Avril 2015

23

Londres. Final Stop

1Londres. Résultat des siècles de voyages d’une nation d’explorateurs commerçants. « Final destination » d’une aventure qui débuta avec les premiers échanges commerciaux pour aboutir à la phase de globalisation actuelle. Aujourd’hui, les destins liés de la Grande-Bretagne et de ses anciennes colonies, conjugués à sa place dans la mondialisation contemporaine et à sa force d’attraction sur les ressortissants européens, font de Londres un des épicentres du globe. Pendant des siècles, les Anglais se sont disséminés sur toute la surface du monde et l’ont hybridé. Désormais, le monde se donne rendez-vous dans cette ambassade du Commowealth où colonisateur et colonisés se sont rejoints. Si traditionnellement, les immigrants à Londres étaient issus principalement des anciennes colonies britanniques, l’aire d’attraction de la Ville-Monde s’est largement étendue. Inde, Pakistan, Bangladesh, Antilles, Jamaïque, France, Pologne, Lituanie, Lettonie, Tchéquie, Slovaquie, Balkans, Moyen-Orient, Afrique de l’Est et Asie du Sud y sont les principaux foyers culturels représentés.

Bien plus qu’une invitation à découvrir de nouveaux horizons, on peut voyager inlassablement dans cette Ville-Monde sans jamais avoir besoin de la quitter. Au point que la multiculturalité fait aujourd’hui partie intégrante de l’ident4ité de cette cité où l’on parle plus de 300 langues et où sont représentées les cultures et la gastronomie du monde entier. Cependant, si les siècles d’Histoire et d’échanges économiques ont appris aux mondes à commercer ensemble, ils ne leur ont pas forcément appris ou donner les clés du Vivre ensemble. L’étape suivante de cette longue histoire commune, la dernière à priori, consistera donc à partager un même espace tout en étant à débarrassés des rapports de pouvoir hérités et en parvenant à créer une certaine unité. Le défi que Londres devra relever est celui d’une cohabitation tout autant post-coloniale que post-multiculturelle. Les résidents de Londres devront apprendre à faire Société à travers une cohabitation banalisée. La mosaïque devra apprendre à faire cohésion. Car le modèle multi-culturel britannique semble désormais davantage prompt à diviser qu’à aboutir à l’égalité. Il est temps de le dépasser.  

Ken Livingstone, Maire de Londres de 2000 à 2008, semble l’avoir bien compris, comme l’illustre ce discours de 2004, dans lequel il souligne la nécessité d’utiliser la diversité ethnique londonienne comme un atout économique. « « Plus de langues et de cultures sont présentes à Londres que dans n’importe quelle autre ville du monde. Cette diversité constitue une des plus grandes forces de Londres, et explique son rang de ville globale au sens le plus précis, et il faut qu’on le soutienne et qu’on l’exploite. » (GLA, 2004 :70) » (« Greater London : cosmopolis ou cité des communautés », 349). Le nouveau parti pris vise non plus simplement à célébrer la diversité culturelle mais à faire contribuer cette diversité au développement économique de la capitale. Une vision plus pragmatique qui en utilisant les valeurs libérales comme ciment des diverses communautés, doit permettre de dépasser le multiculturalisme londonien. Un modèle d’appartenance à la new yorkaise en somme. Avoir une Reine en partage ne suffit plus. Il faut désormais encourager « les individus à développer un système de principes communs qui primerait sur les principes singuliers des différentes cultures et conduirait au développement d’un sens modernisé de l’identité britannique. » (« Greater London : cosmopolis ou cité des communautés », 349).

En route pour la Mosaïque londonienne

J’arrive gentiment au terme de mon tour échantillon des Villes-Monde que je voulais explorer, et réalise soudain qu’au fur et à mesure du bouclage de ce mini tour des Villes-Monde, j’ai aussi bientôt fait le tour des saisons. Ainsi, après avoir chassé l’automne Central Park, me voilà en train de humer le printemps à Hyde Park.

J’ai toujours eu un rapport sentimental à Londres. Après tout, c’est la ville dans laquelle j’ai fait l’apprentissage de la langue de la mondialisation. Je résidai alors plusieurs mois durant à Woolwich, un quartier multi-ethnique et très populaire du Sud-Est londonien devenu tristement célèbre en 2013, lorsqu’un soldat y trouva la mort sous les coups de couteau de deux terroristes. En fait, je me souviens qu’en 2003 déjà, alors en pleine guerre d’Irak, des menaces d’attentats pesaient sur la capitale londonienne, où une certaine tension était palpable. Pour revenir à Woolwich, je me souviens d’un quartier très métissé, qui abritait de nombreux logements sociaux, et fourmillait de magasins où tout se vendait à un 1 £. Le quartier n’était pas dénué de tensions et la jeune femme chez qui je résidais me mettait souvent en garde contre sa potentielle dangerosité. Cependant, personne ne s’est jamais montré agressif envers moi. Ce que j’ai ressenti c’est une sorte de solidarité socio-économique implicite, qui dit que si tu habites le quartier, c’est que quelque part tu dois te débattre avec le même genre de difficultés. J’ai donc connu cette Londres-là. Mais avant, après, pendant, j’ai aussi goûté la Londres touristique, la Londres monumentale, la Londres des parcs et des musées.

Cette fois-ci j’ai décidé de la redécouvrir encore autrement. Alors oubliez Camden Town, Buckingham Palace, Tower Bridge, Southwark ou Covent Garden. Direction Brixton, Dalston, Brick Lane ou Southall. Direction un tour du monde des anciennes colonies. Sous-continent indien (quartier bengalais de Brick Lane, indien de Southall), Caraïbes (quartier antillais de Brixton), ou Afrique de l’Est (quartier africain de Dalston). Direction un échantillon de quartiers ethniques londoniens. Si Londres est la ville multiculturelle par excellence, Londres est aussi une ville de quartiers aux identités fortement marquées. Les quartiers ethniques ne dérogent ainsi pas à cette logique spatiale.

On rayonnera depuis Queensway, le Grand Bazar londonien situé entre Kensington Gardens et Nothing Hill. Mon logement ? Le London Latvian Center, autrement dit le Centre communautaire letton de Londres. Quelle ville étonnante… Quant au but de nos explorations, il reste toujours le même. Prendre le pouls de l’hybridité, de la gentrification, déchiffrer le paysage palimpseste, explorer la multiculturalité dans les territoires et comprendre la société dans les espaces communs. Déterminer si les quartiers ethniques londoniens peuvent entrer dans la typologie établie jusqu’ici, ou encore si les tendances observées dans les autres Villes-Monde s’observent également ici.

Ce que je pressens déjà c’est qu’à l’image des autres Villes-Mondes traversées, Londres ne devrait pas échapper à la Glocalité, qui consiste à arranger des tendances globales à la sauce locale. Je me dis que je découvrirai certainement aussi des similarités entre Londres et Paris, toutes deux anciennes puissances coloniales, toutes deux capitales de l’État-Nation. Cependant l’analogie s’arrête là, leurs modèles de cohabitations étant aux antipodes sur le papier. D’un côté on a le républicanisme français, de l’autre le multiculturalisme anglais. Ces différents chemins marquent-ils différemment l’espace ? La société ? Les cités françaises à priori uniformes, à priori égalitaires, ne sont-elles pas devenues l’équivalent de certains quartiers ghettos londoniens ? L’espace ne nous dit-il pas que la société française n’est pas moins une et indivisible que la société multiculturelle britannique ?

Affaire à suivre donc… Mais avant de se mettre en route, j’aimerais vous présenter une carte qui permet de se faire une petite idée du découpage en territoires culturels de l’espace du Grand Londres.

7Source : Atlas géopolitique du Royaume-Uni, M. Bailoni, D. Papin, cartographie E. Dumas, Autrement, 2009.

Sur cette carte, on voit que par exemple les Bangladeshis se concentrent à Brick Lane, les Coréens à New Malden ou encore les Français à South Kensington. Le Dictionnaire des migrations internationales fait lui état encore d’autres regroupements dans le Grand Londres. « Une sorte de “balkanisation” divise le Grand Londres en mosaïque ethnique : les Irlandais se regroupent de préférence à Brent, les Chinois à Westminster, les noirs de Caraïbes à Lambeth, les Africains à Southwark, les Pakistanais à Waltham Forest, les Bangladais à Tower Hamlets, auxquels il faut ajouter les espaces investis depuis 2004 par les Polonais, les Lituaniens et autres Européens de l’Est. » (Dictionnaire des migrations internationales, 2015, 90)

Cette mosaïque de territoires n’est pas que le reflet d’un multiculturalisme qui encourage le maintien des particularités culturelles, mais il reflète également la ségrégation spatiale à l’œuvre sur le territoire londonien. Londres la tolérante ne serait-elle pas un exemple d’égalité des chances ?

