Les Mots : Identité, Blanc, Noir, Métisse, Histoire, Colère, Foi, Communauté, Action, Racines, Fuite, Père, Colonisation, Authenticité, Mélange, Silence, Choix, Responsabilité, Union, Post-racial, Réforme Immigration.

Héros post-moderne

Le Projet Cosmopolis, le vivre ensemble au 21ème siècle dans un monde post-colonial, post-moderne, urbanisé, mondialisé et hybride, est à la fois une réalité et un défi. Mais parce que les faits ont été plus rapides que la construction intellectuelle, on a besoin de voix fortes, de nouveaux héros pour incarner ce nouveau monde, et recréer du mythe. Barack Obama fait partie de ces nouveaux héros, car il est la parfaite illustration, l’archétype de l’esprit métis et du monde hybride décrits au chapitre précédent.

Qui est Barack Obama derrière l’étiquette réductrice de premier président noir des États-Unis d’Amérique ? De Barack Obama, on connaît le symbole, on connaît l’agenda du Président de la deuxième puissance mondiale, mais la complexité du personnage est à chercher du côté de sa construction identitaire. Barack Obama a mené un véritable combat avec ses différentes identités, pour faire éclore l’esprit métis qu’on connaît. La synthèse des différents mondes qui l’ont façonné est l’aboutissement d’une longue quête. Le résultat de ce parcours, on le retrouve dans ses discours, dans ses intentions politiques. Au-delà du parcours politique, c’est donc le parcours intérieur de l’homme qui est éloquent.

C’est donc par ses mémoires « Les rêves de mon père. L’histoire d’un héritage en noir et blanc », travail de commande transformé en témoignage sincère d’une recherche identitaire, que je vais commencer ce chapitre. Avant d’illustrer comment il va transposer son hybridité en politique, dans ses discours, dans ses actes.

Au début ce chapitre devait porter pour titre « Barack Obama ou la croisée des deux mondes ». Mais la vérité c’est qu’il n’y en a qu’un de Monde. Monde un et multiple, complexe, monde un fait de mondes entrelacés. Destin commun. Voilà la révélation qu’a Barack Obama au terme de son voyage initiatique sur la terre de ses pères, le Kenya. Voyage qui signe lui-même le terme d’un cheminement intérieur en quête de son identité. C’est donc logiquement qu’après la lecture de ses mémoires, pour être au plus proche et dans le prolongement de l’intention de Mr Président, que ce chapitre s’appelle désormais « Barack Obama. Devenir Métis ».

Le destin de Barack Obama, c’est d’incarner les États-Unis métissés du 21ème siècle. Sa mission ? La promesse d’un avenir où  l’on n’aurait plus à lire la phrase suivante au dos d’un tel récit :

« Cet ouvrage stimulant démontre de manière magistrale que le fait d’appartenir à deux mondes distincts revient à n’appartenir à aucun. » The New York Times Book Review (couverture Edition poche Les rêves de mon père. L’histoire d’un heritage en noir et blanc, edition Points, 2008)

On ne naît pas métis, on le devient…

Se plonger dans « Les rêves de mon père. L’histoire d’un héritage en noir et blanc », c’est partager une trentaine d’années de l’intimité d’un futur président. Rédigé en-dehors de tout projet politique, après que Barack Obama fut élu à la tête de la Harvard Law Review lors de ses études, ce récit frappe par la sincérité des confidences. Témoignage incontournable, il nous permet de réaliser qu’afin de pouvoir incarner la fusion de cette nouvelle nation métisse et l’inspirer, Barack Obama a d’abord dû se « fabriquer » métis, réconcilier ses identités pour pouvoir ensuite représenter toutes les identités. Ainsi le métissage ne fut pas pour Barack Obama un donné, une évidence, acquise sereinement, mais une condition acquise au terme d’un long combat intérieur, qui passe par une longue construction identitaire. Devenir soi, devenir un à partir de ses multiples, appartenir à une communauté, puis dépasser cette appartenance est une sagesse qui s’acquiert, qui se lutte, qui s’acquiert de haute lutte, se comprend pour prendre sens, s’incarne dans le questionnement. La bataille intérieure du métis est peut-être encore plus forte pour un métis en noir et blanc, tant la couleur noire est le fruit d’une longue histoire de lutte, de ségrégation, de colère, une histoire encore sensible aux États-Unis.

En fait Barack Obama n’est pas noir, pas plus qu’il ne représente la communauté afro-américaine issue de l’histoire de l’esclavage américain. Son histoire est celle de la colonisation-décolonisation. Son destin est le fruit de cette rencontre-là. C’est l’histoire du fils d’un père kenyan venu étudier aux États-Unis et qui repartira pour ce pays fraîchement décolonisé et en pleine construction. C’est l’histoire d’un enfant élevé par une mère blanche, des grands-parents blancs, et qui malgré la volonté de sa mère va découvrir qu’il est noir, réaliser qu’il est désigné noir de l’extérieur, sommé de se définir pour appartenir, qu’il a besoin d’une race, avant de découvrir ce que signifie l’appartenance à la race noire. Dès lors, commence pour lui un trouble intérieur et une recherche quasi-désespérée de voies à suivre, de modèles desquels s’inspirer, pour trouver la bonne formule identitaire, pour accorder sa propre histoire à celle de son pays.

Tout le récit relève de cette quête d’identité. Double racial, sa face blanche semble ne pas poser de problème dans cette Amérique. C’est sur son autre race, sa face noire, que va donc se concentrer sa lutte. Lutte et parfois colères que l’amour de ses grands-parents et de sa mère vont l’aider à subtiliser, adoucir. Si parvenir à être noir lui demande davantage d’énergie, c’est aussi parce que son modèle noir, son père, est absent. Il ne vivra avec lui que lors d’un court séjour à Hawaï lors de ses dix ans. Assigné à une identité dans laquelle il n’est pas élevé, contraint de fantasmer la moitié de lui, il n’aura de cesse de mener une quête pour apprivoiser cette identité noire avec tout ce qu’elle implique d’histoire et de combats aux États-Unis. Mais aussi de résignations. De compromis. Avec la résilience comme meilleure victoire possible.

De modèles en inspirations, de colères en engagements, Barack Obama va, en parallèle à un riche itinéraire  géographique, sonder à travers un itinéraire émotionnel et intellectuel, les multiples façons d’être noir aussi bien en terre américaine qu’en terre kenyane, pour aboutir à la bonne synthèse, celle qui lui permettra d’être en paix, réconcilié avec ses identités. Il veut comprendre la signification de sa couleur, au-delà d’une apparence. Il cherche l’inspiration auprès de ses amis, de son entourage, prend tout pour en faire la synthèse, tente de définir sa propre formule. Ce sont les étapes intérieures de ce parcours qu’on suit dans ces mémoires. Avant de tenter de fonder l’unité d’un pays, avant d’unir dehors, il s’emploie durant toute sa période d’apprentissage à unir ses deux identités. Faire vivre ensemble, faire cohabiter ses deux voire plusieurs lui en lui, apparaît comme la condition sine qua non pour ensuite transmettre au peuple américain cette formule du vivre ensemble. Vivre ensemble d’abord  en harmonie avec lui-même, en lui-même. Concilier et montrer la voie. Son parcours n’est peut-être pas représentatif du parcours de tout jeune biracial, mais c’est celui parfois douloureux de rien de moins qu’un futur président des États-Unis.

