent Gaudé venu défendre l’existence et le mot « cosmopolite« , désormais brandi comme une insulte par ceux qui incarnent les forces de l’obscurantisme.
Gaël Faye, métis burundais de mère rwandaise Tootsie et de père français, venu présenter son « petit pays », et raconter le passage d’une enfance métisse à la guerre ethnique, durant laquelle les amis devinrent des ethnies et le métissé découvrit son identité tootsie. Pour ce héros qui « tangue entre deux rives« , tanguer n’est pas une maladie. On peut faire une force de cette identité hybride.
Natacha Appanah, Mauricienne d’origine indienne, venue nous parler des enfants de clandestins abonnés sur Mayotte, 101ème département français, où elle est retournée pour « comprendre les gens des barques ».
Enfin la fantasque Amélie Nothomb, qui conclura en insistant sur leur point commun, à savoir qu’ils sont tous des étrangers, un destin qui ne rime pas avec tragique, mais avec une vie passionnante, avec richesse, celle de n’avoir pas d’autre terroir que la langue qu’on parle, et ainsi de pouvoir être partout chez soi.
Dans la même veine, le personnage inspirant de la semaine, qui apporte un regard différent sur notre contemporanéité était lui l’invité d’ONPC (France 2, 3.9.2016) et s’appelle Olivier Rousteing, jeune directeur artistique de la maison Balmain.
Enfant métis adopté par un couple bordelais, comptant parmi ses amis Rihanna et les Kardashian, cet artiste toujours en mouvement ne se revendique pas plus Kanye West que Sud-Ouest, mais les deux. Ancien enfant métis en mal d’inspirations défend Kim K., qu’il ne voit pas comme l’héroïne vulgaire d’un monde hyperconnecté mais comme le symbole sincère d’un nouveau monde, qui permet à des millions de jeunes gens de croire à nouveau. Ce qu’incarne Kim K., à travers son parcours d’Arménienne-Américaine, osant être elle-même, épousant un afro-américain et donnant naissance à une enfant métisse, c’est un modèle de nouvelle famille, de nouveau monde.
Parmi les échos de cette rentrée, on peut aussi citer la gagnante du Prix Goncourt Leïla Slimani, qui, fatiguée de l’obsession identitaire qui dure depuis le 11 septembre 2001, n’a elle plus rien à dire sur l’identité.
On peut citer Jean-François Colosimo, qui pousse un cri contre la démulticulturalisation-déshybridation du monde dans un reportage sur « La fin des chrétiens d’Orient« (http://info.arte.tv/fr/la-fin-des-chretiens-dorient). Il revient sur ce qu’ils symbolisent dans l’Histoire, à savoir avoir « toujours été un entre deux« . Il revient sur la guerre en Syrie, qu’un million de chrétiens a déjà quitté pour un Occident dans lequel « ils n’auront plus l’environnement nécessaire à la transmission de leur identité« . Il pousse un cri contre cette « catastrophe de civilisation« , qui semble préfigurer tout ce qui va désormais se passer, à savoir que les identités ne pourront être que meurtrières ou que folkloriques. Il pousse un cri contre ce monde qui ne veut plus de médiation, plus d’entre-deux. Il pousse un cri contre l’indifférence au drame des chrétiens d’Orient, qui n’a rien d’un drame particulier, mais préfigure un drame universel.
Alors quoi demain, une religion, une nation ?
On peut se convaincre que la fermeture des frontières ne fonctionne pas en jetant un oeil aux statistiques qui n’ont jamais recensés autant de mariages transnationaux pour la contourner.
On peut se convaincre que la fermeture ne fonctionne pas en lisant le bilan de la préférence cantonale genevoise à l’embauche, qui si elle a changé significativement l’atmosphère n’a pas fait baisser significativement le chômage.
On peut rigoler avec ceux qui face à la désillusion politique ont choisi une autre option que la fermeture, en créant carrément des nouvelles nations ;-). Une multiplication des mini-nations inventoriée dans « Royaumes d’aventures : ils ont fondé leur propre État« , de Bruno Fuligni (Ed. les Arènes, 315 pages).