Ces quartiers ne relèvent évidemment pas d’un modèle homogène. Ils renferment différents degrés de mixité socio-économiques et ethniques. Quartiers périphériques ou centraux, allant de quartiers populaires où une ethnie est majoritaire à quartiers multi-ethniques, à quartiers populaires gentrifiés et branchés, ou centraux et touristiques.

Échos d’errances

South Kensington « Froggy Valley »

8 9 10 11

Souvent appelé “Froggy Valley”, le quartier de South Kensington concentre une partie des « Grenouilles de Londres », à savoir de la communauté française expatriée. Environ 300’000 Français vivent à Londres, considérée comme la cinquième ville de France. Les Français de Londres ont même leur propre chaîne de radio, French Radio London.

Le quartier de South Kensington est situé dans le centre dans une zone huppée et chic, entre Chelsea et Brompton, non loin du quartier des ambassades, du Victoria & Albert Museum et du Natural History Museum, à proximité également de Kensington Gardens et Hyde Park. Bref, on est très loin d’un quartier populaire.

A South Kensington se trouvent entre autres le Consulat de France (Cromwell Road), l’Institut français (Queensberry Place), le Lycée Charles de Gaulle (Cromwell Road), mais aussi des fromageries, librairies, caves, cafés, boulangeries sur Montpelier Street ou Bute Street. On trouve également des traces de la présence française sur Harrington Road, Thurloe Square ou Old Brompton. On ne peut évidemment pas parler d’une homogénéité française dans le quartier, mais c’est vrai qu’autour de Bute Street ou de l’Institut français, la langue de Molière s’entend at every corner and in every café.

La présence française à Londres s’est accentuée ces dernières années, mettant en lumière le phénomène de l’émigration grandissante des Français et la hiérarchie des mouvements à l’intérieur de l’espace communautaire européen. Ainsi les migrants massés à Calais dans l’espoir de rejoindre la Grande-Bretagne voient passer en Eurostar les ressortissants français eux aussi en partance pour « l’eldorado britannique ».  Et le boom de la présence française dans des quartiers comme South Kensington nous raconte l’histoire de ces Français lassés de la morosité de leur mère-patrie et qui viennent rechercher un moral entrepreneurial à Londres. Même si parmi les Français las de la pesanteur de leur pays, tous ne choisissent pas la voie de l’expatriation. Certains partent pour offrir autre chose à leurs enfants, d’autres restent parce qu’ils ne voudraient pas avoir à dire plus tard à ces mêmes enfants qu’ils ont fui la France. Quoiqu’il en soit, ce phénomène d’exil français outre-Manche a pris suffisamment d’ampleur pour être récemment illustré par la pièce L’Appel de Londres. Le pitch ? Un trio d’expatriés français (pour des raisons sentimentales, fiscales, morales) se retrouvent chez Marianne, qui tient un restaurant français à Londres, un soir de 14 juillet. Quant aux agences de relocation, elles surfent sur la vague et contribuent à diriger le flot de migrants à South Kensington, y accentuant la présence française, et permettant ainsi aux expatriés de conserver un peu de leur mode de vie et de se fréquenter. Même si au vu du coût de l’immobilier dans le quartier, ce dernier devient désormais difficilement accessible.

Ce « Parisian style coffee house » devient une “Pizzetta” pour laquelle an “Italian waiter is r12equired”. Simple cas isolé ou signe d’un essouflement entrepreunarial français dans le quartier ?

 

 

 

Southall, “Little India”

13 17 18

Le quartier de Southall est un quartier périphérique situé à l’Ouest du Grand Londres, non loin de l’aéroport d’Heathrow. Appelée “Little India”, Southall présente une composition démographique assez homogène, abritant une large population originaire d’Inde et d’Asie du Sud. On y trouve des dizaines de restaurants, commerces et centres commerciaux « indiens ». Sur Havelock Road, on trouve aussi Sri Guru Singh Sabha Gurdwara, un des plus grands temples Sikh en-dehors de l’Inde (un Gurdwara est le lieu de culte des Sikhs). C’est ici que fut également tourné le célèbre film, Bend It Like Beckham (Joue-là comme Beckham), sorti en 2002.

Le centre de Southall s’est développé à proximité de la gare, et l’animation et les activités se concentrent majoritairement sur deux avenues, South Road et Southall Broadway, l’avenue commerçante principale. C’est donc après une petite heure de trajet que me voilà emportée dans le flot de la très dense Broadway, longue

f2df9c258f88872ae6b4a04fc8ff121a article-2049676-0056AE5200000258-795_964x607

(Sources : http://www.sunriseradio.com/#sthash.T57vtDOM.dpbs ; http://www.dailymail.co.uk/news/article-2049676/Welcome-Slums-Southall-How-unscrupulous-landlords-illegally-built-squalid-homes-immigrants.html)

avenue sur laquelle on trouve un grand nombre de bazars, de fashion centers, de restaurants, cafés ou encore take away aux spécialités du sous-continent, mais aussi des sweets shops, des chariots de sweet corns, des étals de bijoux et de saris à foison, une large offre de soins esthétiques ou ayurvédiques, des bureaux de banques, des enseignes de téléphonie, des centres de remises d’argent, des supermarchés et autres magasins d’alimentation, des lieux de culte. Les enseignes expriment une provenance de tout le sous-continent, voire au-delà, mais majoritairement indienne. On trouve également quelques restaurants indiens hybrides, modernes ou touristiques, comme le Spice Village, au bout de l’avenue, qui propose un mixe de spécialités de différentes régions, indiennes, pakistanaises, punjabis, afghanes. Le serveur me présente le quartier comme une « very asian place » dans lequel il apprécie vivre « so so ». Sur la porte de nombreux restaurants, il est affiché « Strickly no alcohol ». Sur South Road, on trouve également une enseigne de la chaîne végétarienne globale Saravanaa Bhavan, une « Gateway to the flavors of India », présente notamment à Singapour ou à New York. Au niveau socio-économique, le quartier pourrait entrer dans la catégorie classe moyenne inférieure – classe moyenne. Au niveau démographique, je croise des gens de tous âges, beaucoup de familles, très peu d’Anglais caucasiens, beaucoup de Sikhs.

Southall est le premier véritable Little India que je visite en Occident. Je ne doute pas qu’il y ait des immigrés originaires du sous-continent indien qui continuent à s’installer dans le quartier, mais ce qui transparaît surtout à Southall c’est un côté indianité parfaitement ancrée. Une communauté qui semble être installée ici depuis longtemps. Le décor indien du lieu n’entre pas du tout en contradiction avec le sentiment d’indianité anglaise, ancrée, sédimentée dans l’ADN de la nation. J’ai un peu de mal à exprimer mon sentiment sans que ça paraisse paradoxal, mais je vais tenter. Le lieu tant par sa scénographie, ses commerces ou sa composition ethnique, fait référence à l’Inde. Maintenant, c’est comme si c’était l’Inde, mais l’Inde anglaise ou l’Angleterre indienne. En gros on se trouve dans une Inde importée et revisitée. Une britishness qui n’est pas contradictoire avec le caractère somme toute assez peu hybride de la nature des commerces (en-dehors de la présence de quelques chaînes de restaurations rapides, de banques ou encore d’un 99 pences store, les commerces sont majoritairement de culture indienne). Non, c’est quelque chose dans l’âme, le rythme. On se trouve à Southall non pas chez des Indiens, mais dans le territoire des British Indians.

Southall ne peut être comparée avec aucune Little India visitée jusqu’ici. On ne se trouve pas sur le petit carré de Jackson Heights dans le Queens, plus récent. Southall n’est pas un carré mais un quartier, pas constitué de nouveaux arrivés pour la majorité, mais d’Anglo-britanniques installés. Southall ne peut pas être comparé non plus avec l’endormie Gerard Bazar, ni la feutrée Little India parisienne, ou la ravitailleuse Little India de Lexington, ni encore avec l’explosive Little India de Singapour, dans laquelle une large population d’hommes de passage se détachent visiblement de la communauté ancrée et donne un côté très vibrant au quartier.

14 15 16

Pour le côté quartier ancrage d’une ancienne population colonisée, Southall pourrait se rapprocher davantage de Belleville, sans le côté multiethnique, Southall regroupant des populations appartenant à la même aire culturelle.