Cosmopolite, hybride culturel et métis géographique, qui mieux que Barack Obama peut incarner ce nouveau monde post-moderne, post-colonial, mondialisé et hybride ? Il est, incarne le 21ème siècle. Au-delà de son bilan, il est le symbole de ce nouveau monde et l’exemple de ce qu’on doit vouloir comme monde vrai. Et par monde vrai j’entends monde fabriqué, monde bricolé. Ici pas de contradiction. Le monde vrai c’est celui qui nous met face à nos fantasmes d’authenticité et nous dit qu’il n’y a plus d’essence pure. Le monde vrai renvoie les essences à l’Histoire, et avec elles les colères et les divisions. Barack Obama n’est pas finalité, il est étape, par tout ce qu’il incarne, qu’il incarne au fruit d’une longue et profonde réflexion. Ayant d’abord vécu la réconciliation-fusion à l’intérieur de lui-même, qui mieux que lui pour réussir la synthèse, créer l’alchimie et la réconciliation de la mosaïque Amérique ?

Bouger, réaliser, se perdre, accumuler, découvrir, choisir, organiser, appartenir, compléter, élargir, confronter, composer, dépasser, concilier, réconcilier, incarner : voilà les quelques mots qui à mon sens résument les différentes étapes du cheminement identitaire de Barack Obama, que je vous propose de découvrir maintenant.

Cheminement

Bouger

Né à Hawaï d’un père kenyan et d’une mère américaine du Kansas, son destin va le mener à passer une partie de son enfance en Indonésie, où sa mère s’installe avec son second époux indonésien, avant un retour à Hawaï pour y effectuer la fin de sa scolarité. Il poursuit ensuite ses études à Los Angeles puis à New York, avant de mettre le cap sur Chicago pour y exercer la profession d’organisateur de communautés. Il effectue un séjour au Kenya, étape clé à la rencontre de ses racines, fera escale à Boston pour étudier le droit à Harvard et se former aux codes du pouvoir avant un retour à Chicago, et on connaît la suite… à Washington. Sa quête identitaire se double donc d’un parcours géographique aux mobilités multiples. Un mouvement qui semble inscrit dans son ADN et celle de sa famille.

Réaliser

Sa mère Ann, cosmopolite par projet, va jouer un rôle essentiel en montrant une voie à Barack Obama. Ann, âme métisse qui par dessein donnera naissance à Barack, Kenyan-Américain et à Maya, Indonésienne-Américaine. Deux enfants symboles de ce nouveau monde qu’elle comprend et souscrit de ses vœux. Barack Obama est le fruit d’un rêve, d’un idéal. Ainsi sa mère Ann lui a transmis sa propre vision du monde, pas forcément celle du monde, et après quelques années d’innocence, Barack Obama va réaliser qu’il est noir. « (…) j’étais trop jeune pour comprendre que j’avais besoin d’une race. Pendant une période d’une brièveté improbable, il semble que mon père s’était trouvé sous le même charme que ma mère et ses parents. Et pendant les six premières années de ma vie, même si ce charme était rompu et que les mondes qu’ils pensaient avoir délaissés les réclamaient l’un et l’autre, j’occupai la place qui avait été celle de leurs rêves » (56).

Se perdre & accumuler

Le jeune Barack Obama, celui de Hawaï et de Los Angeles, s’embarque pour une « lutte intérieure animée » (118) et parfois désespérée. Toujours contraint de zigzaguer entre deux mondes, il cherchera des réponses tantôt auprès de ses amis adolescents noirs, qui forgeront des orientations qui ne pourront pas être totalement les siennes. Tantôt chez les auteurs ou les grandes figures politiques comme Martin Luther King ou Malcolm X. En parallèle à sa quête, il mène et vit les expériences de la vie de tout étudiant américain. Durant ses années d’études, il découvre également l’engagement communautaire qui lui fera connaître les premiers frimas du discours et lui révélera le pouvoir des mots. Il va réaliser qu’il ne peut pas plus se détourner de l’engagement qu’opter pour des solutions radicales, qui feraient de lui tantôt un lâche, tantôt un imposteur. Il va également faire l’apprentissage du décentrement, afin que son obsession de l’identité ne tourne pas à une obsession pour lui-même.

Au terme de cette période, le jeune homme perdu aura accumulé suffisamment d’expériences pour que la possibilité de l’hybridité identitaire commence déjà à se dessiner en lui : « Seul un manque d’imagination, de courage, m’avait fait croire que j’avais à choisir entre elles. Elles attendaient toutes la même chose de moi, ces grands-mères qui étaient les miennes. Mon identité commençait peut-être avec le fait établi de ma race, mais elle ne se terminait pas là, elle ne pouvait pas se terminer là. En tout cas, voilà ce que je choisirais de croire. (…) Derrière moi, Billie chantait sa dernière chanson. (…) Sa voix me paraissait différente, à présent. Sous les strates de douleur, sous le rire rauque, j’entendis la volonté de tenir bon. Tenir bon… et faire une musique qui n’avait jamais été là avant » (164).

Découvrir et choisir

L’étudiant de New York, découvre qu’au-delà de son identité c’est sa vie qu’il peut composer, en bricolant à partir de toutes ces tranches de vies qu’offre la grande ville. La vie à New York c’est la joie du bâtard qui peut butiner à toutes les orientations, se fondre dans tous les mondes, capable de vivre la vie des autres et d’en extraire quelque substance pour la faire sienne. L’autre découverte de New York, c’est le constat qu’en ce qui concerne la communauté noire, bien souvent race et classe socio-économique défavorisée se rejoignent. S’il peut composer sa vie, il peut aussi choisir sa vie, et au terme de son passage à Columbia, tandis que ses amis blancs et noirs postulent pour les grandes universités, Barack Obama décide d’embrasser la profession d’organisateur de communautés, pour travailler à organiser les Noirs. « Les communautés devaient être créées, on devait se battre pour elles, on devait les entretenir comme des jardins » (191).

Barack Obama, taxé tour à tour de doux rêveur, d’idéaliste, de naïf, après un bref passage en tant que broker préférera finir « broke » que de renoncer à son projet. Barack Obama, futur président des États-Unis. Barack Obama, dont les « errances » forment un projet cohérent.

Organiser & appartenir

Son métier d’organisateur de communautés l’amène à Chicago, ville symbolique à plus d’un titre. Ville à la fois extrêmement ségréguée et qui a élu un maire noir, le maire Harold, figure inspiratrice et fédératrice. Mais Barack Obama réalise vite que la présence d’un maire noir ne résout pas le problème des Noirs. Harold est avant tout le maire du compromis politique avant d’être le maire de la communauté noire. A l’inverse de ce personnage pragmatique, Barack Obama découvre que Chicago est une ville divisée, imprégnée d’une vision tribale partagée par les diverses communautés, une ville de tribus où seuls les Noirs semblent ne pas être assez armés pour lutter. Il découvre qu’à Chicago les Arabes et les Coréens tiennent des commerces, les Juifs des murs, et les Blancs attendent d’en reprendre possession. Il découvre que cette vision du monde limité au sang et à la tribu est constitutive de l’histoire de la cité, ayant déjà guidé Italiens, Irlandais ou Juifs à leur arrivée. « C’est dans le sang, Barack, de veiller sur les siens. Un point c’est tout. Les Noirs sont les seuls à être assez stupides pour s’occuper de leurs ennemis » (271). Mais travailler à organiser des communautés fortes, n’est pas forcément souscrire à la vision de la nation tribale.

Outre cette vision communautariste, il découvre la ségrégation spatiale à l’œuvre dans la ville, où des quartiers autrefois signe d’un avancement social sont désormais en déclin. Réalité sociale que les églises mettent beaucoup d’énergie à améliorer, l’important réseau d’églises jouant un rôle primordial dans les quartiers défavorisés, et pour la communauté noire. Il réalise également que sa volonté de fédération et d’organisation de la communauté noire se heurte à des limites et des résistances internes, mais que l’Église offre d’autres possibilités de fédération, notamment la communauté culturelle, qui transcende les classes sociales, communauté puissante et plus flexible que le nationalisme noir. Mais il découvre que même en se mobilisant, les Noirs continuent de vivre dans un monde régi par les règles de l’homme blanc.

