Après avoir épuisé les sources académiques et médiatiques et m’être épuisée en Villes-Monde, quel meilleur épilogue qu’un voyage littéraire pour enrichir cette réflexion ? Grâce à la profondeur de ses voix, c’est souvent la littérature qui dit le mieux le monde, souvent dans la littérature qu’on trouve des réponses. C’est donc à des héros romanesques que je vais maintenant confier la tâche d’incarner les réflexions que nous avons abordées précédemment. Suivez-moi à la rencontre de héros hybrides, à la rencontre de cette génération mondialisation que nous avons évoquée. Suivez-moi et allons ensemble redécouvrir les Villes-Monde autrement. Croyez-moi, l’itinéraire de cet ultime voyage dans les imaginaires fut compliqué à arrêter, car le choix des œuvres s’avère illimité… Ainsi j’aurais tout aussi bien pu…

J’aurais pu vous parler du film de Mira Nair adapté du roman éponyme de Jhumpa Lahiri The Namesake (Un Nom pour un Autre), un des films m’ayant le plus marquée en 2006, et qui a sans doute agi comme une lointaine impulsion pour cette réflexion. The Namesake, ou l’histoire de Gogol, Indo-Américain première génération après la migration, qui après s’être défini longtemps comme Nick, redevient Gogol et aussi un peu indien au décès de son père. L’histoire d’une quête identitaire entre Calcutta et New York.

J’aurais pu vous parler du cas de l’Étrangère, film de Feo Aladag sorti en 2010, ou quand l’incompréhension  des générations, l’incompatibilité de la Communauté et de la Société, le rejet du compromis, conduisent à la plus dramatique des tragédies. L’histoire d’Ulmay, une germano-turque qui ne parviendra pas à réconcilier ses deux patries.

J’aurais pu vous parler du magnifique Collision de Paul Haggis, histoire de la collision fortuite et inévitable des mondes dans une Amérique post-11 Septembre en proie à des problèmes raciaux, en proie aux peurs et aux incompréhensions. Une histoire de hasards et de préjugés. Une histoire de hasards et de responsabilités, dans laquelle chacun peut changer l’Histoire par des comportements anodins, petite suite d’événements, petite suite de réactions, grandes conséquences dans la recréation constante des rapports humains.

J’aurais pu choisir un roman de Taiye Selasi, écrivaine cosmopolite nigéro-ghanéo-anglo-américano-romaine, tête de file d’une génération d’écrivains peut-être issus du continent africain, mais d’abord globaux, d’abord urbains, d’abord eux-mêmes, voilà pourquoi cette auteure a révélé le terme Afropolitain. J’aurais pu vous parler du magnifique Americanah de la lumineuse Chimamanda Ngozi Adichie, j’aurais pu vous faire partager le journal d’une expatriée, j’aurais pu vous présenter le récit de l’odyssée d’un migrant qui a traversé la Méditerranée… Et tant d’autres….

J’ai conscience qu’à travers cette sélection il manque tant de voix, de destinations, de géographies, de modes de mobilités. Et parce que finalement le temps m’est compté si je veux avoir un jour l’opportunité de partager cette réflexion, j’ai dû faire un choix très limité. Un choix limité qui doit répondre au double défi d’être représentatif et de communiquer avec les autres parties de cette réflexion. Critères auxquels on peut ajouter le désir qu’ils l’emmènent vers de nouvelles voies, qu’ils ne se contentent pas simplement de communiquer, mais d’enrichir, de complexifier, de compléter ce voyage.

Au final j’ai sélectionné sept romans. Pour certains c’est le fruit du hasard qui me les a fait intégrer, ensuite j’ai tenté de varier un poil les destinations et les situations. Au final, c’est un peu toujours la même histoire déclinée différemment. L’histoire d’un monde globalisé qui redessine les lieux et recompose les identités.

Ces sept romans, il s’agit de Bloody Miami de Tom Wolfe (traduction française chez Robert Laffont, 2013, 610 pages), une plongée dans la brûlante Miami des communautés ; de la Chicago d’Alaa El Aswany, reliée par le vent et la peur à l’Égypte sous dictateur (traduction française chez Actes Sud, 2007, 458 pages) ; du Black Bazar d’Alain Mabanckou, ou la déambulation d’un roi de la Sape et écrivain congolais dans le Château rouge parisien (chez Seuil, 2009, 247 pages) ; de What we all long for de Dionne Brand, ou la découverte de la futur Cosmopolis, la fascinante Toronto (version anglaise chez Thomas Dunne Books, 2005, 318 pages) ; d’un retour sur Paris avec Du Rêve pour les Oufs de Faïza Guène (Hachette Littératures, 2006, 154 pages), projecteur sur et révélation d’une France trop souvent ignorée ; enfin de deux voyages à Londres, d’abord avec le Salaam London de Tarquin Hall (traduction française aux Éditions Hoëbeke, 2007, 479 pages pour l’édition Folio), récit d’un retour au pays dans une ville devenue Monde, puis avec Sourires de loup de Zadie Smith (traduction française chez Gallimard, 2001, 735 pages pour l’édition Folio), ou le récit des balbutiements de la nation postcoloniale adolescente.

Leur point commun ? Une bonne dose d’humour et un chemin vers la célébration de la complexité du monde contemporain. Au final, une rencontre avec des héros qui montrent le chemin de la résilience identitaire à une époque où on en a bien besoin. Au final, cette partie aurait dû s’appeler Si l’esprit métis m’était conté

Pour garder la portée de ces voix, je me suis appliquée à leur coller au plus près dans les comptes rendus qui vont suivre. J’ai veillé à ne pas transformer ces résumés en simple essais.

Maintenant, ne me reste qu’à espérer que vous passerez un bon moment, et parvenir à vous transmettre ne serait-ce qu’une bribe du bonheur infini que j’ai eu à cheminer aux côtés de ces destins singuliers. Bonne lecture !