A Southall, j’ai pu remarquer diverses affiches pour des spectacles, concerts, émissions de télé ou campagnes politiques ethnoculturellement indiennes. En gros, Southall est le résultat et une illustration de décennies de multiculturalisme britannique. Sunrise Radio, la chaîne de radio locale, a fêté ses 25 ans, et a eu droit à cette occasion à un message adressé par le Premier Ministre David Cameron « This station was a real pioneer of his time, the very first independent radio station dedicate specifically for British Asian community. And I know the station played a really important role in helping British Asians to get all their lives here, whilst maintaining a real connection to their roots, their traditions and their heritage.” Le rôle joué par cette radio communautaire peut être compris comme une métaphore du rôle du quartier, à savoir constituer pour les Indiens britanniques un pont entre l’Angleterre et leurs racines. (http://www.sunriseradio.com/#sthash.VzfjGF4F.dpbs)

Pour résumer, à Southall on perçoit une hybridité identitaire dans les attitudes de sa grande population British Indians, hybridité qui tranche avec le style de consommation, hybride dans le style mais pas dans sa nature ethnique, ainsi qu’avec la composition des origines. Ceci étant sûrement dû au fait que ces rues constituent une centralité commerciale intra-communautaire, à l’image de Gerard Bazar à Toronto. Centralité du reste pas uniquement commerciale, Southall abritant les lieux de culte, mais aussi le siège de la radio, et le centre de l’activité culturelle communautaire. Southall remplit également une fonction résidentielle pour la communauté. Aujourd’hui encore, de nombreux migrants en provenance d’Asie du Sud viennent s’y installer. Récemment, un phénomène a été mis en lumière, à savoir que de nombreux propriétaires du quartier construisent des cabanes dans leur cour intérieure qu’ils louent à des immigrants illégaux. Centralité communautaire mais ex-centralité géographique, Southall ne m’est pas apparue comme une destination « touristique ». Je n’ai pas constaté non plus de trace de gentrification à Southall, épargné peut-être par sa non accessibilité via le métro.

Edgware Road

19 20 21 22 23 24

Quartier arabe de Londres, Edgware Road débute à la jonction des extrémités nord-est de Hyde Park et ouest d’Oxford Street, deux « espaces » par excellence, dans lesquels les communautés se mélangent et font société. De par sa centralité, sa proximité avec la gare de Paddington, s’il concentre un large éventail de commerces moyen orientaux, son aspect boulevard passant, circulant et jouxtant des quartiers chics ne peut le rapprocher du quartier parisien de Barbès par exemple. Très hybride à la fois dans sa composition commerciale, tant par la nature et les régions d’origine de ses commerces, que par ses passants. Edgware Road, où les noms des commerces sont traduits en arabe, concentre nombre de restaurants libanais, des bars à chichas, des restaurants syriens, une banque islamique, un centre culturel arabe, des bureaux de change et autres Money transfer.

Pour vous donner un meilleur aperçu du quartier, je vous propose un extrait du roman L’invention de nos vies, qui offre une description bien plus poétique que je ne suis capable de le faire. « Ils aimaient ces artères bruyantes où se pressait une foule bigarrée : touristes perdus, plan à la main, vendeurs de kebabs brûlants servis dans du papier journal, couturières en tenue traditionnelle qui agitaient des foulards brodés qu’elles cédaient pour trois fois rien, restaurateurs libanais, syriens, iraniens, marocains, tunisiens, algériens qui promettaient plats chauds et chichas, caissières qui se hâtaient pour reprendre leur place dans ces petites échoppes qui proposaient à bas prix des aliments directement importés d’Orient : énormes boîtes de thon à l’huile, olives concassées, citrons confits, sésame en grains, en pâte, en barres, viande halal, halva importé de Syrie, graines de couscous, boîtes de filaments safranés, épices multicolores dont les effluves flottaient, répandant un parfum âcre, tenace, qui imprégnait l’atmosphère et les vêtements, jus de fruits exotiques, dattes grosses comme trois doigts, fondantes et sucrées – les plus chères, celles que l’on achetait que pour les grandes occasions -, abricots secs et pruneaux dénoyautés que les clientes emportaient par paquets et dont elles farcissaient les viandes, pistaches, amandes fraîches ou salées, et même des pierres noires grattées dans les montagnes de l’Atlas dont la combustion protégeait du mauvais œil et éloignait les esprits. Nawel ne se lassait pas d’entrer et sortir pour se procurer ces produits qui lui rappelaient son enfance ou simplement discuter avec d’autres clientes, des immigrées, comme elle, nostalgiques et hermétiques à la mixité.» (L’invention de nos vies, Karine Tuil, 2013, pp. 55-56)

Le quartier arabe d’Edgware Road peut-il résumer les communautés musulmanes de Londres ? Certainement pas. Comprendre la Ville-Monde nécessite une certaine connaissance du monde. A l’inverse la Ville-Monde peut nous donner l’occasion d’une session de rattrapage géographique. Ainsi si les Chinatown et les Little India de New York ou Toronto mettent en évidence la grande diversité de la Chine ou de l’Inde, Londres s’est présentée comme une bonne occasion de saisir un peu la complexité du monde musulman. A Londres, les populations musulmanes composent un melting pot venant des quatre coins du monde, et sont souvent très éloignées culturellement. Pakistanais, Bengladeshis, Indiens, Africains, Maghrébins, Turcs, Indonésiens, Malaisiens, Iraniens, Libanais, Saoudiens, Irakiens, Syriens, Afghans. Ces populations incarnent différents courants de l’islam, pratiqués par différentes générations de Britanniques ou d’immigrés issus de différentes vagues migratoires. Quel point commun entre une chiite iranienne vivant à Londres depuis trente ans, une réfugiée syrienne, une immigrée économique indonésienne, une Wahhabite en niqab qui nous évoque l’espace public saoudien, ou une jeune britannique musulmane qui a trouvé son identité dans la conjonction de la nation et la religion ?

En ce qui concerne la jeunesse londonienne de culture musulmane, le hijab paraît remplir le rôle d’un accessoire de mode à connotation identitaire. Les jeunes filles hyper féminines, modernes et adeptes des réseaux sociaux qui travaillent chez Top Shop, ou les femmes en hijabs aux terrasses des bars à chichas ou des pubs, semblent avoir trouvé un bon compromis entre religion et modernité. Je serais incapable de dire si pour les musulmans londoniens la Oumma a supplanté l’identité nationale britannique, mais je reste persuadée que les deux appartenances peuvent être conciliées, dans cette ville où la nationalité ne définit pas la religion. L’essentiel ? Avoir le goût du mélange, de l’Autre.

Dalston

Situé au nord-est de la ville, Dalston est considéré comme un des centres de la communauté africaine de Londres. L’activité commerciale et culturelle longe l’avenue Kingsland, et l’épicentre en est le marché de Ridley Road, situé en face de la station de train. Plus loin sur Kingsland Road, Dalston se transforme en quartier turc, avec mosquées, hammams et restaurants turcs. Mais le métissage du quartier ne s’arrête pas là. A en croire les blogs et autres articles de presse, Dalston a totalement explosé ces dernières années, devenant le quartier « le plus cool du monde ». L’appropriation partielle du quartier par une jeunesse bobo-branchée, Hipsters et fêtards, a contribué à sa gentrification. Ces derniers ont depuis jeté leur dévolu sur d’autres horizons, mais leur implantation a donné un visage étonnant au quartier. La composition nouvelle de Dalston correspond donc au phénomène majeur observé durant ces errances en Villes-Monde, à savoir la mutation des quartiers populaires Est des Villes-Monde. Cependant, on pourrait dire que Dalston correspond à une gentrification de phase deux, à savoir au stade de l’apport positif et non celle de l’irréversible colonisation.

Le quartier présente donc un mélange de communautés africaines, caribéennes, turques, hipsters, cockneys. Certains espaces sont partagés, d’autres plus exclusifs. La gare partage l’avenue principale en deux. En face de la gare se trouve le marché, et à droite de celui-ci un centre commercial. La partie de l’avenue à droite depuis la gare constitue la partie afro jusqu’à Dalston Junction, la partie à gauche se partage entre avenue turque et hipster, dont les points d’ancrage sont principalement concentrés autour du Rio Cinema.

30

Le métro fourmillant de hipsters, je ne pouvais guère me tromper d’arrêt. A l’aise dans le quartier, je me suis attardée au très sympathique marché de Ridley Road, peut-être un de ceux que j’ai préférés jusqu’ici. Il est composé de stands placés devant des commerces permanents, qu’on aperçoit en arrière-plan. Stands de produits africains, caribéens, turcs, asiatiques.

32 35

Bouchers, poissonniers, tissus colorés, fruits et légumes bon marché, bijoux ethniques, ça et là le son du reggae. Cet ancien centre communautaire juif est aujourd’hui le reflet de la mixité du quartier. On ne croise cependant pas beaucoup de hipsters dans le marché.

31 33

Sur Kinglsand on trouve de nombreux magasins de beauté afro.

34 24

Plus loin, à côté des restaurants turcs, on trouve désormais des Organic Cafés et autres Art Cafés, qui proposent tartes sans gluten et jus de fruits frais pressés.

26 27 29 28 25

J’ai pu entendre lors d’une conférence sur la « diaspora africaine » ou de la bouche de politiciens ou de chercheurs le déficit d’organisation communautaire de cette diaspora. Au vu de la mixité de Dalston, il semblerait qu’il représente moins une tare qu’un atout pour réaliser la Cosmopolis.