Ses années Chicago sont encore une fois l’opportunité d’assimiler de nombreuses voix, diverses voies, comme celle de ce professeur qui s’investit pour transmettre la culture de leurs racines aux enfants noirs qui grandissent dans l’apprentissage de la seule culture des Blancs. Initiative qui fera réaliser à Barack Obama que le fait d’enraciner les jeunes dans leurs propres traditions ne revient pas à dénigrer les autres cultures, mais au contraire à offrir une base identitaire solide pour leur permettre ensuite d’apprécier ce que les autres cultures ont à offrir.

Après le cheminement théorique, ces trois années en tant qu’organisateur de communauté sont l’occasion de se confronter à l’expérience empirique. Apprentissage de l’action, du terrain. Pour Barack Obama, Chicago c’est l’apprentissage du pragmatisme. Car le changement nécessite de lier discours et action. Et pour qu’il y ait action, il faut créer des liens avec le monde des affaires et les institutions. Après la révélation qu’a eu Barack Obama l’étudiant en prononçant son premier discours à Los Angeles, on voit comment à Chicago, entre défaites et victoires symboliques qui le galvanisent, continuent à se dessiner les germes du futur homme politique. Le rêveur Obama a réalisé à travers l’engagement communautaire qu’aucune organisation n’est jamais indépendante du système ou située en-dehors de lui, que toute organisation répond aux mêmes règles et jeux de pouvoir. S’il mettra ensuite le cap sur Harvard c’est pour y acquérir le complément indispensable à l’action. Faire son droit, c’est se former aux codes du pouvoir et pouvoir ainsi faire le lien entre les deux univers, les communautés et les institutions.

Le fondement de sa quête identitaire ne se résume pas seulement à une quête de sens. Ainsi, son métier d’organisateur de communauté, il le vit aussi comme un rêve d’appartenance à une communauté noire et comme une rédemption. Appartenir à une communauté, condition sine qua non pour mieux embrasser ensuite ses multiples identités et développer l’envie d’appartenance à une communauté plus large, qui serait capable d’accepter un membre différent : « Et parce que le statut de membre se gagnait – parce que cette communauté que j’imaginais était toujours en formation, basée sur la promesse que la communauté américaine élargie, noire, blanche et métisse, pourrait se redéfinir – je croyais qu’avec le temps elle pourrait accepter le caractère unique de ma propre vie » (191). Il va satisfaire à Chicago ce désir d’appartenance, mais durant ces années, il va aussi réaliser qu’il s’éloigne du destin de certains de ses frères noirs du South Side. Désormais autres tribus, autres langues, autres codes. Il découvre cependant qu’il peut être différent sans être rejeté par sa nouvelle famille, dont les membres peuvent progresser. Au terme de sa période Chicago, Barack Obama est désormais assez solide pour passer à l’étape suivante, concilier ses appartenances, fusionner ces mondes, vivre à la fois dans le centre et dans le South Side.

Compléter & confronter

Los Angeles, New York, Chicago, et en filigrane, toujours l’image de ce père mythifié mais inconnu. Figure noire des hommes dont il voudrait s’inspirer, son père lui a donné la couleur des hommes chez qui il aspire à chercher son destin. Ce père retourné en Afrique emportant avec lui ses racines inconnues. Au terme de sa période Chicago et avant  son escale à Harvard, le moment est désormais venu pour Barack Obama de mettre le cap sur son autre patrie, le Kenya. Étape clé qui va lui permettre d’affirmer ses positions idéologiques sur l’identité, l’hybridité, la communauté, l’Histoire, la Foi. Tous les éléments qu’on retrouvera ensuite dans ses discours.

Confronter

Le Kenya, c’est la promesse de remplir ce vide qui l’habite, cette part manquante. Mais se rendre sur la terre de ses racines signifie aussi confronter le fantasme, découvrir ce pays à la fois en poète et de manière frontale  :  « Pour eux, comme pour moi, l’Afrique était devenue une idée plus qu’un endroit concret, une nouvelle terre promise, pleine de traditions anciennes et de vastes perspectives, de nobles luttes et de tambours vibrants. Grâce à la distance, nous faisions nôtre l’Afrique, mais notre adoption était sélective » (400-401). En quête d’essence et d’harmonie, Barack Obama se trouve une fois encore face aux subtilités, à la complexité, en somme aux situations hybrides qui le poussent à densifier sa vision des mondes. Vaine quête de pureté et d’authenticité, d’Afrique intouchée et fantasmée, la grande révélation de ce voyage, qui lui apparaît instantanément comme une évidence, c’est que le Kenya est un pays hybride. Cette révélation lui est offerte d’abord par l’hybride Nairobi, ville coloniale et ville moderne, ville des tribus et ville de la mondialisation, ville de contrastes, ville qui voit cohabiter toutes ses époques, ville qui semble s’accommoder de sa schizophrénie.

Son Kenya est un pays qui tente de composer avec sa modernité. Un pays dont la campagne est en pleine mutation, entre difficultés, exode des jeunes, et apparition du concept de pauvreté. Le Kenya rime avec chaleur humaine et grande beauté, mais aussi avec tribalisme et clientélisme. Pour Barack Obama, le Kenya représente à la fois l’accueil d’une immense famille, et la prise de conscience des divisions à l’œuvre partout dans le pays : entre Kenyans et commerçants indiens qui ne se mélangent pas, entre tribus kenyanes, et jusqu’à l’intérieur de la famille… famille du reste plutôt perplexe face à son travail d’organisateur de communautés. Perplexe, il l’est parfois lui aussi face à ce pays qui semble se marchander volontiers aux règles de l’économie mondialisée, devenant ce lieu doré qui offre aux anciens colons, désormais appelés touristes, l’opportunité de vivre un néocolonialisme nostalgique. Des colons qui réapparaissent sous d’autres formes, comme cet Anglais fils d’ancien propriétaire colon, qui se sent étranger en Angleterre sans avoir plus la possibilité de faire du Kenya sa maison. Une douleur qui offre une fois encore à Barack Obama un renversement de perspective.

Identité : compléter et composer

A Nairobi, Barack Obama fait connaissance avec son autre lui : « Pour la première fois de ma vie, je ressentis l’aisance, la stabilité identitaire que pouvait procurer un nom » (405) « Ici, le monde était noir, et on n’était que soi-même ; on pouvait découvrir toutes ces choses qui étaient uniques pour soi sans vivre un mensonge ou commettre une trahison » (412). Mais très vite, le comblement de la part manquante va devenir une des parts dans la composition d’une identité hybride.

Hybride, à l’image de sa famille. Le premier cercle n’échappe pas à la règle : du parcours de sa mère à sa petite sœur Maya, biculturelle comme lui, jusqu’à ses grands-parents qui pratiquent un nomadisme original et vivent la mobilité comme une religion. Mais c’est au Kenya que son immense famille va pouvoir lui inspirer une multitude de façons de composer avec le Monde et de jongler avec leurs identités.

D’un côté on trouve les hybrides demi-sœur et demi-frères Auma, Roy et Bernard. Auma l’organisée et l’indépendante, devenue une énigme occidentale pour sa famille africaine, jongle entre l’Allemagne et le Kenya, déchirée entre trop grande solitude d’un côté et trop grande famille de l’autre. Elle va concilier indépendance et engagement familial en projetant de bâtir un foyer pour sa famille kenyane élargie. Son demi-frère Roy partagé entre le Kenya et les États-Unis, où il peine à se réinventer, trouvera finalement la paix dans l’islam et en lançant un commerce d’import-export d’objets africains, créant ainsi un pont entre ses deux terres et du travail pour sa famille kenyane. Il va réaffirmer son africanité tout en vivant en Amérique et en nourrissant le projet de se réinstaller à terme au Kenya. Le jeune Bernard n’a quant à lui pas encore quitté le Kenya et idéalise l’Amérique.