Un véritable phénomène selon l’auteur – « Ces dernières années, le nombre de ces micronations a bondi, en France comme dans le reste du monde. Elles n’étaient que vingt il y a un siècle, 200 il y a vingt ans. Aujourd’hui, il existe 400 Etats, principautés ou miniroyaumes autoproclamés » – à prendre au sérieux « Lorsque les citoyens n’attendent plus rien des politiques, des syndicats, il reste la solution de créer un État. Même si c’est utopique, c’est plus grisant que d’essayer de réformer un système à bout de souffle« . (http://www.leparisien.fr/espace-premium/actu/les-petits-royaumes-d-operette-poussent-comme-des-champignons-21-05-2016-5815413.php)
Bien entendu, derrière l’aspect politique, la question de l’identité n’est jamais loin. Alors quoi demain, une identité, un territoire, une micro nation ?
Turning Point
Mais voilà… ce petit et tardif sursaut n’aura pas suffi… Le contexte, l’atmosphère insinuée depuis une quinzaine d’années aura finalement gagné la partie et s’apprête désormais à être instituée.
Au matin du 9 novembre, … réveil avec le discours du 45ème président(?) des États-Unis. Déni de cerveau, n’imprime pas l’info, entend président—-e. Vrai réveil. Réveillée. Cette fois-ci c’est acté. Fini la gangrène latente (http://leprojetcosmopolis.com/8-cest-la-criiiiiiiiiiiiise-repli-et-tentation-demondialisante/) (http://leprojetcosmopolis.com/10-intermede-revue-de-presse/) (http://leprojetcosmopolis.com/revue-de-presse-2016-ii-aout-decembre/), (http://leprojetcosmopolis.com/revue-de-presse-2016-ii-aout-decembre/) on est passé de l’autre côté. On pénètre une nouvelle ère. On pénètre dans l’inconnu.
Un espoir : qu’une formule inédite macérera et que l’hybridation entre le désormais ancien monde post-moderne et le nouveau monde néo-middle-ages s’imposera.
En attendant, une fois la stupéfaction passée, réagissons. Pas le choix, pas question de succomber à l’abattement. Après le chagrin reviendra l’espoir. En attendant, surtout, continuer à s’étonner. Et se rappeler ses cours de sociologie, se rappeler cet auteur qui affirmait que tout a une fonction. Donald Trump sans doute aussi…
Tout de même… l’incompréhension. Vous voulez un vote anti-système ? Bon sang, y’a des libéraux aussi. Il y a des Trudeau et des Macron aussi. Avec qui le dialogue démocratique est possible. Car Trump encore plus que ses idées, c’est son tempérament qui fout les jetons. Face à cette violence, vulgarité, folie, comment dialoguer ? Malheureusement pour les libéraux nouveaux, on ne pardonne en ce moment rien aux estampillés démocrates. On pardonne au nanti qui crache.
Avenir USA ? Sécession Californie (#Calexit, appel à la sécession) ou réconciliation et hybridation des « deux » pays ? Souvenez-vous ce dont Barack Obama se savait être une étape : le métissage du Monde (http://leprojetcosmopolis.com/12-eloge-de-la-mobilite-et-du-batard/; http://leprojetcosmopolis.com/13-portrait-barack-obama-devenir-metis/) Étape provoquant naturellement des contre-réactions.
Quoi qu’il en soit, l’élection de Trump, victoire du Territoire certes, mais victoire éphémère d’un modèle vénère car le Territoire ne gagne toujours que provisoirement, alors que le Réseau s’installe lui durablement. Les grands mouvements migratoires géopolitiques n’ont jamais perduré, conduisant au contraire à de grands mouvements inverses. Invasions et évictions en bloc. Contrairement aux mouvements, aux flux naturels qui se sont installés. Le monde métissé n’est pas à défaire, il est fait pour durer. De même le protectionnisme est un leurre, un « contre-mouvement » qui suit le cheminement suivant : relocaliser, boycotter, produire local puis… exporter. Le mouvement ? Un mouvement sans fin ;-)…
Mais en attendant, quelle suite dans l’immédiat ? Rapprochement USA-Russie et sortie des Organisations internationales ? Annulation du rapprochement avec Cuba et de l’accord avec l’Iran ? Annulation des ouvertures ? Fuite des investisseurs, fuite de la poésie, fuite de l’espoir, fuite de l’énergie, fuite de l’optimisme ?