Chinatown via Oxford Street, Soho, Theatre District, Picadilly

 37 40 39 38 36

Cusine pan-indienne, africaine, libanaise, espagnole, suisse. La Diversité dans l’écrin chic-branché de Soho

Petit détour dans le Chinatown londonien, situé dans le quartier le plus touristique de la cité, à proximité de Leicester square. Densité du centre touristique oppressante. Le monde uni dans la consommation. Le monde uni dans la célébration de la mondialisation. Chinatown quant à lui propose toute la panoplie. Panda en goguette, Dims Sums et Bubble Tea. Au niveau de la typologie du quartier, Chinatown London et Little Italy New York City peuvent se rapprocher, aussi ne vais-je pas m’attarder. Même si l’analogie doit se faire toutes proportions gardées, car à Chinatown, passé la rue touristique principale, on peut trouver des rues avec plus « d’authenticité ».

41 42 43 44 45 46

Brixton

Brixton est connu pour être le quartier caribéen de la cité, où se sont installés les arrivants des anciennes Antilles britanniques et leurs descendants. Mais en pénétrant dans le marché couvert, les nombreux drapeaux qui flottent dans la verrière annoncent la couleur : le quartier est très mélangé.

47

Brixton est situé au sud de Londres, au dernier arrêt de la Victoria Line. Ça ne s’invente pas… La musique qui nous accueille à la sortie de la station confirme la place de cette dernière dans l’identité du quartier. Avec elle, je suis emportée dans un labyrinthe disposé en carré ou peut-être en rond autour et sous les voies du métro, entremêlant le Market Row, le marché couvert, divisé en deux, ainsi que le bouillonnant et éclectique marché en plein air d’Electric Avenue, et celui d’Atlantic Avenue, qui propose entre autres un Flea Market. De chaque côté de ces dédales de marchés vibrants, deux grandes artères uniformisées.

De toute l’agglomération, on se presse à Brixton pour s’approvisionner en produits des Caraïbes ou déguster des plats jamaïquains. Dans les arcades couvertes cependant, parmi la multitude de restaurants, peu de caribéens, mais des vitrines pour satisfaire tous les goûts d’une foule cosmopolite. De la pizza aux restaurants mexicains, du thaï au japonais, de la high standard boulangerie au Fish and Chips de luxe. Quelques boutiques de vintage, quelques restos bobos entrecoupent une majorité de stands de produits caribéens. Fruits, farines, ustensiles de cuisines, tapis, cosmétiques, vêtements, perruques sont alignés dans ce bazar coloré et animé. La population ? La Cosmopolis. Afro-Anglais, Africains, touristes, Anglos… L’ambiance ? Unique. Les brunchs au champagne côtoient les emplettes de bananes Plantin.

50 51 52 53 54 64

Dehors, des marchands afros et moyen-orientaux, quelques stands de reggae, une touche végé, des vêtements stylés. Stands de nourriture, enseignes de beauté afro, marchands de tapis, boucheries halal, bijoux, tissus, épiceries… La partie extérieure du marché est principalement fréquentée par une population afro. Le Flea Market est très métissé. A proximité, un pub anglais, touche d’exotisme du quartier.

48 49 55 56 57 58 59 60 61 62 63 65

Si j’avais cru hier avoir trouvé mon nouveau lieu de prédilection londonien avec Dalston, douze ans après avoir élu Covent Garden, aujourd’hui, j’ai encore changé d’avis, c’est définitivement Brixton. Brixton, it’s a soul place, mélangée, goûteuse et épicée. La vie d’un quartier monde obéit à un cycle, et le destin de Brixton nous renvoie un miroir sur les étapes à franchir avant d’atteindre une certaine harmonie. Avant de réussir l’intégration et le métissage, le quartier, considéré comme dangereux, fut le siège de violentes émeutes dans les années 1980, mélange d’émeutes raciales, de soulèvement de classes défavorisées et de réactions aux violences policières. Aujourd’hui, à l’instar de Brixton, à Londres de nombreux quartiers s’ouvrent sur l’extérieur, se font découvrir.

A Brixton, une rencontre fortuite m’a permis d’entendre le premier discours de résilience migratoire, après une collection de récits souvent tristes à pleurer. Merci Patrick, tu m’as redonné espoir sur la Cosmopolis. Tous les week-ends, Patrick enfile son habit d’agent de sécurité au marché de Brixton. Le reste du temps, ce Nigérian de 40 ans qui a repris ses études de droit travaille à obtenir son diplôme d’université. Patrick habite Brixton depuis quinze ans, après avoir roulé sa bosse un peu partout en Europe, surtout en Allemagne. Comme deuxième passeport, il a finalement opté pour le britannique qui facilite la mobilité sans visa, même si au niveau intégration, sa préférence pencherait plutôt pour l’Allemagne. Car si les Allemands ont peut-être un côté froid et strict au premier abord, ils sont constants dans leur attitude et leurs règles sont claires, ce qui s’avère peut-être finalement plus facile pour un immigrant qui sait exactement quel chemin suivre, quel comportement adopter, ce qu’on attend de lui. Contrairement à la Grande-Bretagne, plus cool à première vue, mais où rien n’est jamais clair, c’est oui, c’est non, c’est ça qu’il faut faire mais pas vraiment.

Mais Patrick a une super philosophie qui veut que ton lieu préféré soit toujours celui où tu vis, où tu te trouves en ce moment. S’il choisit de rester à Brixton, « of course better to love it ». Pour la suite, il se voit s’installer dans l’endroit qui sera le meilleur pour ses enfants. De toute façon pour lui « being an immigrant is not so tough now, it is about to know the rules, for making business, for everything. » Pour Patrick, on peut tirer le meilleur de chaque endroit, on peut choisir d’être ceci et cela, on peut être both et même plus. Sa famille est répartie « everywhere », quant à lui il projette de retourner au Nigeria lorsqu’il sera retraité. Il me parle un peu de l’Afrique, du Nigeria, riche en ressources mais corrompue, où il ne suffit pas de changer un homme mais tout un système pour que les choses aillent mieux. Il me raconte Brixton aussi, a « very mixed » quartier, très cosmopolite, à l’image de son marché. Aux vagues précédentes, depuis quelques années et l’ouverture des frontières, beaucoup d’Européens en provenance de Roumanie, de Pologne ou de Lituanie sont venus s’ajouter et s’installer. Pour mon interlocuteur, « all this people come for the same thing », to have « a better life ». Et Patrick pense que c’est possible si tu fais vraiment ce qu’il faut.

L’Angleterre, non Londres, non Brixton, semble avoir fait la fusion du monde. Une fois passée du monde de Brixton au monde de Chelsea le temps d’un trajet de métro, je m’interroge. Et maintenant, comment faire la fusion de ces deux mondes-là ?

66 67

Chelsea

68 70 71

Après Brixton. Le contraste du marché de Chelsea…. Tous les samedis la place présente un alignement de stands de nourriture comme autant d’œuvres d’art exposées. Mais les œuvres d’art, ça ne se mange pas n’est-ce pas ? La mise en scène est bien rôdée. Le vendeur français de tartiflette en béret, les vendeurs de pie, de brownies, d’asiatique, de libanais, de cocktails, huitres, tartes, champagnes, canard, etc. Pour compléter l’image du quartier, on peut prolonger sur Kings Road, et son alignement de boutiques branchées et stylisées. Ptite fou73le riche et Cappuccinos. Dans la zone résidentielle de Chelsea, y’a pas de rues, mais des Terraces, des Gardens, des Squares, des églises, des Mews très prisés, et des Ferraris. Dans ces zones résidentielles désertes et silencieuses je suis dérangée par le bruit de la bouteille d’eau dans mon sac. Mais que ce soit dans le dédale de rues vibrantes et grouillantes de Brixton ou au milieu des Ferrari de Chelsea, je suis encore perdue.

Parvenue sur Brompton aux alentours des musées de la royauté, je déambule parmi des cafés haut de gamme aux allures rétro, le viennois, le français, le turque. On se croirait presque dans un autre siècle.