Barack Obama fait également la connaissance de ces deux demi-frères métis, Mark et David, fils d’une Américaine vivant au Kenya. Mark agit comme le miroir inversé de Barack Obama. Biculturel lui aussi, il vit sa double identité sans remous et dans une absence de questionnement, il ne se pose pas de question sur ce que signifie son africanité ou sur ses racines, considérant la vie déjà assez compliquée sans cet excédent de bagage. David a lui fui son foyer américain, faisant le choix d’être pleinement africain, de n’être qu’un Obama. Quant à leur mère Ruth, elle vit barricadée dans leur résidence de luxe américanisée. Mais le tableau reste partiel sans son père et grand-père kenyans dans le sang mais hybrides de l’Histoire, héritiers des rapports de l’histoire en noir et blanc, qu’il appartiendra à Barack Obama de réconcilier avec leur histoire pour compléter sa quête.

Chacun cherche donc sa propre stratégie, sa propre combinaison, sa formule originale, pour concilier les terres et les identités. Mais de quelle force qui les dépasse leurs mouvements sont-ils le fruit ? Correspondent-ils à des fuites ? Barack Obama ne fait-il que répondre au schéma de l’histoire de son peuple ? Il réalise que la fuite est constitutive de leurs existences. Fuite physique ou à minima fuite partielle d’eux-mêmes, la composition semble être intrinsèque au destin de tous les Noirs.

Concilier communauté et société

« J’entends toutes ces voix réclamer la reconnaissance, et toutes elles posent exactement les questions qui en sont venues à déterminer ma vie (…). Quelle est notre communauté, et comment cette communauté peut-elle être conciliée avec notre liberté ? » (565-566) Ses deux identités, l’Africaine et l’Américaine, au-delà de la « race », c’est également une lutte entre la communauté et la société, la responsabilité et la liberté individuelle, l’Afrique et les États-Unis. Après avoir interrogé les limites de la communauté et la responsabilité vis-à-vis d’elle, durant son expérience de trois ans dans le South Side de Chicago, le Kenya va s’avérer pour Barack Obama l’occasion d’affiner sa position au sujet de la communauté.

Barack Obama croit à la communauté, raison pour laquelle il a choisi le métier d’organisateur de communautés, métier qu’il vit comme une sorte de mission à fédérer la communauté noire assignée de l’extérieur, ghettoïser aussi bien identitairement que géographiquement dans une ville comme Chicago. Cette communauté doit exister, et pour exister, elle doit s’organiser, avec la difficulté, les limites et les résistances internes qu’implique l’organisation communautaire. La communauté offre une identité, une appartenance, mais elle peut aussi astreindre, endormir. Le tribalisme peut entrer en contradiction avec l’identité américaine faite des idéaux d’action et de liberté individuelle. Au-delà des deux couleurs qui se battent en lui, l’oppresseur et l’oppressé, et la nécessaire réconciliation aidée par la complexité de la mondialisation, il va parvenir à concilier ces deux facettes de son identité, solidarité et liberté. A Chicago, il réalise qu’il peut continuer à appartenir à la communauté tout en quittant le South Side pour le centre-ville. Au Kenya, il comprend qu’il doit aussi être un peu individualiste, que « tout le monde » n’est pas de la famille.

Réconcilier

Cette rencontre avec sa grande famille, avec cet autre lui, se révèle aussi une rencontre avec l’Histoire. Avec l’histoire complexe de ce père et ce grand-père, faite de compromissions, de bricolage avec le monde blanc et la modernité. Barack Obama est le maillon d’une histoire de lutte et de compromis. Il réalise qu’il ne pourra concilier toutes ces voies, toutes ces voix, sans réconcilier ses Pères avec leurs échecs. Il est l’héritier d’une lignée, héritier d’une histoire coloniale, continuité et maillon suivant, celui qui dépassera leurs destins en les acceptant, les intégrant au sien. Leurs échecs sont le fruit de l’histoire de la rencontre entre le monde blanc et le monde noir. Leur histoire et leurs défaites sont le fruit de l’histoire d’un monde mélangé d’abord sous la colonisation. Ils ont été le fruit de cette grande rencontre asymétrique. Mais cette Histoire est évolutive, comprend des étapes. Celles de ses aïeux préparent la route à Barack Obama, pas de plus dans l’Histoire. Fruit de la transmission d’une douleur et d’une lutte. Fruit mûr pour des victoires. Victoires qui impliquent l’action et l’acceptation de la colère pour la dépasser.

Développer un type de Foi

Barack Obama, qui voulait d’abord être totalement quelque chose, va progressivement concilier et faire converger ses deux faces pour devenir un homme complet. Parallèlement à son affirmation identitaire va naître en lui un type de foi, une foi qui ne tait pas les tensions, mais qui dit les blessures pour mieux avancer ensemble. Une foi en l’homme, quelle que soit sa race ou sa couleur. Une foi différente, « une foi née dans les épreuves, une foi qui n’était pas nouvelle, qui n’était ni noire ni blanche, ni chrétienne ni musulmane, mais qui battait dans le cœur du tout premier village africain et dans celui de la toute première terre acquise dans le Kansas : la foi dans les autres » (555). Une foi dans les autres qu’il va affirmer plus solidement encore sur les tombes de ses pères. Une foi qui avait justement manqué à ses pères pour se compléter, devenir des hommes complets. Une foi différente de l’innocence, acquise sur les épreuves, qu’il faut lutter pour conserver. Une foi qui fait ce pays qu’on appelle les États-Unis, où « tant que les questions continueront à être posées, ce qui nous unit finira un jour par prévaloir » (565-566).

Cette foi, il la construit en outre sur trois éléments : l’acceptation de la complexité des existences, la découverte que les hommes sont finalement tous pareils, et la nécessité d’accepter une part de mystère.

Complexité, contradictions et compromis avec le monde sont notre lot à tous. Ni son père, ni les membres des communautés du South Side, ni lui-même ne peuvent faire fi de l’hybridité intérieure, des compromis qui nous caractérisent indubitablement. Sur la terre ancestrale d’Alego, il prend conscience que la complexité de son existence va au-delà d’une quête d’harmonie avec ses races. Même une fois celle-ci réglée, son existence restera complexe : « ma vie n’était ni bien rangée ni statique, et même après ce voyage je resterais confronté à des choix difficiles. » (495).

Mondialité. Plus il étend sa géographie, plus le caractère hybride des êtres et des lieux s’impose à lui. Cette prise de conscience que les terres changent et se rejoignent, que les hommes finissent par se ressembler, que le monde est hybride et mondialisé, signe la fin d’une quête de racines pures. Au Kenya, il aura la révélation que l’Afrique intouchée, cette Afrique qu’ont besoin de mythifier les déracinés, est en fait un monde hybride. Que l’authentique appartient à l’Histoire. Le Kenya, comme l’Afrique c’est la réappropriation pas l’authenticité. Ou alors si authenticité africaine il y a, elle est métaphysique, pas matérielle. Elle reste mystère, insaisissable. En fait, il réalise que cette recherche de passé intact n’est pas l’apanage des Noirs américains en quête d’identité, de réponse et de reconnaissance, mais de tous les peuples. L’exercice s’avère juste plus compliqué pour les Africains  en raison de la fraîcheur des blessures et du fait que la colonisation ait brouillé leur vision du passé.

Les jeunes Africains vivent désormais dans un monde mélangé avec lequel ils jouent. Ils bricolent pour se fabriquer une identité qui soit authentiquement eux-mêmes. « Ma fille, elle n’a que faire des esprits de la nuit. Sa langue maternelle n’est pas le luo. Pas même le swahili. C’est l’anglais. Quand je l’entends parler avec ses copines, c’est du charabia pour moi. Elles prennent un peu de tout… de l’anglais, du swahili, de l’allemand, du luo. (…) Mais je commence à me résigner… il n’y a rien à faire. Les jeunes vivent dans un monde mélangé. C’est aussi bien, je suppose. Finalement, je préfère avoir une fille authentiquement elle-même plutôt qu’authentiquement africaine. » (559-563). Après que les Africains furent partis se chercher en Amérique et les Afro-Américains furent venus se chercher en Afrique, une nouvelle génération, mondiale, conjuguant l’Afrique, l’Amérique et bien plus, se construit avec des bouts de partout pour être rien de moins qu’elle-même. Résultat d’une Histoire de rencontres et d’interdépendance,  ils sont les enfants d’un seul monde.