La saison de l’abattement
Trump, une élection qui vient clore une année 2016 qui nous aura déjà contraints à assister au Brexit, à une Union européenne incarnée par des Le Pen, des Hoffer, des Kopetri… Des populistes envoyés par leurs peuples dans le poste de commandement pour faire imploser de l’intérieur la maison.
Les politiques tournent le dos au Monde, appuyés bien contre leur gré par la classe moyenne supérieure bourgeoise, dont j’ai l’opportunité d’observer un échantillon dans ma région. Adepte du trip carrière en ville – maison à minima un million dans la banlieue-campagne, qui elle tourne le dos au monde, au populaire, cherchant en vain des territoires préservés et isolés lors de ses congés, fuyant les « repères à toutous » comme elle se plaît à les nommer… Libéraux qui adhèrent à la position identitaire d’un Fillon et comprennent les peuples de l’Europe qui s’insurgent contre l’imposition d’une identité européenne qui n’aurait aucune chance d’éclore… Pas d’hybridation, pas d’enrichissement identitaire, un Espagnol est et restera à jamais seulement un Espagnol, voilà ce qui m’a été soufflé…
Alors en cette fin d’année, comment régater, quand même le grand aventurier Sylvain Tesson est « rentré à la maison« , où il parcourt désormais les « chemins noirs »…
Quand ta collègue frontalière dégoûtée par la politique française te dit que finalement pourquoi pas Marine Le Pen, sans y voir de contradiction avec son propre statut de ce côté-ci de la frontière…
Quand tu découvres au détour d’un sondage que l’immigration est désormais la préoccupation majeure des jeunes Suisses « L’immigration en général, l’asile en particulier, représentent la principale préoccupation des Suisses de 16 à 25 ans, selon un sondage réalisé par l’Institut gfs.bern. Alors que près d’un jeune sur cinq s’en souciait en 2010, ils sont presque un sur deux aujourd’hui.« (http://www.rts.ch/ino/suisse/8065001-l-immigration-preoccupation-majeure-des-jeunes-suisses-selon-un-sondage.html)
Plus personne ne semble tenter de sauver ce monde-ci et les familles affirment qu’elles ferment la clé pour le bien de leurs enfants, alors sûrement qu’elles doivent avoir raison. A court d’arguments, plus rien à objecter.
Mais enfin pourquoi les gens en colère n’écrivent-ils pas de roman ? Pour nous donner l’opportunité de les comprendre de l’intérieur. Pour ne pas seulement les institutionnaliser mais les intégrer au grand roman collectif, les poétiser, cesser de les laisser de côté, pour adoucir, pour diminuer la rancoeur, pour réconcilier les deux moitiés ? Après tout, désormais c’est acté, les gens en colère représentent la moitié des sociétés occidentalisées.
Nouvelle voie – Du PC au PG…
Pour ma part c’est décidé. Pour coller à ce désormais nouveau monde, le projet va évoluer. Le PC devient le PG, un blog apolitique, un blog plus léger pour porter aux nues, mettre en lumière, encenser tous ceux qui chuchotent et ignorer ceux qui crient. Plus question de chronique de démobilisation. Un blog pour créer, inventer un monde nouveau et contribuer à atténuer la colère, en mettant l’accent sur la lumière, les hybridations. Pour parler des défis qui peuvent mobiliser nos énergies. Plus d’instantanéité, plus de spontanéité, plus d’incarnation.
Un blog qui observera et tentera d’articuler pour concilier ce triptyque identitaire contemporain absolument passionnant : Régions – Nations – Monde. Trois échelles qui coexistent simultanément. Penser leur possible et nécessaire cohabitation, leurs hybridations, leurs interconnexions. Penser une inédite formulation.
Un nouveau projet, une nouvelle année qui gageons-le, amorcera un nouveau mouvement. Après tout, quand on prône l’ouverture, il faut savoir être ouvert aux surprises…