74 75

Enfin, en traversant Hyde Park, j’entends ceci, dans un français teinté d’accent anglais : « Ma grand-mère elle a réussi que XXX aient des passeports. Ça prouve que notre gouvernement i s’en fout. »

Qui sont les héros du 21ème siècle ? Les Patrick ou les enfants de Chelsea ? D’un côté comme de l’autre on peut revendiquer ouverture, goût pour la diversité culturelle et capital spatial. Capital spatial qui ne concerne cependant pas les mêmes quartiers, et chemins empruntés pour maîtriser la géographie différents également. Who will run the world tomorrow ? Les descendants de Patrick ou les descendants de Chelsea ? Potentiellement les deux. Ensemble, si ces deux mondes parviennent à fusionner…

Brick Lane

Quartier populaire de l’Est londonien, Brick Lane est aussi surnommé Banglatown. Avant d’obtenir cette officielle appellation, ce quartier-refuge a depuis les années 1700 accueilli successivement des Huguenots français, puis des Irlandais, des Juifs et des Bangladais, pour les grosses vagues. Aujourd’hui sont venus s’y ajouter des bobos appelés « New East Enders ». Quant à la vague la plus récente d’immigrants, elle se compose de demandeurs d’asile venus d’Afrique, d’Europe et du Moyen-Orient. Tout ce petit monde cohabite avec ceux qu’on appelle les cockneys, les « East Enders », dont le fief se situe sur Bethnal Green ; et à proximité de la City, le cœur de la finance mondiale.

La mosquée de Brick Lane au carrefour de Fournier Street est peut-être le bâtiment le plus emblématique du quartier. Construit en 1742 en tant que temple protestant des Huguenots français, il devient en 1898 une synagogue pour les Juifs d’Europe centrale, avant de se transformer en mosquée pour l’importante communauté bengali en 1990. Et après ? What’s next ? C’est quoi la religion du Vintage ?

91En attendant de le savoir, voici le programme de cette journée dominicale : hormis les nombreux marchés qui cohabitent sur et autour de l’avenue, reflets de l’éclectisme du quartier, quelques hauts lieux à ne pas manquer : Bethnal Green Road, Brick Lane Nord (Beigel Bake, Brick Lane Gallery), Banglatown, Spitalfield Market, Fournier Street (Eglise-synagogue-mosquée), 19 Princelet St., Whitechapel Road, Whitechapel Gallery, Whitechapel East London Mosquee, White Chapel Synagogue.

Partage de l’espace. Si l’Histoire du quartier nous raconte la succession des communautés, cette succession connait cependant des phases de transition et de cohabitation, avec pour résultat un quartier divisé spatialement. Brick Lane change donc plusieurs fois de visages. Tout en haut, on trouve les boulangeries juives de bagels devant lesquelles se presse constamment la foule. Puis jusqu’à Woodser Street s’alignent studios et ateliers d’artistes, bars branchés et lieux de nuit dans des usines réhabilitées.

76 77 78 79  81 82 83 87

Arrive la portion bangladaise de la rue qui, outre l’alignement des restaurants de curry qui aux dires de leurs devantures ont tous remporté le Award du meilleur curry de UK, offre tous les produits et services utiles à la communauté.

84 85 86 88 89 90 93  94 95

Whitechapel Road

100 99 98 101 97Brick Lane : un espace à se diviser

L’espace du Brick Lane d’aujourd’hui a l’air divisé en plusieurs territoires communautaires distincts, partage spatial typique du quartier multiculturel sur lequel le dieu des métissages n’aurait pas (encore ?) soufflé. Signe que les différentes communautés présentes dans le quartier, Bangladais, Hipsters ou Cockneys cohabitent en s’évitant pacifiquement. En ce dimanche, je ne retrouve donc pas sur cette Brick Lane partagée et divisée l’ambiance cosmopolite et bigarrée de Dalston ou de Brixton.

Passé cette petite déception, Brick Lane a tout de même beaucoup à nous raconter… Car ce quartier est une métaphore d’un monde qui ne se résume en fait qu’à une succession d’invasions, qui lorsqu’elles s’ancrent, sont condamnées à cohabiter, avant d’éventuellement comprendre qu’il serait bon de fusionner. Ici les Bangladais ont envahi le territoire des Juifs, qui ont conservé deux bagels shops en haut de la rue, que les branchouilles prennent d’assaut le week-end. Les branchouilles ont envahi le haut du territoire, alors que le monde de la finance et les complexes de standing envahissent le quartier par le bas, sur Whitechapel Road. Et sur le bas de Brick Lane, un panneau « coming soon » annonce l’ouverture imminente d’un restaurant… turc, comme un ultime clin d’œil aux mouvements naturels qui redessinent sans cesse le quartier. Donc si je résume les Bangladais chassés se déplacent plus au nord du quartier sur Bethnal Green, envahissant eux-mêmes le territoire des Cockneys, et y installent de nombreux commerces et magasins de saris ; mais les branchouilles les talonnent de près, avec vitrines de cakes artisanaux, bars bohèmes et autres spécialités comme ce café où l’on caresse des chats ! It’s a race. Une compétition qui se déroule dans un décor tout à fait unique, de vieux passé industriel urbain réhabilité et tapissé d’antiquités. On met du vieux dans du vieux qu’on a rénové, curieux mais plutôt esthétique concept.

96 10292

A Brick Lane on assiste donc sous nos yeux à une nouvelle colonisation, sans que la communauté d’avant semble prête à se disperser. Mais où vont les communautés qui simultanément sont chassées et se referment ? Que se passe-t-il quand deux groupes exclusifs se partagent le même espace ? Finissent-ils par se fondre ? L’un chasse-t-il nécessairement l’autre ? Peuvent-ils arrêter les frontières et cohabiter sur le long terme ? En tous les cas, les communautés ont besoin les unes des autres, économiquement. Elles doivent commercer, donc échanger, pour survivre. D’ailleurs sur cette Brick Lane jour de marché, chaque groupe est là pour attirer l’extérieur. Ainsi les Bangladais s’ouvrent aux touristes et tentent de les attirer avec leur curry hybride, et les hipsters peuvent gagner leur vie à condition de vendre aussi leurs branchitudes vintage et organic à la population mainstream. L’économie ethnique s’est développée en partie en réaction à la diminution des places de travail dans l’industrie et le besoin de main d’œuvre immigrée. Cette économie est une économie, et ne peut pas être uniquement destinée à l’enclave, elle subsiste grâce à son ouverture. Les hipsters peuvent quant à eux prendre possession de ces quartiers aussi parce que leurs vitrines attirent l’extérieur. Alors célébrons le commerce, qui n’a pas de nationalité et force les communautés à faire un minimum société parce qu’elles sont obligées d’échanger. Pas le choix d’être « libéraux » dans ce monde globalisé. Combattons les abus, ne cessons pas les échanges.

Hipsters et gentrification. Zoom

Revenons à nos préoccupations dominicales… Le sentiment que j’ai eu c’est que Brick Lane est désormais trop gentrifiée pour que les populations puissent fusionner. Et cette visite est l’occasion de tenter de définir le fameux Hipster, associé à la gentrification des quartiers populaires et multi-ethniques des Villes-Monde. Alors qui est le hipster ? Un hipster c’est plus que barbe, chemise à carreaux et chapeaux vintage…80

A l’origine d’une subculture contemporaine, les hipsters ne veulent pas être définis ni identifiés comme communauté (il paraît que le hipster, c’est toujours « l’autre », jamais nous. Sans doute avons-nous tous en nous quelque chose de hipster. Sans doute moi aussi….). Et s’ils ne veulent pas être mis dans une case, c’est justement parce que ces jeunes blancs bourgeois-bohème classe moyenne ou aisée revendiquent un mode de vie alternatif et en décalage avec la société uniformisée, ils tentent de se démarquer. Le mode de vie du hipster se doit d’être insaisissable, composant un melting pot d’influences, styles et comportements. On peut tout de même le rapprocher de la culture et du commerce indépendants, d’un style vestimentaire mélangeant vintage, seconde main et pièces branchées. Le hipster est progressiste, mange bio et handmade. Finalement pour comprendre le hipster, il suffit de se rendre dans les quartiers gentrifiés, qui offre un bon résumé de leur mode de vie.

Le Hipster c’est celui qui incarne tous les trends actuels (écologie, vintage, consommation responsable, retour à la nature, vie de quartier, nourriture vegan, musique indépendante, etc.). Les hipsters forment une tribu de créatifs qui s’approprie des espaces « authentiques » dans les villes, faisant d’eux le groupe le plus sensiblement contributeur au phénomène de la gentrification. Mais cette « communauté » d’exclusion qu’ils ont formée en sortant leur « génie créatif » du champ mercantile, était au départ peut-être moins un acte choisi délibérément qu’une exclusion subie. Aujourd’hui le hipster est à la croisée de la mondialisation et de la démondialisation, en tant que phénomène mondial qui devient nouveau modèle normatif (le même style ; les mêmes codes, les mêmes quartiers dans les villes mondiales) mais dans une logique démondialisante (consommer local, boycotter les multinationales, retour à la communauté, etc.). En ce sens, le hipster est au cœur des paradoxes de notre siècle, un des symboles les plus parlants.