Mystère. Sa foi s’accompagne enfin de l’acceptation d’une part de mystère, du renoncement à tout comprendre. C’est en acceptant cette part de mystère du monde qu’on est mieux en mesure d’accepter ses propres contradictions. La figure du baobab résume et clôt l’apprentissage identitaire de Barack Obama, synthétise la « réponse » de sa quête.  « Et c’était vrai. Chacun de ces arbres semblait posséder un caractère, ni bienveillant ni cruel mais simplement résistant, abritant des secrets d’une profondeur que je ne sonderais jamais, une sagesse que je ne percerais jamais à jour. Ils me perturbaient et me réconfortaient à la fois, ces arbres. Ils avaient l’air capables de se déraciner eux-mêmes pour partir tout bonnement ailleurs, n’eût été leur certitude que, sur cette terre, aucun lieu n’était vraiment différent des autres… la certitude que le présent portait en lui tout ce qui s’était passé avant » (564-565).

Dépasser

Étant parvenu à accepter son métissage, ne souffrant plus de ses identités multiples, car mu par la conviction que ces identités métisses sont le lot de la majorité des hommes, Barack Obama peut désormais, fort de cette croyance-là, affirmer à ses concitoyens que pour commencer à travailler au vivre ensemble, la première des honnêtetés consiste à reconnaître le caractère hybride de nos mondes. « Quand on ne me connaît pas bien, (…), et qu’on découvre mes origines (…), je vois la fraction de seconde d’adaptation, le regard qui cherche dans mes yeux quelque signe révélateur. Ils ne savent plus qui je suis. En secret, ils devinent mon trouble intérieur, je suppose… le sang mêlé, le cœur divisé, la tragédie du mulâtre pris entre deux mondes. Et quand je leur explique que, non, cette tragédie n’est pas la mienne, ou tout du moins pas la mienne seule, c’est la vôtre (…) et si pouvions au moins reconnaître cela, le cycle tragique commencerait à se rompre…» (19-20).

Du jeune Barack sans identité, au Barack Obama se débattant avec ses identités, au défenseur de la communauté, pour finir au terme de son séjour sur la terre des racines à réconcilier ses identités, il est désormais mûr pour incarner son destin, devenir le président non pas de la communauté noire, mais de toutes les communautés. Un président qui épouse l’Histoire, en est la synthèse. Le président d’un nouveau monde qui est à la fois tradition et modernité, un monde où les contradictions sont la norme, un monde pétri de complexités.

Incarner la formule Diversité-Unité à plus larges échelles

Après être parvenu à unir ses lui, voilà Barack Obama fin prêt pour tenter d’unir la nation, en appliquant sa formule « concilier – dépasser », à l’échelle des États-Unis. Il reprendra encore les mêmes ingrédients quand il s’agira d’apaiser les relations entre les États-Unis et le monde musulman. Cette « attitude métisse », attitude pragmatique, du compromis, post-raciale, on la retrouve dans ses grands discours, comme le discours de Philadelphie qui aborde la question raciale en Amérique, ou encore celui du Caire, dans lequel il tend la main au monde arabe pour un nouveau commencement. Dans les deux cas, il tentera de faire la démonstration que les communautés, intra-nationales ou nationales, en dépit de leurs différences, participent d’un même destin.

Cette rhétorique d’apaisement qui participe du style discursif d’Obama, reprend dans ces deux diatribes les mêmes ingrédients : incarner l’unité par son expérience personnelle, dire les tensions, en prendre acte pour les dépasser au nom d’aspirations communes, prendre acte de l’Histoire et de ses étapes, insister sur l’importance de la volonté commune de dépasser cette Histoire, revenir sur les idéaux communs. Ce chemin qu’il a fait à l’intérieur de lui-même, il l’érige en véritable méthode. Avec le style Obama, on assiste à un renversement du discours par rapport aux années Bush. Le discours du repli a fait place au discours de l’ouverture. Un discours qui s’inscrit dans une continuité, la poursuite d’un idéal, la volonté d’une Amérique renouvelée.

« A More Perfect Union »

Discours sur la question raciale aux États-Unis. Philadelphie, 18 mars 2008, Campagne d’investiture pour la présidence

En pleine campagne d’investiture, le thème de la race va faire son entrée lorsque le candidat Barack Obama doit répondre à une polémique sur des propos sur les Blancs tenus par son ancien pasteur. C’est l’occasion pour Barack Obama de prononcer un discours qualifié d’historique sur la race, sur l’unité dans la diversité, sur l’Histoire, discours sur un possible vivre ensemble qui rencontrera un immense écho, et dont la portée transcendera les frontières. On retrouve dans ce discours le résultat de cette longue réflexion, de cette quête intérieure exposée dans Les rêves de mon père.

Après avoir résolu l’équation d’être à la fois Blanc, Noir, et Américain, Barack Obama a le statut légitime pour contribuer à la réconciliation à travers un discours post-racial et pragmatique. Pour cela il dit deux choses : il faut reconnaître et dépasser les divisions, car la division n’est pas une option. Pour avancer, il faut avancer ensemble. Il dit aussi au peuple américain que bien souvent il se trompe de coupable, en accusant le concitoyen d’égal statut à l’accent ou à la carnation de peau différente. Les responsables de leurs malheurs sont davantage à chercher du côté des lobbys de Washington ou des firmes toute puissantes qui délocalisent pour le profit, contribuant à ce que leurs conditions d’existence les poussent à se repousser.

Le communautarisme doit être dépassé pour faire nation. Une nation de toutes des couleurs, mais dont les problèmes n’ont pas de couleurs. Une nation de communautés, dont la division, basée sur des tensions qu’il ne faut pas taire, conduit dans l’impasse. A la lumière de la lecture Des rêves de mon père, dans la bouche de Barack Obama, ces mots ne sont pas que simple rhétorique, ces mots ne sonnent pas creux, ces mots sont incarnés car ils sont l’aboutissement d’une longue réflexion, d’une colère dépassée, d’une profonde conviction que se diviser en perpétuant des schémas du passé constitue la mauvaise route. Il ne faut pas taire les colères, mais ne pas les laisser se faire récupérer à des fins de politiques malveillantes. Il faut regarder en face les gangrènes tout en prenant acte des évolutions, et s’appuyer sur ces progrès pour développer une foi du vivre ensemble. Multiculturalisme et nation ne sont pas incompatibles. Les communautés doivent se fédérer, prendre leur destin en mains, pour ensuite participer à quelque chose de plus grand qu’elles.

Éléments du discours de Philadelphie

  • Tout comme lui, la nation américaine est le fruit d’une Histoire. Il faut poursuivre la longue marche de ceux venus avant. Il est indispensable de prendre en compte le caractère évolutif et non immuable de la nation, prendre acte du passé et construire l’avenir. L’union ne sera jamais parfaite mais toujours perfectible. Cet espoir se voit confirmé par l’attitude d’ouverture de la génération suivante.
  • Les Américains ont des histoires différentes mais partagent un destin commun. Les défis ne peuvent être relevés qu’ensemble.
  • L’unité est un défi qui nécessite une foi en les autres. Une foi incarnée par sa propre histoire « Cette croyance vient de ma foi inébranlable dans la décence et la générosité du peuple américain. Mais elle vient aussi de ma propre histoire américaine. (…) une histoire qui a inscrit jusque dans mes gênes l’idée que cette nation est plus que la somme de ses composantes – qu’à partir de beaucoup nous formons vraiment un tout unique. »
  • Il exhorte à choisir la voie qui rassemble et non celle qui divise pour régler des problèmes qui transcendent les communautés « des problèmes qui ne sont ni noirs, ni blancs, ni latinos, ni asiatiques, mais plutôt des problèmes qui nous concernent tous.», des problèmes américains.
  • En acceptant ses propres contradictions, Barack Obama peut porter la complexité à l’échelle de la nation. Il ne renie ni le pasteur noir en colère, ni la grand-mère blanche qui tient parfois des propos racistes. Ne renier aucune de ses parts de lui revient à accepter toutes les parts de la nation.
  • Il ne faut pas éluder la question raciale, mais comprendre le passé et ses traces, tout en se concentrant sur le présent, sur le rôle de ceux qui creusent le chemin d’après.
  • Il est saint d’intégrer les tensions, de dire la colère, reconnaître que colère et peurs sont de toutes les couleurs, basées sur des peurs légitimes, mais contre-productives.
  • La nation se trouve face au choix de focaliser sur les divisions ou sur les points communs. Elle peut choisir de régler des tensions qui ne sont pas immuables. Des problèmes communs, très concrets nécessitent de reconnaître l’intérêt commun. L’ennemi du peuple n’est pas cet autre différent. Les communautés ne sont pas le problème. L’identité n’est pas un problème concret.

Ce discours est la démonstration qu’avant même son élection, Barack Obama a endossé la posture du rassemblement. Il veut incarner un monde nouveau, un monde qui n’oublie pas l’Histoire ni ne demande aux communautés de se renier, mais un monde qui prend acte des différences pour trouver ce qui unit. En cela, Barack Obama donne un ton, jette les bases d’une nouvelle rhétorique. Ce ton qui tend à forger la nouvelle nation va ensuite devoir trouver sa place dans la machine État-Nation.

« A New Beginning »

Discours du Caire, 4 juin 2009. Son appel au monde musulman

Parmi les critiques les plus virulentes sur le pré-bilan de Barack Obama, on trouve celles qui concernent l’échec de la mise en œuvre de l’opportunité d’améliorer les relations avec le Moyen-Orient, et la déception des espoirs immenses que le discours du Caire avait suscités. Sur le même mode que son discours sur la question raciale, le discours du Caire est un véritable appel à un nouveau départ. La formule qu’il avait défendue pour créer les conditions d’un meilleur avenir à l’intérieur de la nation, il veut la mettre en pratique à l’échelle des relations avec le monde musulman.

Son discours encourage à reconnaître les tensions historiques ou récentes entre les États-Unis et le monde musulman, à accepter le passé mais à le dépasser, ne pas en être prisonniers, afin de se concentrer sur les problématiques et défis communs, et trouver ce qui rassemble plutôt que ce qui divise : « nous tous partageons les mêmes aspirations : vivre en paix et en sécurité, bénéficier d’une éducation et travailler dans la dignité ; aimer notre famille, notre communauté et notre Dieu. Ce sont des choses que nous partageons. C’est l’espoir de toute l’humanité. » Dans un monde mondialisé et interdépendant, la division n’est plus une option, s’ils ne parviennent pas à régler les défis communs, ils seront tous affectés. « Compte tenu de notre interdépendance, tout ordre mondial qui élèverait une nation ou un groupe au-dessus des autres échouera inévitablement.» Il dit au monde musulman que son histoire personnelle est la preuve d’une fusion possible entre les deux mondes. Que l’islam fait partie intégrante de l’Amérique, et qu’ils doivent œuvrer ensemble à l’harmonie entre les différentes religions. Que si la mondialisation engendre des peurs, modernité et traditions ne sont pas forcément incompatibles. Il exhorte à choisir « la voie juste et non la voie facile », à développer une foi en l’autre. Enfin, il insiste sur le rôle de la jeunesse pour l’avenir.

Symbole d’un monde post-moderne, post-colonial et… post racial ?

En 2008, les Américains ont décidé de redonner un élan à cette Amérique capable de fédérer du rêve. A refaire confiance à l’Amérique dans sa capacité à se réinventer, à avancer, à proposer un nouveau projet de société, en phase avec l’époque post-. Barack Obama incarne ce nouvel élan. L’élection de Barack Obama a suscité un immense enthousiasme dans les milieux académiques et médiatiques, qui ont célébré en lui le symbole d’un futur monde post-racial et post-ethnique. Pour toute une nation, mais aussi pour le monde, ce jour d’élection de Barack Obama à la présidence des États-Unis a été qualifié de jour historique. L’espoir qu’il a suscité a déclenché une véritable liesse populaire. Son élection est un symbole de progrès et l’espoir d’une meilleure condition et d’un autre destin pour la population noire. Espoir et joie aussi au sein des autres minorités. Mais pas seulement. Plus généralement espoir pour tout un peuple ouvert au monde, cosmopolite, libéral, progressiste, un peuple fatigué du repli post-11 septembre, un peuple qui ne croyait plus lui-même aux promesses de l’Amérique. Enfin, au-delà de l’Amérique, espoir aussi pour tous les mondialisés de par le monde souffrant du repli du monde.

Représentant l’avenir, Barack Obama est présenté comme celui qui sera susceptible de guérir les blessures, faire le pont, la synthèse, réconcilier les Amériques, incarner l’Amérique multiculturelle et métissée. A la croisée des mondes d’hier et de demain, il se voit confier la tâche de dépasser à la fois l’État-Nation homogénéisant et les communautés repliées, pour devenir le président d’une Société de Communautés, d’une nation réinventée. Une nation constituées certes en partie de communautés, mais qui transcendent leurs appartenances particulières pour souscrire à un ordre plus grand.

Car Barack Obama ne sera pas le président d’une communauté, ou le représentant des minorités, même s’il a coché la case « Noir » lors du recensement de 2010. Si on se réfère à ses mémoires, récit du parcours d’un homme blanc et noir, puis noir, puis métis, il aurait été logique de cocher la case « Noir et Blanc » ou « autre ». Mais ce choix n’est pas antinomique. Né dans un temps où il a dû faire partie d’une communauté, il nous dit que l’appartenance communautaire et les racines ne sont pas contradictoires avec une aspiration plus large, avec l’union des différences. On peut donc très bien faire le choix de faire partie de la communauté noire, tout en adoptant une posture métisse. Le métissage n’est pas une question de couleur, le métissage est une attitude.

Identité hybride

Celui qu’on nomme le premier président afro-américain est donc un personnage hybride, à l’image de son parcours jusqu’à la tête de l’État. Un parcours entre les marges et les institutions. Ayant fréquenté les meilleures universités du pays, il possède les codes de l’institution. Elevé dans un environnement blanc et engagé activement au sein de la communauté noire de Chicago il possède les codes des deux mondes. Il revendique son parcours non pas comme un parcours contradictoire mais comme étant le fruit du progrès et de l’Histoire. Il nous montre qu’on peut être ceci et cela, qu’on peut décider d’être tout à la fois. Qu’on peut accepter sa colère et être dans l’action. Qu’on peut être noir et blanc, qu’on peut choisir d’être noir ou blanc, et d’être américain. Barack Obama c’est l’élite post-coloniale appadurienne au sein de l’appareil étatique huntigtonnien. Ni son parcours, ni son identité ne sont paradoxaux, tout est conciliable. Tout comme le fait que ce soit lui, Barack Obama, érigé en porte-parole de la communauté noire et au-delà des minorités, érigé en représentant de la diversité, qui va prendre les commandes de l’État, figure justement réputée pour être menacée par la multiplicité des minorités. Car Barack Obama ne se revendique pas comme le président des minorités mais bien comme le président de tous les Américains ; et s’il a acquis les outils de l’institution et est entré dans l’État c’est d’abord pour œuvrer à son changement. Il n’est le représentant ni d’un monde ni de l’autre. Les méandres de son parcours ne sont pas plus que ses méandres identitaires un manque de ligne claire, mais elles sont sens. Pour Barack Obama, les problèmes ne sont pas noirs, blancs, hispaniques, ils sont américains.