Mon sentiment bientôt au terme de ces errances,  c’est que (ils ?), la vague antique-organic-vintage-trendy tue un peu la ville, la vidant de sa substance, d’une partie de son âme. La lisse et lui ôte son côté combattif. Au début du mouvement, il y a une dizaine d’années, le décor alors nouvellement créé m’enchantait. Il rimait avec arrivée de la poésie, des antiquaires, des boutiques-arts et autres cafés-concepts. Il apportait un côté esthétique et poétique aux lieux, du charme, un certain décalage. Aujourd’hui trop normé, trop présent, on atteint l’écœurement. Bien que je me sois découverte adepte des salades quinoa-boulgour-fèves-haricots-avocat-feta-concombre qui sont arrivées jusque dans les étals des chaînes de supermarchés. En fait le chemin conduisant de la poésie à l’overdose correspond à plusieurs phases de gentrification. Je vais me risquer à faire une typologie. Phase 1. « Découverte » du lieu et premières implantations. Phase 2. Métissage socio-économique et culturel, intéressant. Phase 3. Vague se poursuit, le paysage devient aussi fabriqué que ceux que ses créateurs  ont fui. Phase 4. Extinction du quartier populaire métissé. Exil des populations défavorisées du quartier. Exil des jeunes branchés vers d’autres quartiers à gentrifier, contribuant à faire de cette subculture une culture normalisée. Arrivée des classes aisées.

Hybridation des communautés

Quelles chances d’hybridation, de croisement du best of both worlds pour un quartier comme Brick Lane ? Certains signes, comme le mouvement Mipster ou la cuisine ethnorganique, nous indiquent que le quartier parviendra éventuellement à composer un métissage des plus originaux. A Londres, des jeunes musulmans du 21ème siècle deviennent des mipsters (conjonction de musulman et hipster), adaptant cette mode à leur religion, tandis que des stands ethniques eux deviennent vegan. Interpénétration et adaptation des mondes.

Hammersmith      

Une 103des principales découvertes de ce séjour londonien, c’est l’existence de l’immense communauté d’Europe de l’Est qui s’est installée à Londres cette dernière décennie. Le London Latvian Center qui est par ailleurs la Guest House où je réside et m’a mise sur la voie, ne constitue donc pas une anomalie dans le paysage londonien, mais le fief de l’importante communauté lettone présente à Londres. Il faut dire que sur les 200 000 Lettons qui ont quitté le pays depuis son entrée dans l’Union européenne en 2004, pas moins de 80 000 ont émigré en Grande-Bretagne.

104Dans ce centre communautaire-hôtel, une fringante et sympathique jeune réceptionniste enfant de la génération Erasmus, à l’anglais impeccable, partage les tâches de cette « affaire de famille » avec une dame d’une cinquantaine d’années, qui elle ne peut pas s’exprimer en anglais. Le centre-hôtel, outre d’accueillir les visites officielles, propose à la communauté lettone des activités culturelles, un bar, une salle de spectacle avec piano, et même le titre de presse locale en letton. Sur le panneau à l’entrée, absolument toutes les affiches pour les activités sont elles aussi en letton. L’hybridité des fonctions du lieu pourrait être l’occasion d’un partage culturel. Hors ici seul l’English breakfast semble ne pas être réservé uniquement à la communauté lettone.

Forte de cette découverte, j’ai décidé de creuser sur cette présence est-européenne, et découvert tout un monde polonais à Londres. J’avais déjà remarqué quelques enseignes sur Queensway, mais cru alors qu’il s’agissait de vestiges d’une présence passée comme à Toronto. Alors que la migration des Polonais à Londres constitue un phénomène majeur. Ce serait le plus grand mouvement de populations en temps de paix. Depuis l’entrée du pays dans l’Europe, plus d’un million s’y seraient installés, certains étant déjà repartis. Cette diaspora londonienne a même inspiré une série télévisée en Pologne, une sitcom sur la vie des Polonais exilés à Londres.

Mais où la communauté polonaise a-t-elle pris ses quartiers ? Les parcours résidentiels se font désormais éclatés, dispersant les nouveaux arrivants à travers les nombreuses banlieues de Londres. Cependant les « communautés » ont toujours besoin de points de rencontre, de centres culturels, de lieux où se regroupent les commerces spécialisés, de centres religieux. Ainsi à côté du quartier traditionnel d’installation polonaise qu’était Acton, les Polonais ont notamment développé des centralités à Ealing, Hammersmith, Finchley, ou encore Balham.

105 106 107

Je m’en vais explorer Hammersmith où se trouvent l’important centre culturel et social polonais de Londres ainsi que des commerces polonais. L’occasion d’y découvrir passablement de vitrines traduites en polonais et d’y entendre108  des conversations en polonais. En chemin je fais une halte à West Kensington, fief de la communauté iranienne qui concentre commerces et restaurants iraniens.

Queensway & Bayswater. Welcome to real London ?

Queensway est une rue hyper touristique située dans le périmètre de Bayswater, à côté de Nothing Hill et de Kensington Gardens. La rue présente une forte concentration de lieux de sommeils bon marché, avec les stations de métro de Queensway et de Bayswater qui déversent leur flot de valises roulantes s’ajoutant aux masses d’autres valises en vente sur la rue. Cosmopolito-touristico-marchand, Queensway représente le Grand Bazar du 21ème. Sur l’artère on exploite à fond l’atout multi ethnoculturel de la cité avec la présence de commerces et de restaurants du monde entier. La rue offre un bon échantillon et reflet du visage de la Londres contemporaine. Enseignes d’Asie, du Moyen-Orient, d’Europe de l’Est, d’Italie, d’Amérique du Sud, sans oublier des représentants des grandes chaînes nord-américaines, ainsi que deux pubs anglais pour la touche locale, ou exotique je sais plus. La rue suit aussi les trends de consommation. Ainsi dernièrement un Bubble Tea shop a fait son entrée et le canard laqué a été partiellement remplacé par les dim sums. Dims Sums, viande halal et Fish & Chip alignés, voilà ce qui constitue le paysage ordinaire de Queensway. Et qui offre peut-être un bon résumé de l’identité de la cité ?

110 111 112 113 114 115 116 117 b 117 118 129

Le quartier de Bayswater jouxte le quartier de Nothing Hill, et son mélange unique de styles architecturaux.

119 120 121

Bayswater

123 124 125 126 128

Le quartier de Bayswater comprend aussi une portion grecque sur Moscow Road abritant notamment la Cathédrale orthodoxe, ainsi qu’une portion perse. Portions intégrées et mélangées au reste du quartier, qui offre un visage très cosmopolite.

 

De la mosaïque à la Cosmopolis ?

Pour moi, Londres marquait l’ultime escale dans une Ville-Monde du top five. Si j’ai pu croire un instant qu’elle rimerait aussi avec diminution de l’intérêt pour ces explorations urbaines, Londres a très vite su m’emporter dans son énergie, attiser ma curiosité et réveiller mes sens. J’ai poursuivi mes errances en tant qu’étrangère, sans d’autres buts que de me laisser surprendre par des quartiers abritant divers degrés de mixité. Les quartiers multiethniques et hybrides continuant à avoir ma préférence. Ils restent à mon sens ceux qui disent le mieux le monde globalisé.

A nouveau je n’ai pas hésité à me mettre en situation d’inconfort pour vivre ces errances pleinement, tout en sachant qu’en ne faisant que passer, la temporalité ne jouait pas de mon côté. Car je n’ai le temps ni pour être à l’aise ni pour comprendre les lieux, à peine pour me faire une idée. Mais je poursuis néanmoins sur la voie que je me suis fixée, car grâce à son regard non biaisé, neuf, pas encore «installé », son external look, seul le bâtard possède la capacité d’être à l’aise partout en Ville-Monde. Pour prendre le pouls des différents quartiers, le bâtard doit se démarquer du insider et son cultural-social capital, en jouant sur son geographical capital. Le bâtard can play with codes and adapt quickly. He’s the one who doesn’t disturb and absorb, digest and take the best for himself, making up a very original identity.

En tous les cas, à Londres, je suis passée par plusieurs états émotionnels en ce qui concerne le Projet Cosmopolis, allant du découragement le plus profond à la l’exaltation la plus totale. Les Villes-Monde, et peut-être Londres et Paris plus que toutes les autres, se font le baromètre, les éponges des tensions du monde. J’ai ainsi parfois ressenti ce que je pourrais appeler mon malaise londonien. Voilà pour l’impression générale. Décryptons maintenant un peu les différentes facettes du cosmopolitisme londonien.

Cosmopolitisme londonien. Observations & Impressions

Londres et Diversité

A Londres, la diversité culturelle s’exprime dans tous les quartiers. Seul l’écrin, le décor change. Populaire, chic ou mise en scène, la multiculturalité s’affiche sous différentes formes. Des stands composites et de la démographie métissée de Brixton, aux dernières chaînes de restauration trendy de Soho, aux restaurants touristico-ethniques de Queensway, jusqu’aux stands ethniques chics des étals du marché de Chelsea. Londres affiche avec fierté cette diversité ancrée dans l’identité de la cité.

Londres et Identité

Au-delà de l’hybridité culturelle affichée, cette diversité fait-elle l’unanimité ? Londres est-elle une Ville-Monde déconnectée de son environnement national ? Quel sens peut avoir la nationalité britannique dans une telle cité ?

On pourrait croire qu’il y a à priori un consensus à ce que le monde mobile et la diversité s’expriment dans les Villes-Monde. Un consensus qui toucherait aussi bien les habitants des périphéries nationales et leur slogan du « ok là-bas mais pas ici », les immigrés et leurs communautés qui y deviennent simplement des minorités parmi toutes les autres, jusqu’aux native born des Villes-Monde qui ne cessent de vanter le cosmopolitisme de leur cité. En fait, la Grande-Bretagne et Londres même sont quelque peu divisés entre ceux qui sont fiers que Londres ait embrassé une telle diversité culturelle, ceux qui en perte de repères identitaires votent désormais pour le parti eurosceptique britannique UKIP, ou ceux qui ressentent tout simplement une certaine nostalgie.

Cette dualité entre célébration et nostalgie vis-à-vis de la diversité peut être illustrée par le discours de deux écrivains londoniens. D’un côté on trouve un William Boyd qui ne mentionne plus la « race » des gens dans son dernier roman, considérant ses habitants désormais avant tout comme londoniens. Il apprécie en outre que la ville ait énormément changé depuis une trentaine d’années : « Londres a toujours été multinationale multiraciale, mais aujourd’hui, je trouve que c’est la ville la plus polyglotte et multiculturelle du mode ; et c’est un avantage pour nous à mon avis, c’est ça qui rend cette ville géniale ; Londres est une ville très tolérante au sens où elle accueille des immigrés. Voilà c’est pour ça que c’est tellement passionnant de vivre ici. » De l’autre Joseph Connolly apprécie les apports culturels de ces changements tout en comprenant la vague de nostalgie qu’elle peut susciter dans le pays : « Aujourd’hui bien sûr, il suffit de passer dans une rue populaire de Londres, et les gens baragouinent dans leur portable et entre eux, et bien souvent on n’entend pas un mot d’anglais ; ça a du bon, et du mauvais. Ca donne une ville beaucoup plus vivante et cosmopolite, mais il est aussi évident qu’année après année cela érode l’identité anglaise de l’Angleterre, ce qui est dommage. C’est à cause de cela à mon avis qu’il y a en ce moment cette grande vague de nostalgie pour tout ce qui a été perdu »

(Extraits d’interviews, Les Carnets de Route de François Busnel – Londres, France 5, 23 janvier 2014)

En fait les Britanniques n’arrivent plus vraiment à s’y retrouver pour définir leur nouvelle identité. En 2001, celui qui était alors le secrétaire des Affaires étrangères britannique tenta lui de définir la nouvelle identité nationale avec l’image du Chi130cken Tika revisité. « Chicken Tikka Massala is now a true British national dish, not only because it is the most popular, but because it is a perfect illustration of the way Britain absorbs and adapts external influences. Chicken Tikka is an Indian dish. The Massala sauce was added to satisfy the desire of British people to have their meat served in gravy. » (Robin Cook, secrétaire des Affaires étrangères, avril 2001.side 41 line 1-5)

 Quant aux immigrés, j’ai pour ma part le sentiment qu’il y a une différence entre le sentiment d’appartenance des immigrés en France et en Grande-Bretagne. En France, on ressent un désir de revendiquer qu’ils sont français. Ils revendiquent une manière d’être français, là où en Grande-Bretagne ils revendiquent le droit d’être simplement là, d’y faire leur vie. L’approche est plus pragmatique, moins émotionnelle en Grande-Bretagne. L’identité se dessine à postériori.

Londres et Immigration

Quoi qu’il en soit, ces interrogations sur l’identité ne peuvent pas être séparées du débat actuel sur l’immigration qui agite la Grande-Bretagne.

Immigration benefits Britain, but it needs to be controlled

Our openness is part of who we are. We should celebrate it. We should never allow anyone to demonise it.”

We are Great Britain because of immigration, not in spite of it.”

We should be clear. It is not wrong to express concern about the scale of people coming into the country.
People have understandably become frustrated. It boils down to one word: control
.”

Extraits de David Cameron – Speech on Immigration – novembre 2014 (http://press.conservatives.com/page/2)

2015 est l’année de ce que les observateurs ont coutume d’appeler la « crise des migrants », à savoir des mouvements de populations sans précédent depuis la Deuxième Guerre Mondiale, qui voient l’Europe s’ériger comme eldorado pour des ressortissants syriens, subsahariens, pakistanais ou encore irakiens fuyant guerres de civilisations, guerre civile ou pauvreté. Une crise humanitaire qui questionne la cohésion et l’identité européenne, tout en interrogeant sur les capacités d’accueil des différents pays. Et en raison de la présence de nombreux migrants sur son sol, de sa réputation de tolérance et de sa plutôt bonne santé économique, la Grande-Bretagne se place avec l’Allemagne au sommet de la hiérarchie en terme d’attraction. Il est vrai qu’en se promenant dans les rues de Londres, on constate que la capitale dispose à priori d’une bonne conjoncture économique. Il est en effet fréquent de voir affichées des offres d’embauche sur les diverses vitrines, nombreux types de commerces confondus. Un dynamisme qui tranche avec les vitrines vides que j’ai pu croisées dans d’autres villes visitées. Mais cela n’empêche pas les Anglais de rejeter les quotas de répartitions des migrants, contribuant à ce que cette crise des migrants glisse gentiment vers une crise européenne.

La « crise des migrants » accentue encore les tensions vis-à-vis des demandeurs d’asile qui traversent le pays depuis de nombreuses années. Et en ce mois d’élections, la migration occupe le devant de la scène dans ce pays qui de surcroît déplore un solde migratoire trop important et une population européenne se pressant chez eux pour y toucher l’aide sociale. Lors de la campagne électorale le conservateur David Cameron a donc promis à ses électeurs un renforcement de la politique migratoire ainsi qu’un référendum sur la sortie de la Grande-Bretagne de l’Union européenne, afin de calmer les tensions et de maintenir son parti au pouvoir, en évitant que la masse des électeurs se tourne vers des partis anti-immigration comme le UKIP de Nigel Farage.

Si les conservateurs ont finalement remporté les élections, la question est loin d’être réglée. Cette victoire arrachée en partie sur la promesse d’un référendum de sortie de l’Union, même si elle s’accompagne d’une baisse du parti eurosceptique, s’accompagne aussi d’un triomphe des nationalistes écossais et d’un échec cinglant des libéraux. Le gouvernement se trouve face à deux enjeux : maintenir l’Ecosse dans la Grande-Bretagne et la Grande-Bretagne dans l’Union européenne. A ces deux échelles, il a donc la lourde tâche de maintenir des « nations unies ».

En cet été 2015 où la « crise des migrants » a atteint son apogée, l’île Grande-Bretagne semble dire à l’Europe continentale que si cette dernière, trop proche de la Méditerranée n’a pas les moyens physiques de s’ériger en Forteresse, elle oui. Alors que les Européens installés en Grande-Bretagne désirent désormais en masse se faire naturaliser, si l’Union européenne ne trouve pas de solutions communes sur ces questions, elle peut continuer à trembler pour l’avenir de son Union.

Londres et Territoires

Bientôt au terme de mes errances en Villes-Monde, je peux commencer à faire des rapprochements, des typologies subtilisées, et confirmer des trends. Et en ce qui concerne la tendance de l’ethnicisation du paysage urbain des Villes-Monde, je ne sais pas si on peut affirmer que Londres la confirme, la cité étant traditionnellement une ville de quartiers aux identités marquées. Une spécificité qui conjuguée à la ségrégation spatiale et au multiculturalisme britannique accouche naturellement de quartiers ethnoculturels affirmés.

Au-delà de l’ethnicisation des questions politiques, il existe une importante ségrégation ethno-socio-géographique dans l’espace londonien, que les tensions et les émeutes de 2011 dans certains quartiers défavorisés comme Tottenham ont contribué à mettre en lumière. A Londres, contrairement aux métropoles canadiennes qui ont révélé une absence de liens entre pauvreté et ethnicité, les quartiers ethniques riment souvent avec paupérisation.

Londres et Cohabitations : Multiculturalis ou Cosmopolis ?

Afin de pouvoir répondre à l’ultime question, demandons-nous au préalable si Londres est capable de passer du multiculturalisme au cosmopolitisme, de dépasser sa tendance à se diviser en communautés ? Je n’ai évidemment pas la réponse, mais mon ressenti c’est que la tolérance affichée vire parfois à l’ignorance. A Londres, tu peux être hybride par influences culturelles sans jamais te mélanger. Si à Paris quand les communautés ne se parlent pas/plus, la cité a l’air d’en pleurer, à Londres lorsque les communautés s’ignorent ça semble être la chose la plus naturelle du monde. Quant à moi, si à Paris quand tu souris tu attires forcément la sympathie, à Londres je fus totalement transparente.