Sa position se révèle donc aussi complexe que son identité. Ainsi il peut donc réconcilier, dépasser ou décevoir en étant rien de tout cela mais aussi un peu de tout cela. D’ailleurs on ne sait pas comment il va gérer cette complexité lorsque, en 2009, c’est d’abord à un symbole et à une volonté qu’on remet le Prix Nobel de la Paix. Une volonté de paix qui commence à l’interne avec le grand défi de tenter la synthèse des communautés au sein de l’État, puis la conciliation des communautés avec l’État. Être un président post-racial, créer l’unité, faire la synthèse d’un peuple c’est aussi gérer le revers de cette volonté, à savoir adopter une position de funambuliste entre ceux qui pourraient l’accuser de favoriser une minorité, et ceux qui pourraient l’accuser de les négliger.

Compromis en héritage

En fait, comme le souligne Gregory Benedetti, Barack Obama s’inscrit dans la lignée de cette nouvelle génération d’hommes politiques afro-américains relativement jeunes et hautement qualifiés, ayant étudié dans les plus grandes universités du pays. Une génération dont les liens avec le mouvement des droits civiques sont ténus, et  qui a parfois éprouvé des difficultés à s’intégrer à la communauté afro-américaine traditionnelle, qui a dû les convaincre pour les rallier.

L’avènement de Barack Obama est l’aboutissement de plus d’un siècle de mobilisation politique noire qui passe par les années 1960, avec des hommes politiques venant du mouvement pour les droits civiques qui, puisant dans le discours religieux des pasteurs noirs, s’adressaient essentiellement à un électorat noir. Les années 1980-1990 marquent ensuite l’avènement d’une deuxième vague d’élus noirs, plus pragmatiques, adoptant une attitude de compromis et une stratégie de déracialisation du discours pour mettre l’accent sur des problématiques qui transcendent les races. Leur rhétorique post-raciale ne signifie pas qu’on vive désormais dans une société post-raciste, mais il s’agit d’une rhétorique qui parle « au-delà » des races. Leur complexité identitaire les place face au dilemme de plaire à la fois à un électorat dont les intérêts sont spécifiques tout en attirant la communauté blanche. Si leur posture « color-blind » est parfois critiquée, leur attitude post-raciale est pragmatique, accepte les contradictions comme le résultat d’une vision saine et réfléchie, et détourne les questions raciales sur des enjeux socio-économiques, des problématiques concrètes qui permettent de rassembler au-delà des races. S’ils peuvent donc sembler tourner le dos à leur électorat de base, les politiques économiques et sociales qu’ils prônent tendent à satisfaire un large électorat, y compris la communauté noire. Barack Obama est devenu un élément paradigmatique de cette vision post-raciale, libérée des tensions, de l’engagement et de la rhétorique afro-américaine traditionnelle.

(Source : « La nébuleuse post-raciale : l’avènement d’une nouvelle dialectique raciale dans la vie politique américaine ? »)

Réaction des nostalgiques

Si son avènement et son discours s’inscrivent dans l’histoire et l’évolution de la politique noire aux États-Unis, l’élan réactionnaire et le retour des conservateurs qui va suivre n’est lui non plus pas nouveau, et entre dans la circularité de l’histoire américaine. Le plébiscite de Barack Obama va réveiller les nostalgiques du monde de la racine. Certains d’entre eux vont se fédérer sous l’étiquette du mouvement populaire et populiste du Tea Party qui se renforcera parallèlement aux présidences d’Obama. Le profil type des sympathisants de ce mouvement sont des Blancs républicains de plus de 45 ans et défenseurs des valeurs les plus conservatrices. Des nostalgiques qui renversent la peur, substituant à celle du Noir ségrégué celle du Blanc futur minoritaire, perdant son identité et son pouvoir. Ils galvanisent les Blancs victimes de désindustrialisation et oubliés dans les marges. Ils luttent contre la réforme de l’assurance maladie, l’augmentation des taxes, un gouvernement qu’ils jugent trop interventionniste. Ils n’acceptent pas l’évolution identitaire de l’Amérique contemporaine. Ils veulent « Take back America », et prônent un retour vers une Amérique plus traditionnelle, et blanche. Ils re-politisent la question raciale et lancent de nombreuses attaques pour décrédibiliser Barack Obama, à l’image du très subtil Donald Trump. Ces attaques, Barack Obama les élude ou y répond avec humour. Leur virulence passéiste se heurte à son élégant pragmatisme.

Post-modernisme et nostalgie

La présidence de Barack Obama a donc cristallisé la lutte contemporaine entre le monde mobile et le monde de la racine. L’Amérique, à l’image du reste du monde, n’a jamais été aussi scindée que depuis l’avènement du représentant du monde post-moderne et post-ethnique. Il a donc contribué, par son discours post-, à diviser à ses dépens le pays entre cosmopolites progressistes et nostalgiques conservateurs. Par le mouvement qu’il a  insufflé, il a déclenché adhésion et fracture. Il a accepté toute sa complexité identitaire et chassé le discours identitaire du débat politique, mais ce pan de discours a été cristallisé par une certaine classe blanche qui a remis l’identité, celle de la nation, au cœur du débat. On ne s’attèle pas impunément au progrès de l’État-nation sans réveiller les bêtes. Au fond, ce que la présidence de Barack Obama a révélé, c’est que le monde, et pas seulement les États-Unis, était désormais coupé en deux. Entre partisans du monde mobile post-modernes et nostalgiques. Si ses mots signent les bases d’un nouvel ordre post-moderne, son avènement ne signe lui pas son affirmation.

Représentant du monde de la communauté aussi bien que celui de l’État, hybride et légitime dans deux mondes entre lesquels il a créé un pont pour désormais incarner une nouvelle idée de la nation, celle du 21ème siècle, Barack Obama n’aura certes, pris dans le jeu de la démocratie, pas par ses actes révolutionné la politique américaine, ni, pris dans la crise, éradiqué la paupérisation et la ségrégation spatiale de la fragile classe moyenne afro-américaine. Au-delà du romantisme du symbole et des discours, l’action politique de Barack Obama aura elle été marquée par le pragmatisme. Néanmoins, il aura ouvert la voie au monde postmoderne. Le jeu politique et la démocratie étant ce qu’ils sont, ils n’offrent pas les conditions à la mise en place de réformes révolutionnaires sur une ère de huit ans, mais ce qui compte c’est le message, c’est le climat d’apaisement qui fonde les bases d’une évolution, offre les assises pour l’étape suivante. Même si l’affaire Ferguson et ses suites ont démontré que le problème racial était encore bien vivace aux États-Unis (tensions dont la résurgence n’est pas étrangère à la réaction des conservateurs), la volonté n’est jamais vaine. Ce qui compte c’est d’ouvrir la porte, créer les conditions et le discours sur lesquels pourront rebondir et construire les générations d’après.

Obama et le Monde mobile

En tant que président désigné des minorités, par son entourage, son héritage, ses apprentissages, ses escales, il incarne le nomade aux multiples identités, à l’aise sur toutes les terres, et dans tous les milieux. Fort de ce profil de cosmopolite, Barack Obama était-il désigné pour avoir une position et une attitude pro monde mobile, en décalage avec le trend de repli mondial des dernières années ? Et si oui comment s’y prend-il pour renverser la tendance globale au repli ? Quels sont ses mots sur la diversité ou l’immigration ? Comment Barack Obama gère-t-il une politique comme celle de l’immigration ? A personnage hybride, politique du compromis ? Comment jongle-t-il entre ses convictions et l’État qu’il incarne ? Comment adopter une politique métissée sur le dossier explosif de l’immigration ? Après avoir appris à jongler avec ses identités, il doit désormais toujours comme un funambule jongler avec les complexités et les contradictions de sa position et de la machine politique. Il doit résoudre la difficile équation d’incarner la complexité et le pragmatisme, l’hybridité en politique. Bon disons-le franchement, Obama et le monde mobile, ce sont davantage des mots forts que des actes concrets.