J’ai un peu le sentiment que le multiculturalisme à l’anglaise conjugué avec cette fameuse tolérance-indifférence peut à tout moment virer au communautarisme. Le modèle britannique n’a rien à voir avec le républicanisme à la française, mais pas non plus avec le projet fédérateur américain, « l’utopie » torontoise ou l’harmonie très encadrée singapourienne. D’ailleurs à Londres les Territory Born ont désormais eux aussi formé des communautés. Avec les néo-conservateurs étant les plus politisés, les hipsters ayant le plus de visibilité. Les uns modifiant sensiblement le paysage politique, les autres notablement les paysages urbains.

En ce qui concerne la Cosmopolis, ce ressenti fait partie de ce que j’ai appelé mon malaise londonien. Dans cette ville à la croisée des mondes, la ligne de frontière entre tolérance et indifférence est mince. Quelle envie de faire société quand on remarque à peine ta présence ? Est-ce que cette relative ignorance peut favoriser un communautarisme stricto sensu, un repli vers des valeurs du premier jour, en gros l’inverse de ce qui devrait se produire dans la Ville-Monde, à la croisée générale des mondes ? Ce qui devrait naturellement se produire à la croisée des mondes, c’est une réinvention constante du monde, des individus et des espaces se recomposant constamment, le métissage, le best of worlds. Une hybridité qu’on voit notamment exprimée à Bayswater où on peut tomber aussi bien sur un restaurant américain ou mexicain qui proposent du halal, qu’un restaurant perse qui sert des mojitos. Voilà le genre de compromis à priori anodins qui font espérer, qui font entrevoir une Ville-Monde où le monde parviendrait à cohabiter sans renier ses identités. C’est cette rue-là que je suis partie chercher, la rue qui vibre, qui grouille, qui surprend… Je suis à la recherche de la grâce, de la poésie, de la joie, du style, de l’ouverture, des mélanges.

Il ne devrait pas y a avoir de place en Ville-Monde pour la dictature de la pureté, pour le triomphe d’une prétendue authenticité qui se muerait en nouveau totalitarisme. Les racines solides sont une nécessité. Mais des racines solides et des identités revendiquées doivent servir à aller vers l’autre, échanger, se complexifier, laisser le mouvement opérer, accepter que ni nos identités ni le monde ne sont jamais figés. C’est à priori ce qu’on vient chercher quand on choisit la Ville-Monde. Le communautarisme stricto sensu c’est l’ombre, c’est le contraire de la lumière qui doit briller sur des communautés réconciliées. Evidemment, le fait que les positions aient tendance à se replier n’est pas étranger au prétendu choc des civilisations à l’œuvre depuis une quinzaine d’années. Moi je me dis qu’à l’aube du 11 septembre 2001, le monde semblait avoir accompli un bon chemin depuis la décolonisation, le monde était sur le right track. Pour que le renversement soit si sensible, il doit bien profiter à quelqu’un. Certainement pas à la société mondiale vouée à cohabiter.

Les habitants de cette cité parviendront-ils à fusionner, à ériger une société ? Le Londres de demain sera-t-il à l’image des métissées Brixton ou Dalston, ou de la territorialisée Brick Lane ? Comment croire à cette fusion lorsqu’au moment où tu te poses toutes ces questions, tu lis dans les nouvelles du pays que deux villages jurassiens veulent défusionner, pour incompatibilité identitaire …

En tous les cas, cette fusion devrait être encouragée par la révision de la gestion britannique de la diversité, qui se dirige vers un modèle où l’inter-culturalisme aurait remplacé le multiculturalisme. En fait le gouvernement britannique se détourne des politiques multiculturelles depuis quelques années déjà. Désormais, s’il envisage de poursuivre dans cette voie, ce n’est pas pour se contenter de couper dans les budgets, mais pour favoriser la cohésion, pour placer l’accent sur les questions socio-économiques et pas ethniques, pour que la mosaïque de groupes ethniques aux cultures différentes adopte une position de compréhension mutuelle.

Aujourd’hui, à l’image du monde post-colonial, Londres en tant que ville post-coloniale se situe donc dans une génération de transition, qui doit encore jongler entre attitude ethno blind et égalisation des chances. La Londres post-coloniale vit donc sa période d’adolescence. Nul doute que la Londres adulte continuera à nous fasciner, à muter et à nous surprendre.

Consultations / Pour aller plus loin

www.azurever.com/londres/magazine/londres-multiculturel.php3

http://londresvillemoderne.wordpress.com/category/multiculturalisme /

http://www.bbc.co.uk/london/content/articles/2005/05/27/chinese_london_feature.shtml

https://www.migreat.co.uk/fr/maghrebins/londres/social/quartier-marocain-londres-h762

http://www.telegraph.co.uk/finance/property/11142969/Why-is-New-Malden-home-to-more-North-Koreans-than-any-other-place-in-Europe.html

http://www.francaisuk.com/quartier-de-londres-brixton/

http://www.maxicours.com/se/fiche/0/7/401907.html

http://www.azurever.com/londres/magazine/londres-marches.php3

http://www.lepetitjournal.com/londres/a-la-une-londres/112389-spitalfields-un-quartier-sous-influence-francaise.html

http://www.19princeletstreet.org.uk/

http://www.bealondoner.com/fr/quartiers/un-londoner-un-quartier-bealondoner-presente-dalston

http://www.expedia.fr/vc/guides-voyage/londres/londres-grand-melting-pot-culinaire

http://www.guinguinbali.com/index.php?lang=fr&mod=news&task=view_news&cat=2&id=1872

http://www.muslimstrustdialogue.org/index.php/research/154-journey-into-london-edgware-road-the-arabic-quarter

http://www.thenational.ae/uae/tourism/edgware-road-is-a-taste-of-arabia-in-the-city-of-westminster

http://thekompass.rbth.co.uk/

http://www.lesechos.fr/16/04/2014/lesechos.fr/0203448837169_a-londres–le-calme-trompeur-de-la-communaute-russe-des-affaires.htm

http://themoscownews.com/people/20120202/189422579.html

http://www.visitlondon.com/fr/que-faire-a-londres/endroit/279336-brick-lane-market

http://www.blog-unfrancaisalondres.com/2014/03/8-raisons-d-aimer-brick-lane-londres-le-dimanche.html

http://blog-fr.hostelbookers.com/idee-voyage/marches-de-londres/

http://www.theguardian.com/uk/2009/apr/27/dalston-cool-london-suburb

http://www.tfl.gov.uk/

http://www.visitlondon.com/discover-london/london-areas/west/southall

http://en.wikipedia.org/wiki/Southall

http://www.bealondoner.com/fr/quartiers/un-londoner-un-quartier-bealondoner-presente-dalston

http://www.lesinrocks.com/2012/06/17/actualite/la-nuit-tout-est-permis-11269663/

http://www.faraboule.fr/dalston-quartier-metisse-branche/

http://www.theguardian.com/uk/2009/apr/27/dalston-cool-london-suburb

http://www.standard.co.uk/goingout/attractions/dalston-is-dead-long-live-deptford-9811946.html

http://www.lefigaro.fr/international/2006/08/10/01003-20060810ARTFIG90128-les_polonais_s_installent_a_londres.php

http://rue89.nouvelobs.com/rue89-culture/2012/02/05/serie-tele-pas-plus-belle-la-vie-des-polonais-exiles-londres-229057

http://thewanderingmusulman.uk/tag/brick-lane-gallery/

http://en.wikipedia.org/wiki/Hipster_%28contemporary_subculture%29

http://www.paperblog.fr/6936001/zoom-sur-un-nouveau-phenomene-les-mipsterz/

http://www.theguardian.com/world/2001/apr/19/race.britishidentity

http://www.aubalcon.fr/pieces/fiche/lappel-de-londres

http://www.dailymail.co.uk/news/article-2049676/Welcome-Slums-Southall-How-unscrupulous-landlords-illegally-built-squalid-homes-immigrants.html#ixzz3jpH0D2M6
http://rue89.nouvelobs.com/2013/05/28/woolwich-autopsie-ghetto-londonien-soldat-rigby-est-mort-242753

Dictionnaire des migrations internationales. Approche géohistorique. Sous la direction de Gildas Simon. Armand Colin. 2015. 807 pages.

« Greater London : cosmopolis ou cité des communautés ? » Susan Ball, Petros Petsimeris,  in …. L’urbain, des savoirs émergents.

Le Routard Londres 2013

Les Carnets de Route de François Busnel, Londres, France 5, 23 janvier 2014

Echappées Belles, Londres by Night, France 5, 7 décembre 2013

L’invention de nos vies, Karine Tuil, 2013

Salaam London, Tarquin Hall

White Teeth, Zadie Smith