Pour déterminer s’il y a à la fois une ligne politique et une continuité dans les mots, dans le discours, j’ai sélectionné quatre moments, l’occasion de quatre discours : « Le Changement  – Nous pouvons y croire », le livre programme du président élu de 2009, sa timide réforme du moratoire accordé au Dreamers en 2012, son discours d’investiture du 21 janvier 2013, enfin l’annonce de sa réforme de la politique d’immigration par décret du 21 novembre 2014, miroir de ses propositions de 2009.

  1. Le programme d’un nouveau président

Dans son projet pour l’Amérique, exposé dans son ouvrage de 2009 Le Changement  – Nous pouvons y croire, Barack Obama exprimait déjà sa volonté de réformer une politique migratoire faillie, et posait les bases de sa réforme, placée sous deux axes principaux : faire respecter les lois et les frontières tout en maintenant la tradition d’être un pays d’immigrants.

  1. Une timide mesure à la fin de son premier mandat

La mesure phare du décret de novembre 2014, soit l’accord d’une amnistie provisoire aux immigrants illégaux, n’est pas éloignée de son moratoire aux « Dreamers » de juin 2012, lui aussi prononcé par décret. En effet, en 2012, le président Obama avait déjà fait un pas pour ouvrir la voie à quelques plus de 800 000 jeunes vivant dans l’ombre aux États-Unis, en leur permettant non pas d’obtenir un statut légal permanent, mais de travailler légalement et d’obtenir certains documents officiels sans crainte d’expulsions. Cette mesure provisoire avait pour but de se diriger vers une politique d’immigration plus juste et plus efficiente. Barack Obama dira à propos de ces « Dreamers » : “They are Americans in their heart, in their minds, in every single way but one: on paper”.

  1. Réitérer l’urgence de réformer

« what binds this nation together is not the colors of our skin or the tenets of our faith or the origins of our names. What makes us exceptional – what makes us American – is our allegiance to an idea (…) that all men are created equal” (Discours d’investiture à la seconde présidence, 21 janvier 2013). Pour Barack Obama, ce qui fait la nation américaine, au-delà de sa diversité, c’est l’aspiration à un idéal d’égalité. Lors du discours d’investiture de son deuxième mandat, Barack Obama réitère la nécessité de réformer la politique d’immigration, en affirmant que ce défi d’égalité ne sera pas relevé tant que le peuple américain n’aura pas trouvé un moyen de réformer sa politique d’immigration.

Fin 2014. Une réforme par décret

Après maintes tentatives pour convaincre les Républicains et faire adopter la réforme sur l’immigration par la Chambre des Représentants, tentatives qui passent notamment par une politique hyper musclée vis-à-vis de l’immigration, avec un record d’expulsions sous sa présidence ; après des mesures de renforcement des frontières, après des discours en vain, Barack Obama décide le 21 novembre 2014, en dernier recours, de faire passer une version de la réforme de la politique migratoire par décret. Il doit prendre acte qu’une partie des Républicains semble pouvoir se passer du vote des minorités dans cette nation d’immigrants. Qu’une partie des Républicains semble vouloir croire en l’opposition davantage qu’en une politique pragmatique. Parmi les mesures phare annoncées, on trouve la régularisation provisoire de cinq millions d’immigrants illégaux. Au-delà des autres mesures, cette annonce est vue d’abord comme une volonté de mettre un terme à une situation de fait devenue absurde, avec la présence de millions de travailleurs présents depuis de longues années, participant à l’économie américaine tout en étant condamnés à rester perpétuellement en situation d’illégalité.

Discours sur l’Immigration, 21 novembre 2014

« We didn’t raise the Statue of Liberty with her back to the world, we did it with her light shining as a beacon to the world. And whether we were Irish or Italians or Germans crossing the Atlantic, or Japanese or Chinese crossing the Pacific; whether we crossed the Rio Grande or flew here from all over the world – generations of immigrants have made this country into what it is. It’s what makes us special.”

For more than 200 years, our tradition of welcoming immigrants from around the world has given us a tremendous advantage over other nations. It’s kept us youthful, dynamic, and entrepreneurial. It has shaped our character as a people with limitless possibilities. People not trapped by our past, but able to remake ourselves as we choose.”

Our history and the facts show that immigrants are a net plus for our economy and our society.”

My fellow Americans, we are and always will be a nation of immigrants. We were strangers once, too.

Encore une fois, ses mots mettent en avant la tradition migratoire des États-Unis. Mais pour convaincre les citoyens américains, il va utiliser dans son discours une pirouette très habile, en procédant à un renversement de la logique. Il leur dit que s’il faut régulariser une partie des immigrants illégaux, ce n’est pas par humanisme, mais pour que ces travailleurs paient leurs taxes, tout comme eux. Et pour que leur illégalité ne puisse plus être instrumentalisée politiquement pour diviser le pays. Il précise que cette régularisation n’est en aucun cas un don de citoyenneté, mais une voie vers la citoyenneté, provisoire, et sous conditions. Pour appuyer une autre de ses mesures qui concerne les étudiants, il affirme que  former des cerveaux avant de les renvoyer pour qu’ils aient enrichir des nations concurrentes est contre-productif. Avec cet argument, il surfe sur la vague très en vogue du patriotisme économique.

Pour asseoir sa crédibilité et faire adhérer à sa réforme, il peut s’appuyer sur les résultats concrets des efforts fournis : le renforcement des frontières a entraîné une diminution substantielle de l’entrée d’immigrants illégaux. Le nombre de sans-papiers mexicains a par exemple diminué de 500.000 entre 2009 et 2012. Ceci est dû à la politique d’expulsion, mais également à la croissance économique au sud du Rio Grande. Preuve que les réseaux migratoires suivent toujours les trends économiques.

Voici quelques-unes des mesures de la réforme, qu’on trouvait déjà dans son programme de 2009 : poursuivre le renforcement du contrôle des frontières, sévir contre les employeurs qui engagent des immigrants illégaux, exiger des travailleurs qu’ils soient en règle avec la loi, créer une voie vers l’obtention de la citoyenneté. Pour ceux qui vivent sur le territoire depuis plus de 5 ans, et sont parents de citoyens ou de résidents américains, il propose de leur faire passer un contrôle de sécurité, de payer une amende, ainsi que de commencer à payer des impôts, contre une suspension d’expulsion de 3 ans. Afin d’obtenir la citoyenneté, le migrant devra en outre apprendre l’anglais. A travers ces mesures, Barack Obama entend rationnaliser le système d’immigration afin de booster l’économie et récompenser ceux qui jouent le jeu et travaillent dur. J’ai lu que près de six Américains sur dix soutiennent l’idée d’un chemin vers la citoyenneté pour les sans-papiers, et une majorité d’entre eux déclarent leur soutien quand on leur détaille la loi votée l’an dernier par le Sénat.

Par ses mots et par ses mesures, Barack Obama incarne à la fois la force de l’État, et s’érige dans le même temps en défenseur du Monde mobile. Il veut sortir de l’hypocrisie entre une économie qui emploie et une politique qui crée des clandestins. Doit réconcilier flux et frontières, économie et politique. Il doit incarner à la fois la frontière, les taxes et l’identité, tout autant que la tradition d’accueil du mythe américain et l’économie mondialisée. Rationnaliser le système d’immigration, c’est trouver un compromis entre la frontière et la croissance. Maintenant, reste à voir l’avenir tout fragile de ce décret…